Lundi soir, le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a annoncé le retour de Cuba sur la liste dressée par Washington des « États soutenant le terrorisme », dont l’île avait été retirée en 2015 par Barack Obama. Cuba rejoint sur cette liste noire la Corée du Nord, l’Iran et la Syrie. Par cette initiative vicieuse à quelques jours de la fin de son mandat, Donald Trump offre une sorte de cadeau de départ aux anticastristes de Floride qui lui ont fourni des bataillons d’électeurs. Il sape aussi par avance toute éventuelle tentative de rapprochement entre son successeur Joe Biden et les autorités cubaines.
Si, lors d’une visite historique en 2016, Barack Obama était devenu le premier président américain en exercice à fouler le sol cubain depuis la révolution castriste de 1959, Donald Trump est largement revenu sur la politique d’ouverture de son prédécesseur, durcissant, plutôt que de le lever, l’embargo imposé à l’île des Caraïbes depuis 1962.
« Nous condamnons la qualification cynique et hypocrite de Cuba comme État soutenant le terrorisme, annoncée par les États-Unis. L’opportunisme politique de cette action est reconnu par tous ceux qui se soucient avec honnêteté du fléau du terrorisme et de ses victimes », a réagi le chef de la diplomatie cubaine Bruno Rodriguez sur Twitter. La réintégration de Cuba sur la liste américaine des États soutenant le terrorisme implique des entraves aux aides économiques, l’interdiction faite aux institutions internationales d’y financer des projets ainsi que des mesures de rétorsion fiscale et douanière contre les entreprises y développant des activités.
Pour justifier cette réintégration, Pompeo a cité pêle-mêle le soutien de Cuba au régime chaviste vénézuélien (que l’administration Trump a tenté de renverser par la force à travers sa marionnette putschiste Juan Guaidó) aussi bien que l’asile accordé depuis 1984 par La Havane à Assata Shakur, ancienne militante du Black Panther Party et de la Black Liberation Army, qui figure toujours sur la liste des terroristes les plus recherchés par le FBI pour la mort d’un officier de police de l’État du New Jersey en 1973.
Mais Cuba n’est pas un cas isolé : dans le cadre de leur politique de la terre brûlée, Trump et son secrétaire d’État faucon semblent vouloir profiter d’une fin de mandat chaotique pour entériner un ensemble de coups de force géopolitiques et porter des attaques – aussi symboliques que lourdes de conséquences réelles pour les populations concernées – contre les principales bêtes noires de l’impérialisme américain. Ainsi, le week-end dernier, Pompeo a également annoncé que le mouvement yéménite houthi (qui contrôle la capitale Sanaa ainsi que la majorité du nord du Yémen) allait être classé terroriste par Washington. Cette décision a été motivée par Pompeo comme un moyen de renforcer la « dissuasion contre les activités néfastes du régime iranien », soutien du groupe rebelle yéménite face au gouvernement fantoche appuyé par une coalition à la tête de laquelle se trouve l’Arabie saoudite, alliée de Washington (et de Paris).
Rappelons qu’après plus de cinq ans de guerre, le Yémen, pays le plus pauvre de la péninsule arabique où 80 % de la population dépend désormais de l’aide internationale, est déjà en proie à ce que l’ONU a qualifié de pire crise humanitaire au monde. Et il est maintenant « en danger imminent de la pire famine que le monde ait connue depuis des décennies », comme l’a souligné le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres. L’initiative de l’administration Trump va donc sciemment aggraver une crise humanitaire déjà effroyable.
Comme le note le Yemen Solidarity Council dans un communiqué, « l’effet de cette désignation va être d’empêcher l’acheminement d’une aide humanitaire vitale pour la population affamée du Yémen et de ruiner toute perspective viable de paix. » Le Conseil ajoute en conclusion : « L’administration Trump vient purement et simplement de criminaliser l’aide humanitaire pour le Yémen. »
La classification terroriste des Houthis, outre son caractère notoirement criminel, s’inscrit dans la stratégie de « pression maximale » vis-à-vis de l’Iran menée par Trump depuis quatre ans : tentative d’isolement régional à travers le rapprochement diplomatique entre le régime sioniste et les monarchies du Golfe, réimposition de sanctions économiques extrêmes suite à la sortie unilatérale de l’accord sur le nucléaire iranien, actes assumés de terrorisme d’État (citons le meurtre par drone, il y a un an, du général Qassem Soleimani, chef de la force Al-Quds des Gardiens de la révolution, et du dirigeant de la milice chiite irakienne Hachd al-Chaabi, Abou Mehdi al-Mouhandis, puis tout récemment le soutien implicite à l’assassinat ciblé du scientifique iranien Mohsen Fakhrizadeh mené par le Mossad sur une route reculée à l’est de Téhéran).
Ce mardi Mike Pompeo a en outre affirmé, contre toute vraisemblance, que les autorités iraniennes prêtaient refuge et apportaient leur soutien aux dirigeants d’Al Qaïda, dans une sorte de forcing de dernière minute pour livrer à Biden un terrain géopolitique entièrement miné : « Al Qaïda a une nouvelle base : c’est la République islamique d’Iran », a-t-il déclaré.
Mais les militants d’Al-Qaïda ne se sont-ils pas battus, au Yémen, dans le même camp (anti-Houthis) que les forces soutenues par l’Arabie Saoudite et son parrain américain ? N’est-ce pas le Parti Islamique du Turkestan Oriental, organiquement lié à Al-Qaïda et dont plusieurs milliers de membres combattent dans les rangs djihadistes en Syrie, qui a été retiré il y a quelques semaines par ce même Mike Pompeo de cette même liste d’organisations terroristes, dans un geste de pure provocation visant à pousser les feux de la nouvelle guerre froide qui oppose les États-Unis à la Chine ?
Le week-end dernier (décidément riche en annonces diplomatiques du côté de Washington) a d’ailleurs vu la levée officielle des toutes les restrictions sur les contacts entre représentants américains et taiwanais, conclusion logique d’un mandat marqué par l’accroissement des livraisons d’armes US en direction de Taiwan, dont le territoire est perçu comme un avant-poste de la stratégie de containment anti-Pékin.
Comme nous l’avions noté dans un article récent, la rhétorique anti-terroriste du camp occidental, outre son hypocrisie manifeste (les États-Unis et leurs alliés n’ayant pas hésité, ces dernières décennies, à instrumentaliser sans vergogne des groupes djihadistes aux quatre coins du globe lorsque ceux-ci servaient leurs intérêts), n’a d’autre but que d’augmenter la pression sur les États rétifs aux injonctions de l’empire – à des prix dramatiques pour les populations qui en subissent les conséquences. Et c’est ce que ne manquent pas de confirmer les ultimes coups géopolitiques crasseux de l’administration Trump.
Face à l’agressivité décuplée d’un impérialisme en pleine crise d’hégémonie, il nous revient d’organiser, ici même au coeur des métropoles du Nord global, une solidarité internationaliste sans faille avec les peuples du monde menacés par la rapacité belliqueuse du bloc atlantiste et de ses alliés.