Nous avons rencontré Arnold, fondateur de l’Écho des banlieues, qui est un média indépendant ayant pour but de « donner la parole aux quartiers populaires ». Né en 2017 dans le contexte du mouvement Justice pour Théo contre les violences policières, impulsé par la plateforme Génération Ingouvernable en région parisienne, le média d’Arnold suivait essentiellement les blocages lycéens dans un premier temps – d’où son nom initial, Blocus infos. Peu à peu, son activité s’est orientée plus spécifiquement autour des quartiers populaires, avec des reportages qui reflètent en immanence la réalité sociale et territoriale de la jeunesse des banlieues, son expérience de la répression, mais aussi des fragments de vie quotidienne – à travers la musique par exemple. Dans cette interview, Arnold revient sur la trajectoire de son média, son mode de travail et les leçons qu’il en tire.
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ACTA : Initialement, l’écho des banlieues s’appelait blocus info, peux-tu nous expliquer les raisons de la bifurcation des mobilisations lycéennes à une information régulière de l’intérieur des banlieues ?
Arnold : Quand j’ai créé la page, comme le nom l’indique, ce n’était que pour les blocus. C’était au moment des blocus lycéens qui ont eu lieu lors de l’affaire Théo. Du coup, je ne couvrais que ça à la base. Étant originaire de banlieue, j’ai commencé à faire des petits reportages indépendants sur ce qui se passait en banlieue, sur ce qui se passait chez nous. Et je me suis dit : non, je ne peux pas parler des antifascistes, des manifestations et en même temps parler des banlieues. C’était bizarre de parler d’un sujet, puis de l’autre d’un coup. Je me suis dit qu’il fallait que je choisisse un sujet, donc j’ai changé le nom et je l’ai appelé l’écho des banlieues car je bossais sur ce qui s’y passait.
ACTA : La place des violences policières a été centrale dans la construction de ton média. Comment se déroule la recension des vidéos et leur mise en circulation ?
Arnold : Il faut savoir que la plupart des reportages que vous avez pu voir sur l’écho des banlieues, par exemple, une bavure dans le 93 ou dans le 92, c’était les jeunes qui venaient nous le dire. Ils nous expliquaient qu’ « il s’est passé ça, ça ou ça » ou alors ils nous envoyaient un message sur la page. Des fois, c’est moi qui le remarquais et je cherchais des contacts. Je trouvais une personne du quartier et je lui expliquais ce qu’on faisait. Avec ceux qui connaissaient déjà la page, ça allait très vite. Ils me disaient de venir sur place et j’y allais le soir même ou le lendemain. J’allais filmer et je trouvais sur place les contacts des gens qui voulaient parler.
ACTA : Pourquoi as-tu choisi le format Instagram pour faire tourner ces vidéos ?
Arnold : Pour te dire la vérité, j’avais créé un Instagram il y a longtemps, mais ça ne buzzait pas, jamais. Quand j’ai commencé à faire autant de photos que de vidéos, j’ai vu que les gens aimaient bien les photos, car je montrais des portraits, des enfants, des jeunes. La réalité. C’est là que la page a commencé à monter. Au début, quand je mettais des vidéos, il n’y avait personne sur la page. Quand j’ai eu 1000 abonnés, j’étais content. Pour moi, c’était un truc de fou. Du coup, le format Instagram, c’était plus pour les photos. En fait, c’est ça qui marche maintenant. Tout le monde est sur Instagram.
ACTA : D’ailleurs, quelle différence fais-tu entre les photos et les vidéos ? Qu’est-ce que ça retranscrit comme différentes réalités selon le format ?
Arnold : Le format photo va représenter les portraits des gens. En vidéo tu vois aussi des gens, mais la photo c’est plus l’intimité des personnes. Quand je vais de près et que je prends les enfants en photo, qu’ils sont en train de s’amuser et qu’ils font les stars derrière leurs bâtiments, je trouve que c’est magnifique. Pour moi, la photo va plus montrer la réalité. C’est plus l’aspect social, de la vie. Les vidéos aussi, mais les photos sont plus réelles et ça a plus d’impact.
ACTA : J’ai l’impression qu’à la différence d’autres médias ta page est suivie par beaucoup de gens qui viennent des quartiers. On a quand même l’impression que ce ne sont pas des gens hors des quartiers qui vont réaliser les reportages. Ce que tu fais, ça vient de l’intérieur.
Arnold : Comment expliquer que ce soit aussi brut… Quand j’ai renommé la page l’écho des banlieues, je voulais que ça soit un média « par nous et pour nous » et que le jeune, que ce soit une fille ou un garçon, puisse se sentir représenté. Je ne veux pas qu’en regardant on se dise que c’est un reportage BFM, mais qu’on se dise que c’est quelque chose qui est fait pour nous, que la personne kiffe et soit à fond dedans. Je ne voulais pas faire comme BFM ou TF1 : se cacher derrière je ne sais quoi et mettre une musique bizarre en disant « les quartiers sensibles ». Je voulais montrer la réalité des quartiers sans chercher à adoucir ou assombrir ce qui s’y passait. Je peux filmer des moments de solidarité comme filmer des armes. C’était un choix, mais c’est aussi ça qui a fait que les jeunes s’y sont reconnus, car il n’y avait pas de fake.
ACTA : Depuis quelque temps, tu arpentes avec ton équipe différentes cités pour donner la parole aux jeunes à travers le rap. Pourquoi avoir choisi ce format plus qu’un autre ?
Arnold : J’ai pris le rap comme une arme, comme une sorte d’engagement. Il y a une phrase, je ne sais plus qui l’a dite, qui dit qu’on ne peut pas prétendre faire du rap sans prendre position. Quand j’ai intégré le rap, c’était pour mettre en avant les talents, mais je savais aussi que c’était un moyen d’expression dans les quartiers et que ça allait parler à tout le monde. La preuve est que ça a bien marché et que ça a même explosé. Je ne voulais pas rester à faire uniquement des reportages sur la police. Je voulais changer un peu. Là on parle de rap, de bécane, de rénovation urbaine, voilà. On parle un peu de tout. Je ne voulais pas parler toute ma vie de la police.
ACTA : Donc, tu as l’impression que le rap permet d’exprimer d’autres choses que de montrer des vidéos de jeunes qui se confrontent à la police ?
Arnold : Oui, avec le rap, c’est là que tu vois la haine qui est enfouie dans certaines personnes. La haine ou la misère qu’ils ressentent. Par exemple, je me souviens d’avoir filmé un jeune à Lyon dans le quartier de Bron. Plein de jeunes rappaient, mais il y en a un qui m’a marqué parce qu’il a raconté sa vie, la manière dont il a grandi. À la fin, je suis allé lui parler et je l’ai suivi avec la page. Le rap permet de ressentir des choses. Le rap, c’est plus le négatif et la dureté des quartiers.
ACTA : Tout à l’heure, tu m’as dit que tu faisais des vidéos sur les bécanes et les rodéos. Tu peux m’en parler un peu ?
Arnold : J’ai lancé une série de portraits. Je n’ai pas encore donné de nom. Peut-être que je vais l’appeler ‘Ma bécane’ ou ‘Bike life’. Je ne sais pas encore. Je suis un jeune qui fait de la bécane dans son quartier pendant toute une journée entière, qui est fasciné par ça. On le filme. On le prend en photo. On l’interview. C’est pour montrer qui sont les jeunes derrière les bécanes, car ce ne sont pas juste des jeunes qui « lèvent » et qui rentrent chez eux. Ils ont une vie et ils en font quelque chose. Pour eux, la bécane c’est un mode d’expression. Ils s’amusent. Ils font du sport. C’est leur passion. Maintenant, il y a le problème de la police qui les prend en chasse. C’est ça qui est dangereux. Par exemple, à Montargis, ils sont arrivés (la police, NDLR) et je filmais à ce moment-là. On était en train de parler, c’était la fin du tournage, et la police est arrivée. Direct, le jeune a bombardé et j’avais la caméra à la main, donc j’ai dit « ça y est, c’est filmé, c’est filmé ». Mon pote faisait de la photo. Du coup, la police ne l’a pas pris en chasse car ils ont vu qu’il y avait deux caméras. Sinon, ils y vont comme des fous. Dans certains quartiers, ils ont abandonné le fait de les prendre en chasse. Par exemple, à Lyon, ils les laissent faire. C’est trop dangereux.
ACTA : Vous entretenez quels rapports avec les journalistes traditionnels ?
Arnold : Nous, on ne parle pas avec les médias traditionnels. On ne communique pas avec eux. On parle avec les médias indépendants, enfin les bons médias indépendants. Les médias traditionnels, non. C’est eux qui viennent nous parler quand il se passe un truc grave. Par exemple, comme à Mantes la Jolie. Ils nous ont dit « est-ce qu’on peut avoir vos images pour mettre dans le 20h ? ». Je dis tout le temps « oui, mais faites gaffe à ce que vous dites », parce que je veux que ça soit vu. Ce n’est même pas pour le buzz ou pour vendre les images. Je veux juste que ça aille loin et que ça fasse du bruit, que les gens se disent que c’est grave ce qui a pu se passer là ou là-bas. De toute façon, on s’appelle toujours avant. Je veux que ce soit visible, mais je leur dis de mettre ça « comme ça » et de ne pas dire de la merde. Ils respectent moyennement, mais c’est déjà ça de pris.
ACTA : Quand tu vas dans les quartiers, quel rapport les jeunes entretiennent-ils vis-à-vis de la gauche institutionnelle, des partis politiques ou des mouvements sociaux comme les gilets jaunes ?
Arnold : Pour les gilets jaunes, il y en a certains qui suivent de près et qui aiment beaucoup, mais ils n’y vont pas car ils savent qu’ils risquent de se faire défoncer. D’autres y sont déjà allés. Pour tout ce qui est politique, ils n’y croient plus. Ils ne croient plus en la politique, comme moi et plein d’autres jeunes.
ACTA : Mais, où est l’espoir dans les quartiers s’ils ne croient plus en la politique ? Quand tu leur parles, tu as l’impression qu’ils attendent quoi, finalement ?
Arnold : Ils attendent qu’il y ait quelqu’un qui les représente. Quelqu’un qui soit comme eux. Enfin, je pense que c’est ça et ce n’est que mon avis. Peut-être que je me trompe.
ACTA : Pour en revenir à l’écho des banlieues, est-ce que vous vous donnez pour perspective de jouer un rôle fédérateur à un moment où il y a eu beaucoup de violences entre des jeunes de quartiers voisins ? Autrement dit, de véhiculer des valeurs de solidarité ?
Arnold : Contrairement à beaucoup de pages de quartiers qu’il y a sur Instagram ou sur Snapchat, qui partagent beaucoup de vidéos de violence et de rixe car ils savent que ça buzz et que les jeunes adorent ça, nous on a jamais partagé ce type de contenu. Je suis contre ça et j’en ai horreur. Quand je vois des jeunes qui se poignardent et qui sont dans la même ville, même s’ils viennent de cités voisines, je ne supporte pas. J’ai toujours eu un message de médiateur. Les gens savent que ça ne sert à rien de nous envoyer ce type de vidéo et qu’on ne partagera pas. À chaque fois qu’il y a eu des affaires de violence inter-quartiers, on a toujours fait des appels au calme. Parce qu’il y a énormément de jeunes qui suivent la page et on sait très bien qu’il y en a beaucoup qui font aussi des conneries de ce type. J’ai l’impression que notre message circule bien.
ACTA : J’ai l’impression que l’écho des banlieues est quand même suivi par énormément de gens qui habitent dans les quartiers populaires et que c’est votre public premier…
Arnold : Non, il y a aussi beaucoup de parisiens qui suivent la page et qui viennent de quartiers plus aisés. Ils kiffent, partagent et nous envoient aussi des messages. J’en vois plein et c’est bien aussi parce qu’ils découvrent quelque chose et voient une autre image des quartiers. Je suis content car ça touche deux publics et ça permet à des réalités différentes de se découvrir. Il y a même des gens qui m’ont suivi sur mon compte perso et avec qui j’ai pu parler. Par exemple, une fille avec qui j’ai pu parler et qui ne se rendait pas compte de comment c’était dans les quartiers.
ACTA : Par rapport aux familles des victimes de violences policières, êtes-vous en contact ? Comment ça se passe ? Est-ce que vous travaillez un peu ensemble ?
Arnold : Ce qui est bien avec l’écho des banlieues, et c’est une des forces de la page, c’est qu’on est en contact avec toutes les associations contre les violences policières, que ce soit Amal (Bentounsi, collectif Urgence notre police assassine, NDLR), le comité Adama, le collectif des mères des jeunes du Mantois, etc. Ce qui fait que si un jour on a un problème, on sait que les anciens seront là pour nous aider et nous défendre. Tous ces collectifs nous connaissent, j’ai fait le travail pour. Le comité pour Gaye pareil. On a une protection et on sait très bien ce qu’on fait. Ils nous contactent parfois pour qu’on vienne filmer ou qu’on relaye les informations.
ACTA : Pour le mot de la fin, quels sont vos projets à venir ?
Arnold : Déjà, déposer la marque pour qu’on ne nous pique pas le nom de la page et en faire un vrai média, même si ça va mettre du temps. Puis, faire le tour de toute la France, passer par le maximum de quartiers hors de l’Île-de-France. On est déjà en train de le faire. On va aller à Marseille, à Amiens, à Orléans. Toujours sur le même thème, avec les mêmes formats et avec des drones aussi.