La célèbre formule d’Antonio Gramsci, « pessimisme de la raison, optimisme de la volonté » est devenue un lieu commun. Sa pensée elle-même se trouve aujourd’hui réappropriée de manière aussi opportuniste que contradictoire : les uns font de Gramsci le penseur d’un réformisme gradualiste, les autres le tirent vers une conception purement culturelle de la contre-hégémonie. Dans le brillant article qui suit, Asad Haider s’emploie à resituer cette formule au sein du parcours militant de Gramsci, des conseils ouvriers turinois aux geôles fascistes en passant par la fondation du Parti Communiste italien.
Ainsi s’éclaire une pensée particulièrement féconde du problème de l’organisation, dont l’une des tâches centrales réside dans la création de ce que Gramsci appelle des intellectualités de masse, soit la réappropriation d’une « façon cohérente et homogène [d’appréhender] le monde actuel réel » par le plus grand nombre. Dans cette hypothèse la distinction entre intellectuels et masses populaires, bien qu’existante, se trouve orientée non vers sa préservation mais vers son abolition tendancielle. Ce ne sont pas les intellectuels en tant que tels qui « permettent à une classe subalterne de devenir une classe dirigeante et dominante, une classe hégémonique », mais le parti politique comme Prince moderne collectif, comme laboratoire permettant l’unification de pratiques et de connaissances multiples autour d’un projet commun.
Le texte conclut alors à un renversement de la formule de départ. « Pessimisme de la volonté », du fait de la péremption du paradigme léniniste classique, qui, bien qu’insurrectionnellement victorieux, s’est heurté ensuite à la fusion du parti et de l’État, synonyme de forclusion du processus communiste. Mais « optimisme de la raison », basé sur la reconnaissance du fait que « tous les gens sont des philosophes, et que cette intelligence de masse est la base d’une société future » (axiome gramscien qu’Asad Haider fait résonner avec la pensée de Sylvain Lazarus), qu’il est possible pour les gens de se gouverner eux-mêmes, et que dans chaque acte de résistance collective cette capacité se trouve confirmée.
« Ce dont nous avons besoin maintenant, ce n’est pas d’une volonté volontariste de répéter les anciens modèles, mais de laboratoires qui puissent remarquer de nouvelles forces et expérimenter de nouvelles formes. »
Avril 1920, l’Italie est en crise. Le mois précédent, à l’usine automobile Fiat de Turin, la direction avait reculé les aiguilles de l’horloge pour l’heure d’été, sans demander la permission aux conseils ouvriers démocratiques qui avaient essaimé dans les usines italiennes. Une vague d’arrêts du travail avait éclaté en signe de protestation. Mais alors que des négociations tendues se poursuivaient, avec un lock-out massif de la direction, il est apparu clairement que ce qui était réellement en jeu, c’était l’existence des conseils d’usine eux-mêmes1. Toute la ville s’est mise en grève générale pour défendre les conseils, ce qu’Antonio Gramsci a salué plus tard dans un rapport pour le Komintern comme « un grand événement, non seulement dans l’histoire de la classe ouvrière italienne mais aussi dans l’histoire du prolétariat européen et mondial », parce que « pour la première fois, on a vu le prolétariat se lancer dans la lutte pour le contrôle de la production sans y être contraint par le chômage et la faim ».
Ce fut un moment fort du biennio rosso italien, les « deux années rouges » de 1919-1920, qui ont vu non seulement des grèves de masse mais aussi des occupations d’usines par les conseils ouvriers, qui ont expérimenté l’autogestion de la production. L’Ordine Nuovo (L’Ordre Nouveau), à la fois journal et tendance politique que Gramsci a contribué à fonder à Turin au sein du Parti socialiste italien, s’est développé pendant les années rouges et a réfléchi à la signification plus large de ces luttes. Dans les pages de L’Ordine Nuovo, Gramsci introduit une phrase qu’il répétera toute sa vie : « pessimisme de la raison, optimisme de la volonté »2.
La tendance de L’Ordine Nuovo s’est basée sur le modèle de la révolution russe et a vu les conseils d’usine – que Gramsci considérait comme l’équivalent des « soviets » russes – comme le fondement de la révolution à venir, et de l’État ouvrier que cette révolution allait établir. Après que les bureaucraties du Parti socialiste et de son syndicat affilié, la Confédération générale du travail, eurent fait obstacle à la poursuite de la grève générale dans une direction révolutionnaire, contradiction qui allait resurgir autour des occupations d’usines à l’automne, la tendance de Gramsci, avec d’autres éléments de la gauche du parti, scissionne pour fonder le Parti communiste italien en 1921. En réaction à ces luttes et à leur possibilité émancipatrice, la violence fasciste s’intensifie, conduisant à l’ascension de Benito Mussolini. Le régime fasciste interdit le Parti communiste, et en 1926, Gramsci est emprisonné. Il mourra en prison en 1937.
« Pessimisme de la raison, optimisme de la volonté » est devenu l’un des clichés classiques de la politique. Il est censé suggérer que l’on devrait reconnaître clairement à quel point les choses vont mal, sans perdre espoir ; il signifie néanmoins la volonté consciente de changer le monde.
Ceci dit, il pourrait être sage de se méfier quelque peu d’un slogan qui semble si rassurant, applicable à tous les contextes sans modification. Le fait qu’il soit attribué à Gramsci n’aide pas vraiment les choses. En raison peut-être de la difficulté et de la complexité des écrits de Gramsci, souvent imputées à la nécessité d’écrire de manière ésotérique sous l’œil vigilant du censeur fasciste des prisons, les commentateurs contemporains se les sont parfois appropriés de manière vague et décontextualisée. Il est courant de voir Gramsci invoqué pour prôner des programmes de réforme gradualistes, avec le langage de la « guerre de position », ou de le voir transformé en critique culturel qui prône la construction d’une « contre-hégémonie » dans l’université – son enthousiasme ardent pour l’insurrection des conseils ouvriers semble s’estomper.
Aujourd’hui, nous devons nous remonter le moral, mais sans prétendre que les coronavirus et le changement climatique ne sont pas réels. Alors que les travailleurs de la Fiat se mettent en grève pour protester contre les risques du coronavirus, obligeant la direction à fermer ses usines en Italie et en Amérique du Nord, quelle meilleure autorité que Gramsci, martyrisé par le fascisme et écrivant entre deux guerres mondiales dévastatrices, pour donner son approbation à notre tentative désespérée d’optimisme ?
Cependant, si l’on excepte le contexte très spécifique dans lequel il a écrit ces mots au départ et les contextes très différents dans lesquels il les répétera plus tard, cette devise ne ressemble à rien d’autre qu’à une affiche sur le mur d’une classe de collège.
Parti
Cette formule n’est pas de Gramsci à l’origine ; il l’a tirée de l’écrivain français de gauche Romain Rolland (qui fera plus tard campagne pour la libération de Gramsci), dans sa critique du roman de Raymond Lefebvre, Le Sacrifice d’Abraham, en 19203. Gramsci a utilisé cette phrase pour la première fois dans son « Adresse aux anarchistes », publiée dans L’Ordine Nuovo en avril 1920, au moment où la situation à Turin s’accélérait en vue de la grève générale.
Il faut noter d’emblée que les anarchistes avaient joué un rôle absolument fondamental dans l’organisation des grèves et des conseils, et avaient produit certains des militants les plus efficaces et les plus dévoués du mouvement. En plaidant la supériorité de la théorie marxiste, Gramsci a donc dû tordre le bâton assez loin. L’anarchisme, disait-il, dans son opposition abstraite à l’État, ne parvenait pas à comprendre que la vraie liberté des travailleurs ne pouvait venir que de l’établissement d’un État ouvrier, forme déterminée de l’action humaine qui avait été démontrée et garantie par la Révolution russe. Il a introduit le slogan « pessimisme de la raison, optimisme de la volonté » pour résumer précisément « la conception socialiste du processus révolutionnaire ».
Selon les anarchistes, le « pessimisme de la raison » de Marx considérait les conditions des travailleurs comme si misérables que le seul changement possible passerait par une dictature autoritaire ; mais Gramsci a répondu que le « pessimisme socialiste » avait été confirmé par les horreurs de la Première Guerre mondiale et l’extrême pauvreté et oppression qui ont suivi. Le prolétariat était géographiquement dispersé et privé de ses moyens d’action, il formait des syndicats et des coopératives par pure nécessité, et non comme une action politique libre. Son activité était totalement déterminée par le mode de production capitaliste et l’État capitaliste. Il était donc purement illusoire, conclut-il, d’attendre de ces masses opprimées et soumises qu’elles « expriment leur propre volonté historique autonome ».
En d’autres termes, le pessimisme de la raison a démontré non seulement que la situation était mauvaise, mais aussi que la base de l’action révolutionnaire n’existait pas encore. Elle ne pouvait être apportée que par « un parti hautement organisé et discipliné qui peut agir comme un stimulant de la créativité révolutionnaire ». L’optimisme de la volonté n’était donc pas seulement la croyance qu’il était possible que les choses s’améliorent, mais la forme d’action très spécifique et concrète qu’était le parti d’avant-garde et sa mission d’établir un État ouvrier.
En d’autres termes, Gramsci agissait directement dans le cadre de la problématique léniniste. Aujourd’hui, nous avons dépassé le stade du choix forcé entre la caricature de cette problématique ou l’affirmation dogmatique de sa suprématie. Nous pouvons plutôt essayer de le situer historiquement et de comprendre sa validité et ses limites. Comme l’écrit Christine Buci-Glucksmann dans son étude classique, Gramsci et l’État, en soulignant le caractère de la pensée de Gramsci comme une « continuation du léninisme, dans des conditions historiques différentes et avec des circonstances historiques différentes » : « Continuer Lénine signifie une relation productive et créative qui ne peut jamais être épuisée par la simple application du léninisme par des élèves studieux, mais qui implique sa traduction et son développement. Cette nuance est d’une importance capitale, car elle souligne le fait que la seule « orthodoxie » autorisée est celle de la révolution »4.
En 1902 avec Que faire ? V.I. Lénine a répété, dans les conditions russes, l’orthodoxie du parti social-démocrate allemand. Selon cette orthodoxie, les travailleurs, laissés à eux-mêmes, ne s’engageraient que dans les luttes immédiates et quotidiennes pour améliorer leurs conditions. La conscience que cette lutte de classe devait être poussée plus loin, jusqu’à la conquête du pouvoir politique, aurait à être introduite de l’extérieur, par les intellectuels. La politique ne naîtra pas de l’action spontanée des travailleurs, mais de l’organisation d’un parti d’avant-garde de révolutionnaires.
L’articulation de cette thèse par Lénine a semé la discorde, pour le moins. La théorie orthodoxe considérait que ce processus se produisait en vertu de lois historiques, attirant de plus en plus de gens dans la classe ouvrière industrielle, les rassemblant dans des syndicats et leur permettant finalement d’obtenir une majorité au parlement. Les écrits de Lénine, de Que faire ? à L’État et la révolution en 1917, montrent qu’il a formulé une conception de la politique qui ne pouvait être réduite à des lois historiques. Lénine a avancé la thèse que la politique n’est pas simplement toujours là, mais qu’elle se développe dans des conditions spécifiques. Comme le dit Gramsci dans son premier texte « volontariste », « La révolution contre Le Capital », il s’agit d’une réfutation de l’interprétation mécaniciste du marxisme, qui, « contaminée par des incrustations positivistes et naturalistes », insiste sur le fait que « les événements doivent suivre un cours prédéterminé ».
La révolution bolchevique, selon Gramsci, a démontré la nécessité d’avoir des « agents actifs » de la politique, « pour s’assurer que les événements ne stagnent pas, que l’élan vers l’avenir ne s’arrête pas ».
La première condition léniniste de la politique a été le parti d’avant-garde, ce groupe de militants dévoués qui allait effacer la distinction entre intellectuels et travailleurs dans une direction collective. Le parti serait capable de reconnaître le potentiel révolutionnaire des mouvements spontanés, et pourrait leur apporter la conscience socialiste qui réaliserait ce potentiel. Mais en 1917, Lénine en est venu à considérer le parti comme existant à côté d’un autre site de la politique : le soviet. En anticipant le récit de Gramsci sur le rôle politique de la connaissance, nous pouvons dire que ce nouveau site de la politique a dépassé l’intelligence restreinte des militants qui composaient le parti d’avant-garde pour atteindre l’intelligence de masse des conseils radicalement démocratiques, les soviets.
La théorie orthodoxe avait cherché à entrer dans l’État parlementaire et à l’utiliser comme un instrument au service des intérêts de la classe ouvrière. Dans la vision de Lénine, les soviets prendraient en fait la place de l’État existant, permettant aux gens ordinaires de participer à l’administration de la société. Le soviet serait la forme d’une véritable autonomie, une forme de démocratie plus élevée que toutes les formes de démocratie parlementaire existantes auparavant.
Au lieu de cela, l’autorité centralisée du parti est devenue l’État, et a subordonné l’intelligence de masse des soviets au principe selon lequel seul le parti pense. Lénine, dans la position paradoxale du révolutionnaire d’État, a appelé de ses voeux une société dans laquelle « chaque cuisinier puisse gouverner » (pour reprendre la formulation optimiste de C.L.R. James), mais en pratique, c’est le parti-État qui a régné.
Pour le restant du XXe siècle, la politique d’émancipation devra se référer à cet exemple de renversement du pouvoir politique bourgeois par le parti qui devient l’État. Le léninisme a été un moment de l’histoire de la politique émancipatrice, mais au cours de son histoire, il s’est heurté aux limites du parti-État ; nous sommes toujours à la recherche d’une politique émancipatrice qui dépasse le parti-État.
Aujourd’hui, la devise de Gramsci est largement répétée, mais elle semble s’être complètement détachée des questions stratégiques et organisationnelles sous-jacentes qui en ont encadré l’utilisation par Gramsci dans L’Ordine Nuovo, où elle a été répétée à plusieurs reprises en faisant constamment référence aux problèmes d’organisation du parti. Lorsque Gramsci invoqua pour la première fois « le pessimisme de la raison, l’optimisme de la volonté » en 1920, en Russie le parti avait déjà supplanté l’intelligence de masse des conseils. L’enthousiasme de Gramsci pour les conseils, parallèlement à son insistance sur la rigidité du parti d’avant-garde – ce dernier venant de plus en plus supplanter les premiers dans ses réflexions entre les défaites de Turin et la formation du parti communiste – a fait apparaître un dilemme qu’il allait par la suite réexaminer et clarifier dans ses Cahiers de prison.
Ce qui rend Gramsci si déconcertant à lire et permet à son oeuvre d’être si facilement appropriée de manière irréconciliable est aussi potentiellement une source de grande lucidité, si nous comprenons les tensions dans sa pensée comme les aspects d’une réalité contradictoire plutôt que comme de simples obstacles extrinsèques à l’interprétation. Pour comprendre le déploiement ultérieur du slogan de Gramsci, nous devrons étudier les concepts clés des Cahiers de prison, en nous appuyant sur l’édition critique ; et pour interpréter les enjeux théoriques et politiques des conceptions évolutives du pessimisme et de l’optimisme de Gramsci, nous devrons examiner les catégories de raison et de volonté auxquelles elles sont rattachées.
Raison
Un thème récurrent dans les Cahiers de prison de Gramsci est que tous les gens sont des « philosophes » ou des « intellectuels », même si la division entre travail manuel et intellectuel dans la société fait que seuls de petits groupes de personnes sont reconnus comme étant capables de penser5. Pour le Gramsci des Cahiers de prison, tant que cette division existait, la tâche des personnes socialement reconnues comme intellectuelles serait de construire une culture révolutionnaire et d’assumer une direction révolutionnaire : « Il n’y a pas d’organisation sans intellectuels, c’est-à-dire sans organisateurs et dirigeants, c’est-à-dire sans que l’aspect théorique du lien entre théorie et pratique se distingue concrètement par l’existence d’un groupe de personnes « spécialisées » dans l’élaboration conceptuelle et philosophique des idées ».
Mais en même temps, le rôle des organisations politiques serait aussi de cultiver des « intellectualités » de masse. Ce terme particulier, qui semble être suspendu entre « intelligence » et « intelligentsia » dans les traductions courantes, remet en question la relation entre les deux. Mais malgré son apparente obscurité, comme le soutient Panagiotis Sotiris dans un brillant commentaire, la notion d’intellectualité nous renvoie à des « questions très concrètes concernant l’organisation et son rôle dans la transformation des modes de pensée, dans la confrontation avec les idéologies antagonistes, dans l’articulation des pratiques d’apprentissage ». Elle nous renvoie aux problèmes de la production de connaissances impliqués dans « l’élaboration des stratégies ».
La conception gramscienne des intellectualités de masse reconfigure la question du leadership politique. Pour suivre une autre ligne de son raisonnement dans les Cahiers de prison, le fait qu’il y ait des dirigeants et des dirigés est un fait incontournable de la politique ; mais la question est de savoir si le leadership est orienté vers la préservation de cette distinction pour l’éternité, ou vers la création « des conditions dans lesquelles cette division n’est plus nécessaire ». C’est pourquoi, pour Gramsci, « amener une masse de personnes à penser de façon cohérente et homogène le monde actuel réel est un événement « philosophique » bien plus important et « original » que la découverte par un « génie » philosophique d’une vérité qui reste la propriété de petits groupes d’intellectuels ».
Nous devons distinguer l’approche gramscienne des idéologies du dit « marxisme occidental » qui tournent autour de la conscience. Comme le souligne Buci-Glucksmann, pour ces idéologies, la « fonction spécifique » de l’intellectuel est de donner à la classe ouvrière « son homogénéité, son unité et sa vision du monde ». En revanche, le refus par Gramsci « d’une dissociation potentielle entre la conscience de classe philosophique et son agent réel, le prolétariat, exclut toute problématique des intellectuels qui les transformerait en dépositaires de la conscience de classe (comme chez le jeune Lukács) ou en garants de la critique du mode de production capitaliste ». C’est pourquoi, explique-t-elle, pour Gramsci, ce ne sont pas « les intellectuels en tant que tels qui permettent à une classe subalterne de devenir une classe dirigeante et dominante, une classe hégémonique ». Au contraire, « cette fonction est assurée par le Prince moderne, le parti politique d’avant-garde, comme base à partir de laquelle la fonction intellectuelle doit être considérée à nouveaux frais, ainsi que la relation entre la recherche et la politique, et leur tension réciproque ».
Comme le souligne Peter Thomas dans son étude détaillée et rigoureuse des Cahiers de prison, The Gramscian Moment, tel était déjà l’enjeu du biennio rosso. L’Ordine Nuovo était « une expérience paradigmatique de jeunes intellectuels qui cherchaient à redéfinir leur relation avec la classe ouvrière en termes actifs et pédagogiques – une relation dans laquelle ils étaient plus souvent éduqués que éducateurs »6.
Dans ses réflexions de 1930 en prison sur l’expérience de Turin, Gramsci a répondu aux accusations selon lesquelles le mouvement était « spontanéiste ». Il a répondu en insistant sur « la créativité et la solidité du leadership que le mouvement a acquis ». Il ne s’agissait pas d’une direction « abstraite », et celle-ci « ne consistait pas en la répétition mécanique de formules scientifiques ou théoriques ». Et surtout, « elle ne confondait pas la politique – l’action réelle – avec la réflexion théorique ». Au contraire, la direction du mouvement de Turin « s’est consacrée aux populations concrètes dans des relations historiques spécifiques, avec des sentiments, des modes de vie, des fragments de vision du monde, etc. spécifiques, qui étaient le résultat de combinaisons « spontanées » d’un environnement donné de production matérielle avec le rassemblement « fortuit » d’éléments sociaux disparates au sein de ce même environnement ».
Cette « spontanéité », selon Gramsci, « a été éduquée, on lui a donné une direction ». L’éducation et la direction du mouvement cherchaient « à l’unifier au moyen de la théorie moderne », mais elles le faisaient « d’une manière vivante et historiquement efficace ». En parlant de la « spontanéité » du mouvement, ses dirigeants ont souligné son caractère historiquement nécessaire, et « ont donné aux masses une conscience « théorique » d’elles-mêmes en tant que créatrices de valeurs historiques et institutionnelles, en tant que fondatrices d’États ».
Gramsci a déplacé la question de la conscience vers celle de la connaissance, et de sa constitution matérielle sous des formes organisationnelles. C’est l’originalité de sa lecture de Lénine, qu’il qualifie de « gnoséologique », souligne Buci-Glucksmann. Thomas oppose cela explicitement à l’épistémologie, qui serait le problème abstrait de la production de connaissance. « La gnoséologie », comme l’utilise Gramsci, « se réfère plus généralement à la réalité effective [Wirklichkeit] des relations humaines de connaissance ».
La réinterprétation par Gramsci du léninisme en termes de réalité effective des relations humaines de connaissance structure sa compréhension de la politique de la raison. Au niveau méthodologique, Gramsci a examiné l’affirmation marxiste classique selon laquelle les gens « acquièrent la conscience des conflits structurels au niveau des idéologies ». Ceci devrait être compris, a-t-il soutenu, « comme une affirmation de la valeur gnoséologique et pas simplement psychologique et morale ». La « plus grande contribution théorique » de Lénine au marxisme – le « principe théorique-pratique de l’hégémonie » – avait une « signification gnoséologique ». Lénine, écrit Gramsci, « a fait progresser la philosophie en tant que philosophie dans la mesure où il a fait progresser la doctrine et la pratique politiques ». Il situait le savoir dans ce que Gramsci appelait un « appareil hégémonique », qui, « dans la mesure où il crée un nouveau terrain idéologique, détermine une réforme des formes de conscience et des méthodes de connaissance : c’est un fait de connaissance, un fait philosophique ».
En intégrant la connaissance dans le concept de « l’appareil hégémonique », affirme Buci-Glucksmann, Gramsci a clairement différencié la théorie de l’hégémonie d’une pure théorie de la conscience ou de la culture. Il a souligné sa réalité matérielle « comme un ensemble complexe d’institutions, d’idéologies, de pratiques et d’agents (y compris les intellectuels) ». Ce n’était cependant pas la même chose qu’une étude libérale des institutions statiques, « car l’appareil hégémonique est recoupé par la primauté de la lutte des classes ».
Développant ce point, Thomas ajoute que « l’appareil hégémonique d’une classe est le vaste ensemble d’institutions (entendues au sens large) et de pratiques articulées – des journaux aux organisations éducatives en passant par les partis politiques – par lesquelles une classe et ses alliés engagent leurs adversaires dans une lutte pour le pouvoir politique ». Dans les rapports de force spécifiques entre les classes, « le potentiel de pouvoir politique d’une classe dépend donc de sa capacité à trouver les formes institutionnelles adéquates à la differentia specifica de son propre projet hégémonique particulier ».
La totalité des travaux de Gramsci nous renvoie, en d’autres termes, au problème de la recherche de nouvelles formes d’organisation, de partis politiques qui sont des « expérimentateurs historiques » de nouveaux types de connaissances. À cet égard, Sotiris souligne l’image gramscienne du parti comme un « laboratoire », plutôt que comme « l’état-major de l’armée prolétarienne ». Gramsci nous indique « un processus politique pour la production de connaissances, de stratégies, de tactiques et de formes d’intellectualité ». Ainsi, du point de vue de Gramsci, le parti n’est pas une structure prédéterminée qui subordonnerait les différents mouvements sociaux à son autorité. C’est plutôt le nom du laboratoire dans lequel, comme le dit Sotiris, une « pluralité de processus, de pratiques, de résistances et de collectivités » peut être unifiée en un « projet hégémonique commun », un projet qui combine « des formes nouvelles et originales de lutte, de résistance, de blocage, de réappropriation et d’émancipation ». Cette « unification potentielle nécessite de penser le parti ou l’organisation comme un laboratoire produisant des intellectualités, des stratégies, des tactiques, mais aussi comme une pratique hégémonique. C’est une rencontre constante entre pratiques, expériences et connaissances ».
Ramenons ce détour exégétique à la première déclaration de Gramsci : « pessimisme de la raison, optimisme de la volonté ». Il devrait être clair que Gramsci était en fait aux prises, quoique de manière hâtive et triomphaliste, avec la tension entre la reconnaissance sous-jacente du fait que tous les gens sont des intellectuels, et les conditions de la politique dans lesquelles ceux qui ont la fonction sociale d’intellectuels jouent un rôle de premier plan. La continuité de ces questions dans l’évolution de la pensée politique de Gramsci constitue le contexte essentiel pour comprendre son déploiement des concepts de pessimisme et d’optimisme dans les Cahiers de prison.
Volonté
Pour comprendre la réapparition de la phrase dans les Cahiers de prison, nous passerons théoriquement de la raison à la volonté, qui est non seulement un axe clé du développement complexe de la pensée de Gramsci, mais aussi un pilier de la répétition contemporaine du slogan. Or, il semble que cette phrase vise à nous décourager de rêver d’utopies, de minimiser les défaites ou d’écarter les dangers. Mais nous ne voudrions pas donner l’impression que cette insistance sur un pessimisme qui donne à réfléchir nous conduit au quiétisme et à la capitulation. L’optimisme de la volonté devient alors le complément nécessaire de quelque chose qui manque au pessimisme initial ; il nous permet d’être à l’aise avec le pessimisme, de diffuser le pessimisme à ceux qui s’accrochent à des illusions parce qu’ils seraient autrement incapables de faire face au désespoir que le pessimisme apporte.
Mais cette évaluation abstraite des sentiments occulte plutôt les enjeux qui étaient ceux de Gramsci, qui a répété cette phrase dans ses Cahiers de prison, où elle représentait une réflexion détaillée et systématique sur les questions stratégiques et organisationnelles de son expérience révolutionnaire. Le contexte historique a radicalement changé : en 1926, la politique révolutionnaire en Italie avait été vaincue et le fascisme avait consolidé son pouvoir. Dans ses Cahiers de prison, Gramsci réfléchit à nouveau à la politique. Comme le dit Buci-Glucksmann, « après l’échec de la révolution et la consolidation de la dictature, une nouvelle force ne peut venir que de la connaissance ».
C’est probablement d’une note de bas de page dans le volume anglais standard, Selections from the Prison Notebooks, qui a popularisé le slogan auprès des lecteurs anglophones en 1971. Le contexte était celui d’une discussion sur l’histoire de la politique et de la pensée politique italienne écrite entre 1930 et 1932, dans laquelle Gramsci réfléchissait sur « l’efficacité de la volonté politique » qui s’est « tournée vers l’éveil de forces nouvelles et originales plutôt que de compter simplement sur les forces traditionnelles ». Il s’inspire de Machiavel, dont la reconnaissance fondamentale du fait que « la politique est une activité autonome » constitue un complément nécessaire au marxisme qui, dans des conditions de défaite, a tendance à basculer dans un déterminisme économique mécaniciste. Dans sa croyance en la venue inévitable et prédéterminée des conditions révolutionnaires, ce déterminisme ne ressemblait à rien d’autre qu’à un fatalisme religieux.
Pour Gramsci, ce qui était important à propos de Machiavel, c’était sa prise de conscience que les transformations historiques annoncées par la Renaissance ne pouvaient pas être réalisées sans la formation d’un État national, et qu’il fallait un agent historique qui puisse représenter la « volonté collective » et réaliser cette tâche historique – le Prince. Mais le Prince n’était pas une personne déjà existante ; en écrivant Le Prince, Machiavel essayait de faire naître cet agent. Il comblait ainsi les lacunes des tendances précédentes de la pensée politique qui soit rêvaient d’utopies, soit se livraient à une analyse académique désintéressée.
La « volonté concrète » de Machiavel d’instaurer un nouvel ordre ne pouvait donc pas se réduire à des utopies et des rêveries, comme l’avaient accusé des sceptiques, tel son associé aristocratique Guicciardini. L’attitude sceptique qui écartait toute possibilité de changement historique devait être distinguée, écrivait Gramsci, d’un véritable « pessimisme de l’intelligence, qui peut être combiné avec un optimisme de la volonté chez les hommes politiques actifs et réalistes ».
Les éditeurs et les traducteurs des Selections from the Prison Notebooks ont alors ajouté une note de bas de page renvoyant à une autre partie des cahiers de 1932, un fragment indépendant sur « les rêveries et les fantasmes ». Gramsci a écrit que les rêveries et les fantasmes étaient fondamentalement passifs, imaginant que « quelque chose s’est produit pour perturber le mécanisme de la nécessité », et donc que « l’initiative propre est devenue libre ». En tant qu’orientation politique, cela contrastait fortement avec la volonté concrète de Machiavel, qui s’appliquait, écrit-il ailleurs, à la « réalité effective » et visait à « créer un nouvel équilibre entre les forces qui existent réellement et qui sont à l’œuvre ».
Il a répété ici la phrase décisive : « Au contraire, il est nécessaire d’orienter violemment son attention vers le présent tel qu’il est, si l’on veut le transformer. Pessimisme de l’intelligence, optimisme de la volonté ».
Ce langage est frappant, mais incompréhensible si l’on ne saisit pas la façon dont Gramsci utilisait Machiavel pour élaborer les problèmes de stratégie révolutionnaire qui le préoccupaient avant la prison. Machiavel, inscrit dans son moment historique particulier, représentait la formation d’une volonté concrète « en termes de qualités, caractéristiques, devoirs et exigences d’un individu concret ». Pour Gramsci, le « Prince moderne » – qui avait la tâche historique de réaliser l’alliance entre le prolétariat et la paysannerie qui serait capable d’initier le processus de transition vers un État ouvrier – ne pouvait pas « être une personne réelle, un individu concret ». Il devait plutôt être « un élément complexe de la société dans lequel une volonté collective, déjà reconnue et qui s’est en quelque sorte affirmée dans l’action, commence à se concrétiser. L’histoire a déjà fourni cet organisme, et c’est le parti politique – la première cellule dans laquelle se rassemblent les germes d’une volonté collective tendant à devenir universelle et totale ».
Ainsi, pour Gramsci, le pessimisme de la raison constituait le refus de concevoir la politique en fonction des rêves anhistoriques d’utopies. Cela ne signifiait pas simplement se résigner à l’équilibre de la réalité effective : l’optimisme de la volonté était l’application de l’autonomie de la politique aux forces réellement existantes et opératives qui pouvait apporter un nouvel équilibre. Mais cette volonté n’était pas simplement une question de détermination individuelle ; elle n’était rien d’autre que le parti, dont les processus d’organisation entraînaient la formation d’une volonté concrète et collective.
Comme l’écrit Sotiris, la réflexion de Gramsci sur Machiavel « résume la nécessité du parti politique, par opposition à d’autres formes d’organisation, précisément sur la base du besoin non seulement de former une volonté collective mais aussi de lui permettre d’articuler et de réaliser un projet politique ». Tout comme Machiavel « cherchait la personne qui pourrait servir de catalyseur pour un processus d’unification nationale de l’espace italien fragmenté, et le parti politique moderne », Gramsci pensait que le parti communiste « devrait également fonctionner de manière unifiante, en articulant les pratiques et les aspirations fragmentées et « moléculaires » des subalternes dans une demande politique commune de transformation radicale… ». Ainsi, Gramsci a traité le parti communiste comme « le terrain par excellence pour l’élaboration d’une volonté collective capable d’être le protagoniste d’un processus de transformation sociale ».
Mais comme le souligne Thomas, alors que Gramsci voyait le parti politique comme « la forme historiquement donnée dans laquelle les éléments décisifs d’organisation, d’unification et de coordination avaient déjà commencé à se produire », la réélaboration de cette forme en un « instrument non bureaucratique d’hégémonie prolétarienne » nécessiterait « un échange dialectique permanent avec les initiatives populaires d’où le Prince moderne pourrait émerger et dans lequel il chercherait à intervenir ».
Rappelons que ces réflexions sur la possibilité d’une organisation se sont déroulées dans des conditions de défaite. C’est dans ce contexte que Gramsci a amené la question stratégique et organisationnelle du parti vers le problème de la politique en tant qu’activité autonome. Comme l’écrit Thomas, « le Prince moderne pour Gramsci, emprisonné pour avoir été membre d’un parti communiste, était un corps collectif constitué comme une relation sociale active de connaissance et d’organisation » qui pouvait initier la formation d’une volonté collective. Mais « tout comme son prédécesseur machiavélien, le Prince moderne de Gramsci n’est resté qu’une proposition pour l’avenir, pas une réalité concrète, dans son temps ou dans le nôtre ».
Dans ce sens très concret, Gramsci est notre contemporain. Ce que nous manquons en réduisant le « pessimisme de la raison, l’optimisme de la volonté » à une sensibilité, c’est l’importance pratique des réflexions de Gramsci. En l’absence d’une forme d’organisation qui puisse fonctionner comme l’organisateur d’une volonté concrète et collective, la politique nous est devenue inaccessible. Pour rappeler la formulation de Gramsci, nous avons besoin de théories et de pratiques d’organisation qui soient orientées vers l’éveil de forces nouvelles et originales, plutôt que de compter sur les forces traditionnelles.
Éthique
Nous ne pouvons pas entièrement séparer la question organisationnelle de la politique en tant qu’activité autonome, qui court sans discontinuer de L’Ordine Nuovo aux Cahiers de prison, de ce que nous pourrions appeler la disposition éthique de ceux qui participent à la politique. Cependant, ces problèmes d’éthique doivent être distingués du niveau psychologique et moral, qui est aussi le niveau de la conscience, que Gramsci a clairement démarqué du niveau gnoséologique. Les écrits de Gramsci proposent de nouveaux principes éthiques, chacun marqué par des lignes de démarcation fondamentales, qui apparaissent dans des passages ne figurant pas dans la traduction anglaise initiale (mais qui ont été rendus disponibles dans l’édition plus importante réalisée par le père de Pete Buttigieg, Joseph), et dans ses lettres.
Dans une partie d’un passage plus long de 1929-30, Gramsci écrit que le « catastrophisme » de Marx est une réaction valable à « l’optimisme général du XIXème siècle ». Marx « a versé de l’eau froide sur l’enthousiasme avec sa loi de la baisse tendancielle du taux de profit ». Gramsci a critiqué la tendance optimiste à imaginer des utopies, ce qui a conduit les gens à fantasmer sur « des solutions faciles à tous les problèmes ». « Tous les rêveurs les plus ridicules », écrit-il, « descendent sur les nouveaux mouvements pour propager leurs histoires de génie méconnu, jetant ainsi le discrédit sur eux ». Il faut au contraire, dit-il, « créer des personnes sobres et patientes qui ne désespèrent pas face aux pires horreurs et qui ne s’exaltent pas à chaque bêtise. Pessimisme de l’intelligence, optimisme de la volonté ».
Dans un autre fragment indépendant des carnets de 1932, intitulé « Optimisme et pessimisme », il note que « l’optimisme n’est rien d’autre que la défense de la paresse, de l’irresponsabilité, de la volonté de ne rien faire », et est donc « aussi une forme de fatalisme et de mécanicisme ». L’optimisme consiste à s’appuyer « sur des facteurs étrangers à sa volonté et à son activité ». Ce qu’il fallait au contraire, c’était une réaction qui prenait « l’intelligence comme point de départ ». Gramsci rejetait l’enthousiasme résultant de l’exaltation de facteurs étrangers à la volonté et à l’activité de chacun, qui « n’est rien d’autre que l’adoration extérieure de fétiches ». Et pourtant, il y avait aussi un « enthousiasme justifiable », qui ne pouvait être que « celui qui accompagne la volonté intelligente, l’activité intelligente, la richesse inventive des initiatives concrètes qui changent la réalité existante ».
Nous ne pouvons pas ne pas remarquer que les oppositions binaires du slogan ont été déplacées. Il y a un optimisme lié à la « volonté de ne rien faire », qui s’oppose à une « volonté intelligente ». Un certain « optimisme de la volonté » n’est donc pas seulement le pendant du fatalisme et du mécanicisme, mais aussi une forme de rêverie utopique. Ce n’est pas seulement parce qu’il faut du pessimisme pour corriger l’optimisme de la volonté. L’alternative que Gramsci décrit en fait est plutôt une fusion de l’intelligence et de la volonté, la « volonté intelligente », qui s’accompagne d’une forme justifiable d’enthousiasme. Il rappelle ainsi le slogan imprimé dans un encadré sous le titre du premier numéro de L’Ordine Nuovo : « Éduquez-vous, car nous aurons besoin de toute votre intelligence. Soulevez-vous parce que nous aurons besoin de tout votre enthousiasme. Organisez-vous parce que nous aurons besoin de toutes vos forces ». L’enthousiasme est le premier nouveau principe éthique.
Dans une lettre de 1929 à son frère Carlo, dans laquelle il rappelle l’expérience que ses deux frères ont vécue dans des conditions de guerre, Gramsci réfléchit sur les difficultés et les privations et rejette « ces états d’esprit vulgaires et banals que l’on appelle pessimisme et optimisme ». Son état d’esprit, dit Gramsci, « synthétise ces deux émotions et les surmonte : Je suis pessimiste par intelligence, mais optimiste par volonté ». Il affirme qu’en « toutes circonstances », il pensait « d’abord à la pire des éventualités afin de mettre en œuvre toutes les réserves de ma volonté et être en mesure de faire tomber l’obstacle ». En même temps, il déclare : « Je n’ai jamais entretenu d’illusions et je n’ai jamais souffert de déceptions ». Mais il ne termine pas en reprenant le slogan, il se tourne plutôt vers d’autres mots : « J’ai toujours pris soin de m’armer d’une patience illimitée, non pas passive, inerte, mais persévérante. »
Peut-être qu’entre les Cahiers de prison et cette lettre, le niveau gnoséologique et le niveau psychologique et moral apparaissent confondus. Ici, Gramsci ne semble pas parler de la connaissance qui s’inscrit dans l’appareil hégémonique, le niveau organisationnel de la formation de la volonté concrète et collective. Pourtant, ces lettres ne peuvent être réduites à une simple indication de l’état psychologique et moral de Gramsci ; sa situation personnelle est précisément la condition historique et politique de la défaite qu’il s’est efforcé de théoriser, définie par le vide politique qu’aucun Prince moderne n’était en mesure de combler. Si nous nous empressons de confondre le psychologique et le moral avec le gnoséologique, nous courons le risque d’abstraire la volonté personnelle, comme Gramsci l’a critiqué dans ses notes sur les rêveries, en la détachant des processus organisationnels qui peuvent effectivement former une volonté concrète et collective.
Bien qu’il commence par les oppositions entre pessimisme et optimisme, intelligence et volonté, Gramsci les réoriente en fait dans cette lettre vers la « persévérance », une catégorie unitaire qui est liée non pas à l’optimisme ou au pessimisme, mais à la « patience ». Sous une certaine forme, écrit Gramsci dans une note de 1930-32, la persévérance est rendue possible par la philosophie mécaniciste de l’histoire : « Pour ceux qui n’ont pas l’initiative de la lutte et pour qui, par conséquent, la lutte finit par être synonyme d’une série de défaites, le déterminisme mécaniciste devient une formidable force de résistance morale, de cohésion, de persévérance patiente ». Cela permet de dire : « Je suis vaincu, mais à long terme, l’histoire est de mon côté. » En d’autres termes, ce type de persévérance est un « acte de foi dans la rationalité de l’histoire transformé en une téléologie passionnée qui se substitue à la « prédestination », à la « providence », etc. de la religion ». Cependant, Gramsci a fait valoir que malgré cette croyance dans le déterminisme mécaniciste, en réalité « la volonté est active ; elle intervient directement dans la « force des circonstances », bien que d’une manière plus secrète et voilée ». Lorsque ceux qui sont habitués à être battus deviennent des protagonistes historiques, « la conception mécaniciste représentera tôt ou tard un danger imminent, et il y aura une révision de tout un mode de pensée parce que le mode d’existence aura changé ».
Révisant la note en 1932-33, Gramsci souligne que les subalternes n’ont jamais vraiment été inactifs ; en fait, « le fatalisme n’est rien d’autre que l’habillement porté par une volonté réelle et active lorsqu’elle est en position de faiblesse ». C’est pourquoi il était nécessaire de « démontrer la futilité du déterminisme mécaniciste », qui « en tant que philosophie naïve de la masse » pourrait être « un élément intrinsèque de force », mais qui, s’il était « adopté comme une philosophie réfléchie et cohérente de la part des intellectuels », deviendrait « une cause de passivité, d’autosuffisance idiote ». Cela se produit lorsque les intellectuels « ne s’attendent même pas à ce que les subalternes deviennent directifs et responsables » ; mais en réalité, « une partie de la masse même subalterne est toujours directive et responsable ».
La persévérance ne peut donc pas être un principe politique si elle est attachée à la prophétie du futur, mais incarne plutôt la capacité patiente de reconnaître la volonté active qui persiste au-delà de l’état psychologique et moral personnel ; elle exige de la patience, et aussi du courage. Dans une note de 1930-32 sur « Les métiers militaires et politiques », Gramsci fait observer que « rester longtemps dans une tranchée exige du « courage » – c’est-à-dire de la persévérance dans l’audace – qui peut être produit soit par la « terreur » (une mort certaine si l’on ne reste pas), soit par la conviction qu’il est nécessaire (le courage) ». La persévérance est le deuxième nouveau principe éthique.
La persévérance est irréductible au niveau de l’individu, car c’est à ce niveau que, comme Gramsci a finalement été contraint de conclure, la dialectique du pessimisme et de l’optimisme s’effondre. Dans une lettre adressée à sa belle-sœur Tatiana Schucht en 1933, quelques mois après la nomination de Hitler comme chancelier de l’Allemagne, Gramsci revient sur son slogan. « Jusqu’à il y a peu, écrivait-il, j’étais pour ainsi dire pessimiste dans mon intelligence et optimiste dans ma volonté ». Mais il ne pouvait plus soutenir sa synthèse de pessimisme et d’optimisme : « Aujourd’hui, je ne pense plus de cette façon. Cela ne signifie pas que j’ai décidé de capituler, pour ainsi dire. Mais cela signifie que je ne vois plus d’issue concrète et que je ne peux plus compter sur aucune réserve de force à dépenser dans laquelle je puisse puiser ». Son corps lui faisant défaut, il ne voyait pas d’évasion de sa cellule de prison.
Sans un corps organisé et collectif pour le soutenir, le corps individuel vacille. Lorsque la condition politique du parti ne peut plus être considérée comme acquise, et que l’optimisme de la volonté est devenu un rêve éveillé, le pessimisme de la raison n’apporte pas de connaissance. Il nous faut au contraire persévérer dans l’interrègne entre les moments précédents de possibilité émancipatrice et la découverte inachevée d’une nouvelle forme politique hégémonique concrète.
La persévérance et l’enthousiasme doivent être séparés du mécanicisme et du fatalisme, et se référer plutôt à la volonté concrète qui s’applique à la réalité effective. Pour ce faire, ils doivent se fonder sur le corps collectif, et non sur la conscience individuelle. En tant que catégories psychologiques et morales, le pessimisme de la raison et l’optimisme de la volonté vont à l’encontre de la disposition éthique qui s’articule dans les marges du texte de Gramsci.
Le pessimisme de la raison se confirme dans l’expérience de la défaite, séparant le corps personnel du corps collectif qui nous est nécessaire pour persévérer. La persévérance en politique est difficile et exige un engagement patient et courageux qui ne dépend pas de prévisions sur l’avenir.
L’optimisme de la volonté obscurcit le problème des formes d’organisation et empêche leur investigation enthousiaste. Il signifie s’accrocher aux forces traditionnelles, plutôt que d’en créer et d’en organiser de nouvelles, et est donc incompatible avec la volonté intelligente qui se définit par l’enthousiasme pour des initiatives concrètes susceptibles de changer la réalité existante.
L’enthousiasme et la persévérance apparaissent comme les principes éthiques de Gramsci. Mais il est maintenant temps de conclure, en revenant sur le pessimisme et l’optimisme.
Inversion
Je crois que le moment présent nous montre que les idées de Gramsci ne sont pas bien représentées par le slogan « pessimisme de la raison, optimisme de la volonté ». En fait, nous comprendrons mieux notre situation si nous l’inversons précisément.
Optimisme de la raison car nous devons commencer par reconnaître que tous les gens sont capables de penser, qu’ils sont capables non seulement de se faire une idée du monde, mais aussi d’expérimenter de nouvelles possibilités. Il n’y a pas de politique émancipatrice sans reconnaître cette capacité universelle de penser. Gramsci n’a jamais manqué de souligner deux points essentiels : que tous les gens sont des philosophes, et que cette intelligence de masse est la base d’une société future ; et que malgré la division politique entre dirigeants et dirigés, gouvernants et gouvernés, il est possible de s’engager dans des formes d’action politique qui abolissent cette distinction plutôt que de la préserver. Ceci est bien différent d’un optimisme sur l’avenir, que nous devons passer sous silence. Notre optimisme de la raison est celui qui dit qu’il est possible pour les gens de se gouverner eux-mêmes, et dans chaque acte de résistance collective cette capacité est confirmée.
Mais pessimisme de la volonté, parce que nous savons que la volonté doit prendre une forme organisationnelle matérielle, et qu’à travers l’histoire de la politique révolutionnaire, la forme classique assumée par le jeune Gramsci n’est plus à notre disposition. Il nous manque la base concrète d’organisations sur le modèle des révolutions du XXe siècle, et nous savons, d’après l’histoire qui a suivi ces révolutions, que le potentiel émancipateur du parti s’emparant de l’État a été épuisé. Gramsci n’a jamais abandonné l’idée de Lénine selon laquelle la politique se développe sous conditions et que la volonté politique doit prendre une forme organisationnelle. Il a approfondi cette ligne de pensée pour une situation de défaite dans laquelle cette organisation des volontés n’était pas disponible. Il n’a pas eu peur de s’attaquer au problème de la conquête du pouvoir politique, qui nous occupe encore, mais il n’aurait pas pu intégrer dans son analyse l’épuisement du parti-État et la clôture de son horizon émancipateur qui encadre notre présent. Nous sommes toujours confrontés à la nécessité de la politique comme activité autonome, à la formation de volontés concrètes et collectives, mais qui doit prendre une forme matérielle adaptée au présent. Ce dont nous avons besoin maintenant, ce n’est pas d’une volonté volontariste de répéter les anciens modèles, mais de laboratoires qui puissent remarquer de nouvelles forces et expérimenter de nouvelles formes.
Notre horizon subjectif est l’optimisme de la raison ; notre condition objective et structurante est le pessimisme de la volonté. Sans l’optimisme de la raison, nous avons le parti sans le peuple. Sans le pessimisme de la volonté, nous avons l’illusion du pouvoir. Tant que nous ne reconnaissons pas cela, il n’y a pas de voie possible pour l’action.
Annexe : Où va le parti socialiste ?
L’éditorial non signé suivant, attribué à Gramsci, est paru dans L’Ordine Nuovo le 10 juillet 1920.
L’action directe des masses ne peut être qu’éminemment destructrice. Si les masses reprennent le slogan qui les conduit à exercer un contrôle sur l’activité publique et privée de la classe capitaliste, leur action ne peut que culminer dans la destruction complète de la machine d’État. Le prolétariat a repris le slogan : il faut contrôler le trafic pour arrêter les armes et les munitions destinées aux ennemis de la révolution russe, arrêter les marchandises destinées à la Hongrie des magnats de la terre, empêcher le mouvement des troupes qui veulent réactiver la guerre dans les Balkans et dans toute l’Europe ; il était inévitable que cela mène jusqu’aux événements d’Ancône, à l’insurrection armée.
L’action directe des masses laborieuses est révolutionnaire précisément parce qu’elle est éminemment destructrice. Puisque la classe ouvrière n’a aucun pouvoir sur la gouvernance industrielle, il est naturel qu’elle révèle la puissance économique acquise en tendant à détruire la discipline industrielle et toute discipline industrielle ; puisque la classe ouvrière occupe la même position dans l’armée que dans l’usine, puisque dans l’usine comme dans l’armée la classe ouvrière doit se soumettre à une discipline et à une loi qu’elle n’a pas contribué à établir, il est naturel qu’elle tende à détruire la discipline de l’armée, et à la détruire complètement ; puisque tout l’appareil d’État bourgeois est complètement étranger et hostile aux masses prolétariennes, il est naturel que toute action révolutionnaire visant à contrôler directement l’activité gouvernementale conduise en fin de compte à la destruction complète de l’appareil d’État bourgeois, à l’insurrection armée.
Les communistes sont bien persuadés que cela doit se produire, qu’il ne pourrait en être autrement ; c’est pourquoi les communistes ne craignent pas l’action directe des masses et la destruction inévitable qui l’accompagne. On a peur de l’imprévisible et de l’inattendu, pas de ce que l’on attend comme une nécessité et que l’on essaie de faire progresser : que nous essayons de faire progresser pour pouvoir dominer la réalité que l’on attend, pour faire en sorte que la destruction contienne déjà consciemment les éléments et la volonté de reconstruction, pour faire en sorte que la violence ne soit pas un déchaînement stérile de fureur aveugle, mais qu’elle soit un pouvoir économique et politique qui se libère et fixe les conditions de son propre développement.
Le slogan pour le contrôle de l’activité gouvernementale a conduit à des grèves des chemins de fer, à des grèves générales résultant des grèves des chemins de fer, ce qui a conduit à l’insurrection d’Ancône. Comme la Confédération générale du travail (c’est-à-dire le secrétaire intérimaire) a une conception du contrôle des travailleurs qui est celle d’un jardinier anglais, comme la Confédération générale du travail veut un contrôle bien fait, qui respecte la liberté, l’ordre et la démocratie, la Confédération a immédiatement publié cette circulaire : « Pour la Hongrie et pour la Russie, nous ne pouvons faire que ce que nous pouvons et non ce que nous pourrions vouloir. Il nous semble que le déraillement de chaque wagon, en plus d’être pratiquement difficile, entraînerait des conséquences (!) et des complications (!?!). Votre action doit donc se limiter à ce qui est possible, à tout ce qui est possible en évitant les complications ».
L’économie précède la politique ; puisque les réformistes et les opportunistes ont entre les mains tout le mécanisme du mouvement ouvrier italien, les réformistes et les opportunistes ont entre les mains le pouvoir du Parti Socialiste, lui imposant une direction et une tactique : l’action du parti s’est effondrée, les mouvements de masse ont servi le groupe parlementaire, pour lui permettre de récolter victoire sur victoire, ils ont servi à permettre aux députés réformistes de consolider leurs positions et de faciliter, et donc de rendre plus riche de lauriers, un accès au pouvoir gouvernemental. Il arrive donc, en raison de l’incapacité politique des composantes de la direction, que le Parti socialiste italien perde chaque jour un peu plus de sa force et de son pouvoir d’organisation sur les masses. Il est arrivé que le Congrès Anarchiste de Bologne ait eu une telle importance pour les masses prolétariennes, il arrivera donc, si les groupes communistes ne réagissent pas énergiquement, que le parti finisse par perdre tout contrôle sur les masses, et ces dernières, n’ayant pas de guide, seront entraînées dans le déroulement des événements dans une situation pire que celle des masses d’Autriche et d’Allemagne.
Nous, de l’Ordine Nuovo, et les socialistes turinois en général, avons été présentés au prolétariat italien, après le mouvement d’avril, comme une populace fanatique, agitée et indisciplinée. Les dirigeants des centrales ne se préoccupent pas de ce qui se passe chez les industriels et chez les ouvriers, car ils considèrent que l’histoire se déroule par l’opération d’abstractions idéologiques (les classes en général, le parti en général, l’humanité en général), et non par l’action d’hommes réels qui se nomment Pierre, Paul et Jean et qui sont ce qu’ils sont vraiment, et non par l’action de communautés urbaines et rurales déterminées dans l’espace et le temps, qui changent (et changent rapidement dans la période actuelle) avec les changements de lieux, le passage des mois et même des semaines, ces dirigeants ne prévoient rien de tout cela, et finissent par voir la queue du diable dans tout événement, par décharger leur responsabilité historique sur les épaules des groupes indisciplinés et anarchoïdes qui se multiplient.
Pendant ce temps, la section socialiste de Turin a eu le mérite de formuler une action pour arracher le contrôle du mouvement syndical aux réformistes, en prédisant (prédiction facile) qu’au moment final les patrons syndicaux auraient saboté la volonté du parti et des masses : cette action n’a pas eu les résultats qu’elle aurait dû avoir à cause de l’intervention même de… la direction du Parti. La section de Turin, accusée d’indiscipline après le mouvement d’avril, avait déjà, avant le mouvement, préparé son rapport au Conseil national dans lequel elle condamnait sévèrement la direction pour n’avoir consacré aucune préoccupation à l’organisation révolutionnaire et à l’établissement d’une discipline fortement centralisée et responsable.
Malheureusement, le rapport de la section de Turin est toujours d’actualité ; les derniers événements sont la répétition aggravée des événements d’avril à Turin. Il est devenu plus pertinent que nous n’aurions pu le croire, y compris ce paragraphe : « Le parti politique de la classe ouvrière ne justifie son existence que dans la mesure où, en centralisant et en coordonnant puissamment l’action prolétarienne, il oppose un pouvoir révolutionnaire de fait au pouvoir légal de l’État bourgeois et limite sa liberté d’initiative et de manœuvre. Si le Parti ne parvient pas à unifier et à coordonner ses efforts, et se révèle être une simple institution bureaucratique, sans âme ni volonté, la classe ouvrière se mettra instinctivement à former un autre parti et à faire allégeance aux tendances anarchistes, celles-là mêmes qui critiquent amèrement et sans cesse la centralisation et la bureaucratie des partis politiques ».
Le Parti manque d’organisation et de propagande pour l’organisation révolutionnaire, qui corresponde à la configuration des masses prolétariennes dans les usines, dans les casernes, dans les bureaux, et soit capable de former les masses à chaque assaut révolutionnaire. Le Parti, dans la mesure où il ne cherche pas à fusionner vitalement avec les masses prolétariennes, continue à conserver, dans ses assemblées qui ne se réunissent qu’occasionnellement et ne peuvent contrôler efficacement l’action des patrons syndicaux, la figure d’un parti purement parlementaire, qui a peur de l’action directe parce qu’elle est pleine d’imprévus, qui est obligé de faire chaque jour plus de pas en arrière et de permettre la renaissance du réformisme le plus pompeux et le plus fragile et de la propagande collaborationniste la plus insensée.
Un effort énorme doit être fait par les groupes communistes du Parti socialiste, qui est ce qu’il est, en fin de compte, car l’Italie dans son ensemble est un pays économiquement arriéré. Le slogan : « pessimisme de la raison, optimisme de la volonté » doit devenir le slogan de tout communiste conscient des efforts et des sacrifices qui sont demandés à ceux qui assument volontairement le poste de militant dans les rangs de la classe ouvrière.
Article initialement publié sur Viewpoint
Asad Haider est l’auteur de Mistaken Identity: Anti-Racism and the Struggle Against White Supremacy (Verso, Spring 2018).
- Gwynn Williams, Proletarian Order: Antonio Gramsci, Factory Councils and the Origins of Italian Communism (London: Pluto Press, 1975), 203-8.
- La formule qui apparaît dans les traductions publiées, « pessimisme de l’intelligence », est plus précise ; mais le slogan a largement circulé avec le mot « raison », qui le rend peut-être plus mélodieux. J’ai simplement utilisé les deux termes de manière interchangeable.
- Antonio Gramsci, Lettres de prison (1926-1934), Traduit de l’Italien par Hélène Albani, Christian Depuyper et Georges Saro. Paris : Éditions Gallimard, 1971.
- Christine Buci-Glucksmann, Gramsci et l’État. Pour une théorie matérialiste de la philosophie, Paris, Fayard, 1975.
- Antonio Gramsci, Cahiers de prison, tome I. Cahiers 1, 2, 3, 4 et 5, introduction, avant-propos, notices et notes de Robert Paris, trad. Monique Aymard et Paolo Fulchignoni, Paris, Gallimard, 1986, rééd. 1996. Cahiers de prison, tome II. Cahiers 6, 7, 8 et 9, avant-propos, notices et notes de Robert Paris, trad. Monique Aymard et Paolo Fulchignoni, Paris, Gallimard, 1983. Cahiers de prison, tome III. Cahiers 10, 11, 12 et 13, avant-propos, notices et notes de Robert Paris, trad. Paolo Fulchignoni, Gérard Granel et Nino Negri, Paris, Gallimard, 1978. Cahiers de prison, tome IV. Cahiers 14, 15, 16, 17 et 18, avant-propos, notices et notes de Robert Paris, trad. Françoise Bouillot et Gérard Granel, Paris, Gallimard, 1990. Cahiers de prison, tome V. Cahiers 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28 et 29, avant-propos, notices et notes de Robert Paris, trad. Claude Perrus et Pierre Laroche, 1992.
- Peter Thomas, The Gramscian Moment: Philosophy, Hegemony, and Marxism (Leiden: Brill, 2009).