La France, phare mondial de l'islamophobie

Vendredi 15 mars 2019, Brenton Terrant, suprémaciste blanc d’origine australienne, a tué 50 personnes et en a blessé 50 autres au cours d’une attaque terroriste à l’arme à feu, visant deux mosquées à Christchurch en Nouvelle-Zélande.

Dans un long fascicule de 74 pages, où se mêlent différentes filiations idéologiques d’extrême droite comme l’ethno-nationalisme, l’éco-fascisme ou le néo-nazisme, le terroriste détaille ses motivations en exprimant ses craintes et ses fantasmes sur la disparition de la race blanche.

Il y explique que son séjour en France en 2017 a été déterminant dans son passage à l’acte et décrit un pays en péril face à « l’invasion » des non blancs, une France en proie au « grand remplacement ». Il tire ce concept, dont il se sert pour le titre de son texte, des écrits de l’écrivain d’extrême droite Renaud Camus selon lequel l’Europe voit actuellement sa population blanche se faire remplacer par une immigration extra-européenne, essentiellement noire et arabe, et musulmane. Terrant a vécu comme une tragédie la victoire de Macron aux présidentielles, symbole selon lui de la finance internationale immigrationiste, face à Marine Le Pen, représentante du camp « quasi nationaliste ». Si c’est bien le corpus idéologique d’extrême droite qui semble avoir déterminé à passer à l’acte le meurtrier, il faut faire attention à ne pas isoler ce corpus du contexte politique français dans lequel médias, intellectuels et politiciens relaient massivement l’idéologie dont Renaud Camus a donné l’expression la plus aboutie.

Si l’antifascisme autonome a depuis de nombreuses années été en première ligne, et bien seul, face à l’extrême-droite traditionnelle, il n’en demeure pas moins que celle-ci ne constitue que la partie émergée de l’iceberg suprémaciste blanc. Un antifascisme conséquent a aujourd’hui pour adversaire principal l’État bourgeois et raciste, son appareil idéologique et ses institutions qui distillent quotidiennement une islamophobie d’État.

Car ce n’est pas l’extrême-droite qui était à l’initiative de la loi sur le voile de 2004. Loi qui sous prétexte d’émanciper les jeunes filles qui portaient le foulard (le blanc a souvent la prétention d’émanciper le non blanc, et plus particulièrement les non blanches) a en réalité privé d’une scolarité normale des centaines de jeunes filles et n’a fait qu’aggraver leur exclusion du monde du travail, accroissant ainsi leur dépendance vis-à-vis des hommes de leur foyers. 

Année après année, c’est l’ensemble du champ politique français qui s’est engouffré dans l’islamophobie la plus crasse, que ce soit par la promulgation de lois et de mesures d’exception réglementant la visibilité religieuse des français.es musulman.e.s dans l’espace public ou par des campagnes racistes infâmes. Tout y est passé, de la manière de se vêtir aux habitudes alimentaires, des pratiques rituelles aux débats ignobles sur la légitimité d’une jeune femme voilée à chanter dans une émission de télévision.

Dans chacune de ces « affaires », on retrouve des représentants de tous bords, dont les médias bourgeois se font les relais serviles. Manuel Valls, Caroline Fourest, Jean-François Copé, Éric Zemmour, BHL, Finkielkraut, Onfray etc., ont bien plus contribué à l’émergence et la banalisation des discours islamophobes que ne l’ont fait Génération Identitaire ou le GUD.  Rappelons qu’Anders Breivik, qui avait également eu la charmante idée de justifier son massacre dans un texte immonde, citait plusieurs fois Finkielkraut, adepte lui aussi de la thèse du grand remplacement. En France, Finkielkraut est producteur sur France culture et académicien.

La France, phare mondial de l'islamophobie

Nos élites se targuent souvent du rayonnement intellectuel de la France, force est de constater que celui-ci tient aujourd’hui pour une large part aux élaborations islamophobes de ses « penseurs ». Partout sur les plateaux de télévision et dans les journaux, on déroule le tapis rouge aux discours anti-musulmans sans que cela ne semble jamais choquer personne. Au lendemain des attentats en Nouvelle-Zélande, David Pujadas invite Robert Ménard, raciste notoire et défenseur de la thèse du grand remplacement pour analyser le massacre. Y voir du cynisme serait une erreur. David Pujadas est tout simplement un relai du racisme ambiant : un raciste qui en invite d’autres pour parler d’un acte raciste. L’immense majorité des médias français sont sinon des acteurs, du moins des complices de cette campagne abjecte, qui a été parallèlement menée au sein de l’appareil d’État et de ses appareils idéologiques, progressivement acquis aux discours et pratiques islamophobes.

La fonction principale de ce discours, à l’extérieur, est de légitimer les guerres impérialistes, dans le monde musulman notamment, et, à l’intérieur, de justifier les pratiques policières racistes via une militarisation des quartiers populaires dont la population est en grande partie musulmane. Cette gestion humiliante des quartiers populaires est directement inspirée de la période coloniale. Pensons aux dévoilements forcés de jeunes filles devant les lycées, aux interdictions de prier dans les rues, aux fermetures administratives de mosquées, ou à l’offensive hallucinante  constituée par les milliers de perquisitions violentes visant des familles musulmanes lors de l’état d’urgence post-attentats en 2016.

Derrière cette hystérie raciste, il y a le vieux rêve colonial d’assimiler les sujets indigenisés dans le projet républicain, afin de masquer tout particularisme culturel au profit d’une norme dominante. Brenton Terrant n’est que la face hideuse, la déclinaison radicalisée de la guerre intérieure et extérieure menée contre les musulmans et contre les non-blancs de manière générale par l’occident – la France formant, depuis des décennies, l’une des pointes avancées de ce projet.

Le traitement médiatique des tueries de masse est exemplaire à cet égard.

Si le tueur est noir ou arabe, on ne cherchera jamais à se pencher sur les explications sociologiques ni sur les convictions idéologiques qui l’ont conduit à son geste. Le lendemain de l’assasinat de Brenton Tarrant, Robert Ménard, parmi d’autres, défendait la thèse du grand remplacement à la télévision française.

L’islamophobie est devenue un racisme respectable, c’est même presque un gage de progressisme et de modernité. C’est pour défendre le droit des femmes ou des homosexuels que l’on critique l’Islam. Et Elisabeth Badiner de déclarer aux heures de grandes écoutes qu’ « il ne faut pas avoir peur de se déclarer islamophobe ». L’islamophobie permet même à certains de s’acheter une responsabilité, comme lorsque Marine Le Pen appelle la communauté juive de France à voter pour elle parce qu’elle incarnerait le seul rempart contre « l’antisémitisme islamiste », alors même que son parti fut fondé par d’anciens collaborateurs et autres néonazis.

Si nous voulons éviter que d’autres tueries ne se produisent, il est impératif de lutter avec force contre ces pompiers pyromanes et tenir l’État français pour ce qu’il est : le principal producteur et relai de l’islamophobie en France, au rayonnement mondial. Nous reste donc à construire un mouvement hégémonique qui porte la contradiction face aux islamophobes de tous poils, qu’ils soient journalistes, ministres, académiciens ou « socialistes », y compris lorsque portant l’irresponsabilité à son comble, ils ont l’indécence de vouloir commémorer la mémoire de victimes dont le sang entache leurs mains. Voilà le seul hommage que nous pouvons rendre aux victimes de Christchurch.

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