UNE JOURNÉE AVEC LES BRIGADES DE SOLIDARITÉ POPULAIRE

Depuis deux semaines, sur le modèle des Brigate Volontarie per l’Emergenza fondées à Milan, on voit éclore à Paris et dans de nombreuses villes de France des Brigades de Solidarité Populaire, travaillant, à distance de l’État, à l’établissement d’un réseau de solidarité et d’entraide à l’échelle européenne. Le photographe Maxwell Aurélien James du Collectif Œil a suivi une de ces brigades implantée au nord de Paris, lors d’une distribution de masques auprès de travailleurs de secteurs à la fois particulièrement exposés et délaissés par l’État et leur employeur.    

Il y a deux semaines, dans sa prétention d’organiser par le haut la « mobilisation civique », le gouvernement lançait une plate-forme en ligne intitulée « jeveuxaider.gouv ». Dans le contexte du confinement, en tâchant de mettre en lien des forces atomisées avec des structures existantes (principalement associatives) pour en grossir les rangs, il espère être en mesure d’assurer un service minimal d’entraide : distribution de produits de première nécessité, garde d’enfants de soignants, aides aux personnes dépendantes, fragiles et isolées. En creux, le gouvernement demande à la « société civile » de travailler à l’élaboration des types de solidarité dont il sait bien qu’il ne peut la mettre en œuvre, et qu’il ne veut prendre en charge, de manière à ce qu’un service qu’il ne saurait rendre lui-même (aux échelles nationale, régionale, locale) soit tout de même assuré. En somme, il espère partir avec honneur, en donnant l’impression d’avoir catalysé l’entraide à un moment où elle s’avérait particulièrement nécessaire. Il va de soi qu’elle sera bénévole : les investissements sont nuls, les retours strictement symboliques.

Encore une fois, qu’il ne faille compter que sur nos propres forces, c’est là une certitude qui ne doit pas nous quitter. Tandis que le gouvernement se payait d’annonces rassurantes, et feignait de tendre la main aux soignants qui persistent, aujourd’hui encore, à fabriquer leurs propres masques pour se protéger du virus, des brigades de solidarité populaire émergeaient dans plusieurs villes européennes, également touchées par le désastre sanitaire, et à divers degrés minées par l’inaction de pouvoirs à la solde du monde de l’économie. Depuis lors elles travaillent à tisser les solidarités concrètes qu’exige l’urgence de la situation. Elles n’ont pour cela besoin ni de l’État et de sa solidarité en kit, ni de sa réserve civique et ses outils numériques compensatoires. On en compte déjà plus d’une dizaine en France : à Marseille, à Lyon, à Nantes, à Rennes, dans plusieurs arrondissements de Paris, dans sa banlieue sud et sa banlieue nord.

Maxwell Aurélien James du Collectif Œil a suivi des brigadistes du nord de Paris, à l’occasion de la distribution d’un stock de masques.

EHPAD PARIS, 19ÈME ARRONDISSEMENT

Depuis le début de l’épidémie, dans les EHPAD, durement frappés par une vague de décès liés au Covid-19, la situation est – et demeure – préoccupante pour les résidents comme pour le personnel soignant. En Île-de-France, plus grand foyer épidémique français, on compte près de 700 établissements où résident plus de 50 000 personnes âgées – pour les trois quarts des femmes – en situation de dépendance. Plus de trois mille d’entre elles y ont déjà perdu la vie, contaminées par le coronavirus. La situation en EHPAD, loin d’être encore suffisamment documentée, demeure toutefois l’un de ces points aveugles qu’oubliaient, jusqu’au 04 avril dernier, aussi bien le décompte funèbre de Jérôme Salomon que les « mesures exceptionnelles » du chef de l’État et son gouvernement. Les masques chirurgicaux y sont distribués au compte-gouttes et les FFP2, comme dans les centres hospitaliers, sont la plupart du temps inexistants. Le problème des équipements de protection, dans les EHPAD, n’est pas de l’ordre du dispensable. Il y est une question de vie ou de mort.

DELIVEROO ÉDITION, SAINT-OUEN, SEINE SAINT-DENIS

Parmi les entreprises non-essentielles à l’organisation des moyens de la survie qui persistent à mettre en danger leurs travailleurs (même « indépendants »), on trouve les plate-formes numériques de livraison, Deliveroo, UberEats, Stuart et consorts. C’est avec l’appui de l’État que ces entreprises – via des logiques de gouvernementalité incitatives et contraignantes – persistent à mettre en danger leurs coursiers et coursières, pour livrer tacos, sushis et autres plats aux française.e.s confiné.e.s qui ont la chance de pouvoir « rester chez eux ». Tandis que la plupart des restaurants de France ont été contraints de fermer par les mesures d’urgence, les cuisines de Deliveroo à Saint-Ouen tournent à plein régime. L’entreprise ne fournit aux livreurs aucun matériel de protection.

CENTRE BUS RATP BELLIARD, PARIS, 18ÈME ARRONDISSEMENT

Si la Régie autonome des transports parisiens n’hésite pas à apporter son soutien, de principe et non de fait, au personnel hospitalier dans sa lutte contre le coronavirus, force est d’observer que ses propres salarié.e.s – celles et ceux contraint.e.s au travail, participant de la désormais fameuse « deuxième ligne » des métaphores martiales de Macron –, ne sont toujours pas équipé.e.s en matériel basique de protection : ni gants, ni gel, ni masque. Tous les jours, des milliers de salarié.e.s de la RATP partent au travail pour assurer le « service minimal de continuité » des transports, dans la crainte et l’appréhension des risques de contamination encourus, inquiets pour eux-mêmes, mais aussi pour leurs familles. Celles et ceux qui ont tenu de longs mois de grève lors du dernier mouvement contre la réforme des retraites, celles et ceux qu’on a souvent taxés de privilégiés en raison de leur « régime spécial », sont celles et ceux-là mêmes qui persistent à défendre un service public en ruine, même en situation de crise, malgré les manquements de l’État et de leur employeur. Leur donner les moyens de se protéger sur leur lieu de travail devrait être une mission prioritaire.

En matière de gestion de crise sanitaire, de même qu’en matière de protection de la population, le pouvoir politique a achevé de démontrer son impéritie. Il est non seulement désarmé, impuissant, mais il est surtout responsable, et ses remèdes sont pires que le mal. En conséquence personne n’attend plus son secours. C’est à distance de l’État que la solidarité et l’autodéfense s’organisent. Seul le peuple sauve le peuple !

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