Rendez-vous à 18h Place Édouard-Herriot mardi 8 décembre
La France déroule le tapis rouge au président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi pour la seconde fois en trois ans, comme une nouvelle preuve d’un rapprochement stratégique aux multiples enjeux. De quoi Al-Sissi est-il le nom ? Qu’est-ce qui explique sa proximité ostentatoire avec la France et les autres puissances occidentales ?
Al-Sissi est tout d’abord le nom propre qui résume la circularité tragique du processus révolutionnaire égyptien. Le mouvement de 2011, tactiquement victorieux puisqu’il a abouti à la chute de Moubarak, a été suivi par une échéance électorale dont sont sortis largement vainqueurs les Frères Musulmans. Très vite, de nouvelles manifestations ont pris pour cible le président fraîchement élu Mohamed Morsi : l’armée, ainsi dotée d’une base de masse paradoxale et menée par le maréchal Al-Sissi, en a profité pour reprendre le pouvoir suite à coup d’État sanglant en 2013 qui a signé le retour à la dictature militaire, et donc à l’ancien régime.
On comprend mieux le caractère « stratégique » du partenariat franco-égyptien mis en avant par Macron si l’on se rappelle qu’en quelques années (singulièrement depuis l’accession au pouvoir d’Al-Sissi), la France est devenue l’un des premiers fournisseurs d’armes de l’Égypte, passant même devant les États-Unis dans ce domaine. Des avions de chasse Rafale aux drones de surveillance en passant par les frégates Gowind ou encore les véhicules blindés fabriqués par Renault Trucks, les dernières années ont été rythmées par de juteux contrats d’armement. Or si ces armes made in France ont été utilisées par l’Égypte pour sa « guerre contre le terrorisme » (dans le Sinaï notamment), il ne fait guère de doute qu’elles ont également servi comme outils de répression domestique.
Antoine Madelin, de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), explique ainsi : « la France dit qu’elle va promouvoir ou essayer de défendre la question des violations des droits de l’homme en Égypte et derrière, finalement, elle participe à l’équipement de cette répression, en vendant des matériels qui permettent de surveiller la population et de poursuivre les activistes ».
Car les raisons de la colère sociale ne manquent pas, dans un pays où un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté et où les mesures néolibérales se sont accélérées depuis la mise en place d’un plan d’austérité dicté par le FMI en 2016 : privatisations dans le secteur bancaire, pétrolier et immobilier, dévaluation de la livre égyptienne, inflation à plus de 30%, réduction drastique des subventions sur l’énergie et les produits de première nécessité…
Alors que beaucoup de militants révolutionnaires sont aujourd’hui en prison ou en exil, de nouvelles générations ont pris la rue, espérant faire tomber Al-Sissi et renouer avec les aspirations égalitaires de 2011, notamment lors des manifestations de septembre 2019 brutalement réprimées par le régime.
Les ONG évoquent plusieurs dizaines de milliers de prisonniers politiques depuis la venue d’Al-Sissi au pouvoir. Le cas de l’opposant égypto-palestinien Ramy Shaath, co-fondateur de BDS en Égypte et détenu arbitrairement depuis 13 mois, est emblématique à cet égard.
À ceux qui attendent de Macron qu’il défende le « respect des droits de l’homme » face au dictateur égyptien il faut répondre : comment pourrait-il avoir la moindre légitimité sur le sujet, lui dont le quinquennat aura été marqué par une répression féroce de toute contestation sociale, par l’empilement des lois sécuritaires et par l’extension effrayante des pouvoirs conférés à une police dont la brutalité a fait le tour du monde ? La réception d’Al-Sissi à l’Élysée renvoie plutôt le message suivant : que l’on règne par la torture, la surveillance généralisée, les arrestations de masse et la suppression des libertés publiques n’a que peu d’importance, du moment que l’on sert les intérêts économiques et géopolitiques du bloc occidental.
Car si Al-Sissi est choyé par l’impérialisme euro-atlantique – le secrétaire d’État américain Mike Pompeo voyant en lui « un exemple pour tous les dirigeants et tous les peuples du Moyen-Orient » – c’est aussi du fait de sa complicité de moins en moins cachée avec Israël. Le régime égyptien a d’abord une complicité directe dans le blocus illégal et criminel imposé par Israël à Gaza depuis plus de dix ans. Dans une interview pour la chaîne américaine CBS en janvier 2019, le président égyptien a en outre reconnu l’existence d’une coopération militaire entre l’Égypte et l’État sioniste dans le nord du Sinaï, ajoutant même que celle-ci était « plus étroite que jamais ». Al-Sissi, que des membres de la Knesset ont qualifié de « dirigeant égyptien le plus pro-israélien de tous les temps », a salué l’accord de normalisation entre Israël et les Émirats Arabes Unis officialisé en août dernier sous l’égide de Trump, qui n’a pas ménagé ses efforts pour favoriser le rapprochement diplomatique entre son allié sioniste et les pétromonarchies arabes du Golfe, sur le dos des Palestiniens et dans la perspective d’un isolement régional de l’Iran.
Il n’est donc guère étonnant de voir la classe dominante israélienne afficher un soutien ouvert au régime militaire égyptien : comme le résume Efraim Halevy, directeur du Mossad entre 1998 et 2002, « la sécurité de l’Égypte et son système politique – certainement désormais la sécurité du président Sissi – constituent un intérêt vital pour Israël en matière de sécurité ».
C’est pour toutes ces raisons qu’il est essentiel de manifester notre solidarité avec le peuple égyptien et de prendre la rue pour dénoncer la venue de celui qui n’a cessé depuis son arrivée au pouvoir de défendre les intérêts impérialistes au Moyen-Orient tout en écrasant la contestation sociale dans son pays.