Les jeunes ne seront plus jamais sages !

Récit de la mobilisation lycéenne du mercredi 18 décembre et réflexion sur les perspectives

Mercredi 18 décembre était annoncée comme une « journée noire » pour les établissements de la métropole parisienne. En banlieue comme à Paris, plusieurs dizaines d’établissements sont bloqués, totalement ou partiellement, par des centaines de lycéens. Malgré les jérémiades gouvernementales et les discours paternalistes voire infantilisants, ces derniers ne sont pas dupes et ont bien compris qu’ils seront les premiers concernés par la réforme des retraites. L’occasion pour eux de dénoncer également la précarité de la jeunesse, en écho à l’étudiant qui s’est récemment immolé devant le Crous de Lyon, et l’extension toujours plus grande des violences policières.

Depuis bientôt deux semaines, une partie de notre équipe tente de suivre quotidiennement la situation au dépôt RATP de Lagny, à porte de Vincennes, dans le 20e arrondissement. Les lycées Maurice Ravel et Hélène Boucher se situent à quelques mètres de là. Nous avons saisi l’opportunité pour suivre toute la matinée le déroulement du blocus et articuler un retour en deux temps sous la forme d’un récit et de considérations tactiques au regard des mobilisations lycéennes des années précédentes.

Récit des blocus  : «  On veut la retraite à 16 ans  » – tag présent devant le lycée Hélène Boucher

Quelques dizaines d’élèves sont présents bien avant l’ouverture des deux établissements. Des poubelles et des barrières sont rassemblées pour pouvoir bloquer les portes d’entrées. Certains citoyens attachent visiblement plus d’importance à des poubelles qu’à la retraite des prochaines générations et ne ratent pas l’occasion de faire des remontrances aux lycéens. Heureusement, d’autres les encouragent et les soutiennent. Les personnes venues soutenir les grévistes du dépôt RATP de Lagny accompagnent les lycéens, mais les laissent gérer l’organisation et ne sont qu’un appui moral face à des possibles violences policières et administratives.

Il est bientôt 7h30, l’heure d’un départ groupé pour rendre effectif les blocages des lycées. Deux groupes sont répartis à des endroits différents. Le groupe du lycée Maurice Ravel est attaqué par un vaillants policiers, qui ne trouvent rien de mieux à faire que de plaquer au sol un lycéen et de dégainer des matraques télescopiques. La présence des soutiens, enseignants, étudiants ou grévistes de divers horizons, qui filment cette scène, refroidit la police. Pendant ce temps là, les ingénieux lycéens passent à toute vitesse, en pratiquant la fameuse technique du Naruto Run, posent les poubelles et s’installent dessus. Jusqu’à 8h, des poubelles sont ramenées. Un sapin viendra compléter l’esthétique et rappeler que Noël se déroulera sur les blocages.

Rapidement, des lycéens arrivent par dizaines et constatent l’effectivité des deux blocus. Dans la joie et la détermination, une multitude de slogans résonnent  : «  HB, debout, soulève-toi  !  », «  Macron nous fait la guerre et sa police aussi, mais on reste déter pour bloquer nos lycées  », «  Tout le monde déteste la police  » et bien d’autres. Des enceintes chantent de tous les côtés les meilleurs sons de Jul, Gradur, Heuss l’enfoiré, mais la musique de cette matinée restera pour sûr «  Fuck le 17  » de 13 Block, s’expliquant par la présence policière devant Hélène Boucher et les gazages à répétition.

Toutefois, les violences policières n’ont en aucun cas effrayé les lycéens, qui n’ont pas bougé quand la police a utilisé des gaz lacrymogènes et ont même réussi à conserver les poubelles. En effet, la police et la direction avaient pour objectif de les saisir pour les rentrer à l’intérieur de l’établissement. Ce fut un échec cuisant. Très peu d’élèves, si ce n’est aucun, n’a pu aller en cours. Seuls les collégiens ont passé le barrage filtrant. Fait rare, et appréciable, le CPE de l’établissement a retenu les policiers pour les empêcher de continuer à gazer.

Aux alentours de 10h, la foule grossit et l’atmosphère devient plus combative. Les lycéens ne supportent plus les policiers et leurs remarques. Des fumigènes sont allumés pour mettre l’ambiance. Les lycéens s’amusent à charger et pousser la police, qui réplique en gazant. Un élève trouve de quoi faire un lasso et essaye d’attraper les policiers. Tout le monde rigole. Quelques minutes plus tard, les premiers œufs volent et touchent leur cible. La tenue anti-émeute vient remplacer la tenue civile. Les œufs continuent de pleuvoir et le blocus continue, tandis que les portes de l’établissement seront définitivement fermées. Le blocus du lycée Maurice Ravel tient également, mais la police n’y est pas présente. C’est à cela que l’on détermine le penchant politique des directeurs d’établissements.

Sous les huées, les policiers se font charger et invectiver par plusieurs centaines de lycéens. En pleine hésitation, ne sachant pas comment réagir, la police fait demi-tour et plie bagage. L’occasion est trop belle. Les lycéens tentent un départ en manifestation sauvage qui ne prend pas, mais ils décident spontanément de bloquer le Cours de Vincennes, axe important pour la circulation parisienne. Des poubelles sont entassées sur la route. L’une d’elle est allumée, ce qui va susciter un débat entre les élèves à propos du rapport entre écologie et incendie tactique pour bloquer efficacement. Le même CPE qui avait protégé les élèves arrive avec un extincteur pour éteindre le feu  : le débat est clos.

Au bout de plusieurs dizaines de minutes, le temps de créer des bouchons conséquents sur plusieurs kilomètres, la police revient et empêche le blocage de l’axe routier. Il est bientôt 12h. On sent que la fatigue et les interventions policières commencent à peser. Petit à petit, la foule diminue, mais des lycéens d’autres arrondissements convergent et une manifestation sauvage circulera dans l’est parisien.

Les jeunes ne seront plus jamais sages !
Cours de Vincennes, devant le lycée Héléne Boucher. 18/12/19

Quelques considérations tactiques sur les blocages en Île-de-France

  1. La détermination n’est pas qu’une question de nombre. Là où les organisations syndicales persistent à mettre l’accent sur la quantité, les blocages de lycées et de dépôts RATP démontrent que la puissance d’un mouvement tient souvent à des noyaux déterminés, organisés et imprévisibles. Là où les militants sont souvent effrayés, si ce n’est tétanisés, par la répression policière, les lycéens et les bases syndicales démontrent qu’il est encore possible de bloquer et de perturber le cycle de l’économie sous toutes ses formes. De la même manière que les gilets jaunes l’avaient démontré et le prouvent encore tous les week-ends depuis plus d’un an.
  2. Quand l’ennemi est plus fort, sois plus malin. Le tournant répressif et sécuritaire n’est plus à démontrer, comme le soulignait David Dufresne en expliquant que même BFM TV ne met plus de guillemets pour parler de violences policières. Pour autant, la résignation ne doit pas devenir la règle. Plutôt que de s’affronter physiquement avec la police, les lycéens ont usé de divers mécanismes pour entraver les entrées des établissements. En s’asseyant ou en s’allongeant, par exemple, sur des poubelles entassées en hauteur, ainsi qu’en tournant certaines situations en ridicule.
  3. Pour faire monter la sauce, ne grille pas les étapes. Cette matinée de blocage aux lycées Maurice Ravel et Hélène Boucher démontre qu’une ambiance, festive et combative, n’est possible qu’en étant patient. Si ces derniers avaient dès 8h jeté des œufs sur la police, la réaction n’aurait fort probablement pas été la même. Avant cela, les slogans, les mêlées avec la police, les fumigènes et les extincteurs, sont autant d’éléments qui ont permis de créer une unité parmi la foule d’élèves rassemblés et mobilisés contre la réforme des retraites.
  4. Manifester sans déclarer, pas sans annoncer. L’une des grandes erreurs de cette matinée aura été de ne pas avoir de point de rendez-vous public pour se rassembler et manifester, alors que plusieurs milliers de lycéens étaient susceptibles d’y prendre part. Assumer une part d’opacité tactique est primordial. Cependant, comme nous l’avons toujours répété, l’organisation se doit d’être par moments rejoignable et publique pour les non-militants. En cela que la donnée de la masse est nécessaire pour qu’une manifestation puisse assumer un caractère antagonique. De 2013 à 2016, le Mili l’avait bien compris, tout comme les assemblées lycéennes, qui appelaient à 11h nation pour ensuite manifester. Choisir l’endroit propice, là où le plus de lycées peuvent converger, à pieds et non en métro, permet de semer une zizanie dans la métropole et de fusionner les milliers de voix en une seule.
  5. Inégalité territoriale, penser la liaison entre la périphérie et le centre. Les blocus lycéens reconduisent une division socialement orchestrée par l’urbanisme, sous la forme d’une violence de classe et néo-coloniale, dans la mesure où le prolétariat de la périphérie n’est pas sujet à la même répression que les lycéens parisiens. En effet, la bac y intervient de manière plus violente, n’hésitant pas à frapper et interpeller : plus vite et plus fort. La réponse y est tout aussi proportionnelle, c’est-à-dire que les niveaux d’antagonisme et les pratiques de résistance collective prennent souvent des tournures émeutières. Par conséquent, il est plus que nécessaire d’assurer une présence conjointe sur ces deux territoires, d’aider à leur mise en communication et favoriser des échanges mutuels.

Retrouvons-nous sur les points de blocage, multiplions les interventions et les démonstrations de solidarité en acte  !

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