Alors qu’à Kaboul les armées occidentales, États-Unis en tête, terminent leurs opérations d’évacuation dans un contexte marqué par l’intervention sanglante de la branche afghane de Daech, alors que nous ne mesurons sans doute pas encore les conséquences historiques de la défaite américaine en Afghanistan, il nous a semblé nécessaire de remonter le fil d’une guerre qui se poursuit sans interruption depuis 40 ans. Voici donc une synthèse factuelle et chronologique, partant de la révolution communiste d’avril 1978 jusqu’à l’Opération Enduring Freedom en passant par le soutien américain au djihad anti-soviétique durant les années 1980.
17 avril 1978
Le Parti démocratique populaire d’Afghanistan (PDPA), d’inspiration communiste, avait participé au renversement de la monarchie afghane et à l’instauration de la République en 1973. Le 17 avril 1978, l’un de ses cadres, Mir Akbar Khyber est assassiné devant son domicile. Le PDPA accuse le gouvernement de Mohammad Daoud Khan. Deux jours plus tard, une manifestation de protestation rassemblant quinze mille personnes se termine par une rafle au cours de laquelle plusieurs dirigeants du PDPA sont arrêtés dans le cadre d’une opération répressive ordonnée par Daoud.
28 avril 1978
C’est dans ce contexte que le PDPA, craignant d’être liquidé, renverse le régime de Daoud le 28 avril 1978 et donne naissance à la République démocratique d’Afghanistan. Cet événement reste connu sous le nom de révolution de Saur (« Saur » se référant au mois d’avril dans le calendrier persan).
Dans les mois qui ont suivi la révolution, le nouveau pouvoir a lancé une série de réformes d’ampleur : distribution de terres à 20 000 paysans, abolition de l’ushur (la dîme due aux propriétaires terriens par les ouvriers) et interdiction des pratiques usurières, réglementation des prix des produits de première nécessité, nationalisation des services sociaux et leur garantie pour tous, droit de vote pour les femmes, légalisation des syndicats, interdiction des mariages forcés et de l’échange de filles contre des gains financiers, remplacement des lois traditionnelles et religieuses par des lois laïques, mise hors la loi des tribunaux tribaux, éducation accessible à tous, y compris aux filles qui n’étaient auparavant pas autorisées à aller à l’école1.
Ces réformes se heurtent fortement aux autorités religieuses et tribales locales qui s’opposent aux politiques du nouveau régime communiste.
14 septembre 1979
Nour Mohammad Taraki, d’abord journaliste, a été secrétaire général du PDPA à partir de 1965, et président du Conseil révolutionnaire d’avril 1978 à septembre 1979. Proche de l’URSS, il est assassiné le 14 septembre 1979 par son rival au sein du parti, Hafizullah Amin, qui prend sa place et concentre les pouvoirs.
24 décembre 1979
Début de l’intervention soviétique en Afghanistan. Amin est tué au cours de l’Opération Chtorm-333, menée par les forces spéciales soviétiques. L’URSS place au pouvoir l’un de ses hommes de confiance, Babrak Karmal.
Avant même l’entrée des Soviétiques en Afghanistan, les États-Unis lancent un programme secret de soutien à la rébellion islamiste.
La guerre d’Afghanistan s’est déroulée du 24 décembre 1979 au 15 février 1989 et a opposé les forces armées de la République démocratique d’Afghanistan (RDA), soutenues par un contingent de troupes terrestres et aériennes de l’Union soviétique, à divers groupes de moudjahidines, soutenus matériellement et financièrement par les États-Unis, le Pakistan et l’Arabie saoudite.
Oussama Ben Laden, milliardaire saoudien, a organisé et financé les moudjahidines en faisant venir des armes, de l’argent et des combattants du monde arabe en Afghanistan.
Les différents groupes de moudjahidines ont fini par disposer d’environ 4 000 bases en Afghanistan. C’est du regroupement financé et organisé par Oussama Ben Laden qu’est né, en 1988, le réseau terroriste Al-Qaïda.
L’Afghanistan est l’un des pays les plus pauvres du monde mais il revêt pour les puissances impérialistes une grande importance géopolitique, stratégique et économique, notamment en raison de la présence du gazoduc qui traverse le Turkménistan, l’Afghanistan, le Pakistan et l’Inde, également connu sous le nom de « Trans-Afghanistan Pipeline ».
25 septembre 1986
En 1986, alors que la situation militaire sur le terrain semble stagner, les États-Unis prennent l’initiative d’une escalade qui fait basculer le rapport de forces en abolissant le contrôle soviétique de l’espace aérien : ils décident d’équiper les moudjahidines afghans de missiles sol-air Stinger capables de frapper les hélicoptères et avions de combat.
Les missiles Stinger ont été employés pour la première fois en Afghanistan le 25 septembre 1986 lorsqu’un groupe d’une trentaine de moudjahidines a tiré sur deux hélicoptères d’attaque Mi-24 alors qu’ils débarquaient à l’aéroport de Jalalabad.
15 février 1989
Après plus de neuf ans de guerre, qui ont causé de vastes destructions en Afghanistan ainsi que d’importantes pertes humaines, l’intervention soviétique dans le conflit s’est terminée par un retrait général de ses troupes le 15 février 1989, suite à la signature des accords de Genève entre la RDA et le Pakistan.
24 avril 1992
Le départ des troupes soviétiques laisse les communistes afghans, sous la direction de Mohammad Najibullah, se défendre seuls face aux moudjahidines. Ceux-ci parviennent à résister durant trois ans (là où l’armée afghane financée et formée par les États-Unis vient d’être balayée en quelques semaines par les Talibans), jusqu’à la chute du gouvernement de la RDA en avril 1992. Il fallut la décision de la Russie, qui avait pris la succession de l’Union soviétique, de ne plus livrer d’armes à ses alliés d’hier et la défection du général Abdul Rachid Dostom pour mettre à bas le régime. L’État islamique d’Afghanistan est proclamé le 24 avril.
27 septembre 1996
Mais dès la chute du régime communiste, les moudjahidines se divisent et des luttes sanglantes entre factions éclatent, provoquant une nouvelle et âpre guerre civile, dont les Talibans (soutenus par le Pakistan voisin) sortent vainqueurs en 1996. Suite à leur entrée dans Kaboul le 27 septembre 1996, ils torturent et assassinent l’ancien président communiste Najibullah, qui s’était réfugié dans l’immeuble des Nations Unies depuis la chute de son régime en 1992. Le 28 octobre, l’État afghan est officiellement nommé « Émirat islamique d’Afghanistan », et se base sur une application obscurantiste de la charia. Son dirigeant, le mollah Omar s’auto-proclame « commandeur des croyants ».
Le Front islamique uni pour le salut de l’Afghanistan, également connu en Occident sous le nom d’Alliance du Nord et dirigé par Ahmed Chah Massoud, unifie alors plusieurs groupes combattants afghans commandés par les « seigneurs de la guerre » précédemment en conflit dans le but de combattre les Talibans. Ceux-ci contrôlent en 1998 environ 90% du territoire.
11 septembre 2001
L’administration Bush a justifié l’invasion de l’Afghanistan sous le prétexte de la « guerre contre le terrorisme » après les attentats du 11 septembre 2001, dans le but déclaré de détruire Al-Qaïda et de capturer ou tuer Oussama ben Laden, considéré par les États-Unis comme le seul responsable des attaques contre les tours jumelles et le Pentagone.
Mais les attentats du 11 septembre 2001 ne sont pas l’œuvre du seul Oussama Ben Laden, plutôt le résultat final d’une opération beaucoup plus vaste et complexe qui a impliqué des milieux très proches de la famille royale saoudienne (avec laquelle la famille Bush – des pétroliers texans – était et est restée, également après le 11 septembre 2001, en excellents termes).
C’est ce qu’ont écrit, en 2016, les membres des commissions du renseignement de la Chambre et du Sénat américains dans un rapport intitulé « Enquête conjointe sur les activités des services de renseignement avant et après les attaques terroristes de septembre 2001 ». Cette enquête a débuté au lendemain des attentats contre les tours jumelles et le Pentagone et s’est terminée en décembre 2002.
En mars 2017, les familles de 800 victimes des attentats du 11 septembre 2001 ont porté plainte contre l’Arabie saoudite pour complicité dans ces attaques qui ont fait quelque 3 000 morts. 15 des 19 poseurs de bombe impliqués dans l’attaque étaient des ressortissants saoudiens. L’action en justice se fonde, en grande partie, sur des documents secrets récemment publiés aux États-Unis.
7 octobre 2001
Le 7 octobre 2001 marque donc le début de la campagne occidentale en Afghanistan tandis que le territoire sous contrôle taliban est envahi par les groupes de l’Alliance du Nord.
À la fin de l’année 2001, grâce à l’intervention des États-Unis, l’Alliance du Nord a repris la majeure partie de l’Afghanistan aux Talibans et a reconnu le nouveau gouvernement afghan mis en place par les forces occidentales. Hamid Karzaï, un ancien collaborateur de la Central Intelligence Agency (CIA), devient président par intérim en décembre.
Dans la deuxième phase, après la conquête de Kaboul, les troupes occidentales, Américains et Britanniques en tête, ont augmenté leur présence également au niveau territorial pour soutenir le nouveau gouvernement afghan. C’est l’opération « Enduring Freedom ».
Une Force internationale d’assistance à la sécurité (ISAF), coalition militaire placée sous l’égide de l’OTAN, est mandatée par les Nations unies pour opérer sur le terrain aux côtés des soldats américains.
20 mars 2003
Début de l’invasion américaine de l’Irak. Avec cette nouvelle étape de la « guerre globale contre la terreur », les États-Unis détournent leur attention de l’Afghanistan. Le 1er mai 2003, le secrétaire à la défense, Donald Rumsfeld, se rend ainsi à Kaboul et annonce la fin des « activités de combat majeures » en Afghanistan, où se trouvent 8 000 soldats américains.
Les Talibans profitent de ce tournant pour se regrouper dans leurs bastions du Sud et de l’Est et changer de stratégie. Ils privilégient désormais les attentats aux affrontements directs : l’attentat-suicide devient leur arme de guerre, le nombre d’attaques passe de six en 2004 à 21 en 2005, et à 123 en 2006.
Dans le même temps, l’hostilité de la population afghane vis-à-vis des armées d’occupation étrangères ne cesse de croître. Au cours des quatre premiers mois de l’année 2008, environ 200 civils afghans sont tués par les forces internationales, la plupart dans des attaques aériennes.
1er décembre 2009
Dès son entrée à la Maison Blanche, Barack Obama entame un recentrage stratégique. Il décide en décembre 2009 d’envoyer 30 000 soldats supplémentaires en Afghanistan, portant à 100 000 le nombre de soldats américains engagés (ils étaient 35 000 au moment de son élection). Obama justifie cette escalade par la volonté de mettre un terme à la guerre avant la fin de son mandat et esquisse un calendrier de retrait.
Lors de son sommet annuel en 2010, l’Alliance atlantique annonce qu’elle va transférer progressivement, « à l’horizon 2014 », la responsabilité des opérations sur le terrain aux forces de sécurité afghanes.
28 décembre 2014
L’ISAF, la force de combat de l’OTAN, met un terme à sa mission de combat en décembre 2014, à la fin d’une année qui aura été marquée par l’élection d’Ashraf Ghani à la présidence (entachée de soupçons de fraudes massives) et « l’offensive de printemps » des Talibans qui progressent et multiplient les attaques meurtrières.
Restent alors 12 500 soldats étrangers, dont 9 800 Américains, pour former les troupes afghanes et mener des opérations antiterroristes. C’est la mission « Soutien résolu » qui débute en janvier 2015.
Mais alors que son deuxième mandat touche à sa fin et que le dernier soldat américain était censé avoir quitté le pays d’ici à la fin 2016, Obama ralentit le retrait de ses troupes et explique que les États-Unis maintiendront 8 400 soldats en Afghanistan jusqu’en 2017. « Les Talibans restent une menace. (…) Les forces de sécurité afghanes ne sont pas encore aussi fortes qu’elles devraient l’être », justifie-t-il.
21 août 2017
Après avoir fait campagne sur un retrait rapide d’Afghanistan, le nouveau président américain Donald Trump se ravise et affirme le 21 août 2017, depuis la base militaire de Fort Myer en Virginie, que le départ des 8 000 soldats encore sur place créerait un « vide » qui profiterait aux « terroristes ».
Le début de l’année 2018 est d’ailleurs marqué par une recrudescence des attentats, à l’initiative notamment de l’EI, actif depuis 2015. Au cours des six premiers mois, 1 700 civils sont tués : c’est le pire bilan en dix ans, selon l’ONU.
29 février 2020
Après des années de négociations (les premières « discussions préliminaires » secrètes ayant été rapportées dans la presse en 2011), les États-Unis signent en janvier 2020 un accord avec les Talibans qui prévoit le retrait de tous les soldats étrangers d’ici à l’été 2021, en échange de garanties sécuritaires et de l’ouverture de négociations directes inédites entre les insurgés et les autorités de Kaboul. Des pourparlers inter-afghans s’ouvrent en septembre à Doha.
15 août 2021
En mai 2021, les quelque 10 000 soldats occidentaux encore présents entament leur retrait. Mi-mai, les Américains se retirent de la base aérienne de Kandahar. Le 2 juillet, les troupes américaines et de l’OTAN restituent à l’armée afghane la base aérienne de Bagram, centre névralgique des opérations de la coalition, à 50 km au nord de Kaboul. Le 8, le président américain Joe Biden déclare que le retrait de ses forces sera « achevé le 31 août ».
Les Talibans en profitent pour lancer une offensive éclair qui balaye en quelques semaines la fragile armée afghane. Après avoir conquis les capitales provinciales les unes après les autres, ils entrent dans Kaboul le 15 août 2021 et s’emparent du palais présidentiel sans combattre. Le président fantoche Ashraf Ghani a pris la fuite, les Occidentaux précipitent l’évacuation de leurs ressortissants dans une atmosphère de débâcle qui rappelle la prise de Saïgon en 1975.
Le 16 au petit matin, le drapeau américain est retiré de l’ambassade des États-Unis à Kaboul.
Selon l’analyse du Watson Institute de l’université de Brown (Rhode Island), la guerre aura coûté plus de 2 260 milliards de dollars (1 860 milliard d’euros), 2 442 soldats américains y auront trouvé la mort, ainsi que 1 444 soldats des forces alliées. Plus de 47 000 civils afghans auront été tués, ainsi que près de 70 000 membres de l’armée et de la police afghanes.
Sources : Le Monde, Contropiano
- En 1988, les femmes représentaient 40 % des médecins et 60 % des enseignants à l’Université de Kaboul.