« Tous les soirs je sens sa rage contre les manquements du service carcéral »

Nous relayons ici un texte rédigé par la compagne de Josu Urritikoetxea, ancien d’ETA et artisan de la paix, actuellement incarcéré en France malgré son âge et un état de santé critique. Elle revient sur le dernier refus de mise en liberté de son compagnon, et dresse un tableau personnel de la situation terrible dans laquelle sont plongés les détenus et leurs familles, quand la rage et l’espoir se mêlent au manque. À la Prison de la Santé, où Josu Urritikoetxea est incarcéré, c’est le privé qui a repris la gestion du quotidien depuis la réouverture en janvier 2019. Entre la surpopulation (123% en février), l’absence complète de matériels de protection, la difficulté d’accès au téléphone et au courrier, devenus encore plus essentiels après la récente levée des parloirs, la situation sanitaire accentue cruellement les manquements de l’administration pénitentiaire. Une campagne de libération a été lancée par la famille et les soutiens de Josu.

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Les premiers jours où l’on a entendu parler de l’extension du Coronavirus ont été très anxiogènes pour moi. Comme tout le monde je lisais la presse, je piochais les informations de ci de là… Comme tout le monde, j’écoutais les consignes, les conseils… Ce qu’on pouvait encore faire, ce qu’il ne fallait plus faire…

Dès le début, je ne me suis pas trop inquiétée pour moi et mes enfants. Mais oui ! Pour mon compagnon incarcéré à la prison de la Santé à Paris. Pour moi les premières heures ont été terribles car je savais – je sais – que s’il contractait ce virus ce serait fatal pour lui. Depuis toujours il est hyper fragile du côté des bronches. Il a fait plusieurs bronchites à répétition ainsi que des pneumonies sévères… et ces derniers mois, il a cumulé des problèmes de santé qui  n’ont pas été pris en compte comme il fallait par les services médicaux. Ce manque de sérieux aurait pu être grave de conséquence.

Comme ces derniers mois, je me sentais impuissante car ces menaces liées à son état de santé étaient doublées du fait de son incarcération.

Je savais pertinemment que je ne pouvais rien faire pour lui d’autant plus que les premiers jours, mi-mars avant même l’ordre de confinement,  je lui répétais lors de nos échanges téléphoniques :

« Garde tes distances avec les gens ! »

« Ne touche rien en dehors de ta cellule ! »

« Lave toi les mains ! »

… Et lui de me dire :

« Comment veux-tu que je garde mes distances ? Les surveillants s’en foutent ! Ils rentrent, ils sortent de l’intérieur à l’extérieur sans gants ni masque. Que veux-tu que je fasse, quand les gestes barrières ne sont pas appliqués, que les consignes sanitaires ne sont pas respectées… À part me laver les mains 20 fois par jour ? »

Face à ces mots, j’étais très inquiète. Persuadée que dans ce contexte, il attraperait ce putain de virus. Je me disais que notre parloir du samedi 6 mars serait peut-être la dernière fois que je le verrai. Je dormais mal. Cette idée me hantait. Cependant je suis confinée avec notre enfant de 7 ans. Aussi pendant la journée, je faisais bonne figure. Je restais gaie et attentive afin qu’elle ne s’imprègne pas de mes angoisses. Elle a soufflé ses 7 bougies le jour de l’ordre du confinent. (…) Elle s’en souviendra du jour de ses 7 ans !

De son côté à lui, les premiers jours du confinement, je le sentais lui aussi impuissant. L’air de dire : « Advienne que pourra ! »

Comme beaucoup de gens, il pensait que les gouvernements en faisait trop. Qu’il y a plus de morts de la malaria en Afrique ou qu’une simple grippe tue plus de gens chaque année… et que personne ne fait rien ! Que ce confinement allait permettre de faire passer leurs lois, qu’il allait contraindre la population à la peur. Que des gens soumis sont toujours plus malléables que des gens qui protestent dans la rue.   

Les premiers jours de confinement, je me demandais comment faire pour lui passer un masque, des gants ? J’ai essayé de téléphoner à la taule, mais cela ne répondait pas et après je n’ai pas insisté car je me disais : et après ? Qu’est-ce que je vais leur dire ?

« Qu’il ne faut surtout pas qu’il attrape ce virus ! »

Et eux, qu’allaient-ils me répondre ? Quand on sait que les surveillants sont logés à la même enseigne ! Que dire quand on sait que les équipes médicales sont dépourvues de masque ?

Les premiers jours, il nous appelait 2 fois par jour. Le jeudi 18 mars, j’ai eu un choc comme un tremblement de terre. Il m’a annoncé vers midi qu’il avait les premiers symptômes : frissons, mal de tête, de gorge… panique !

Heureusement, le soir il m’a rappelé en me disant que c’était passé. Qu’il allait mieux. Cette alerte n’a fait que redoubler mes inquiétudes face à cette situation carcérale. J’étais en colère car je ne pouvais pas m’empêcher de penser qu’il devrait être dehors. La cour d’appel en Juin avait autorisé sa mise en liberté conditionnelle. Autorisation annulée par des demandes d’extradition déposées par le Gouvernement espagnol.

Aujourd’hui de mon côté, en plus d’être inquiète, je suis en colère car je le sais en danger, car je me rends compte que dans ce contexte de crise sanitaire sans précédent, lui comme tous les autres détenus sont doublement exposés. Je suis révoltée qu’ils ne puissent pas bénéficier eux aussi d’un cadre sécurisé comme tous les autres citoyens.

Les jours passent. Cette situation de confinement forcé me permet de passer, je ne peux le nier, des moments très agréables auprès de notre enfant que je cherche à tout prix à préserver. Nous sommes un peu comme en dehors du temps… À part que pour nous, il est rythmé par l’appel du soir qui nous ramène à la  dure réalité.  

J’avoue que je reçois, nous recevons beaucoup d’appels, de messages de soutien. Et ça fait un bien énorme ! On se sent moins seuls. Finalement au fil des jours et ce jusqu’à ce nouveau refus de mise en liberté du 1er avril, je m’étais installée dans un quotidien apaisant. Le fait d’espérer cette remise en liberté conditionnelle y a contribué. J’y ai cru car il est évident comme le témoigne le médecin de l’hôpital Cochin, que Josu fait partie des détenus à risque. S’il est atteint du virus, cela peut lui être fatal.

Ce soir, je suis indignée face à ce refus de mise en liberté. Notre enfant aussi a été très affectée par ce refus. Je l’avais pourtant préparée à ce que cette liberté ne lui soit peut être pas accordée. Mais comment ne pas espérer à 7 ans ? Comment ne pas espérer que son père soit libéré alors qu’elle entend tout le monde répéter qu’il ne faut pas être regroupé, qu’il ne faut pas prendre de risques…

Elle connaît la prison pour avoir déjà rendu visite plusieurs fois à son père. Elle sait bien que là-bas il n’est pas protégé. La nuit du 1er au 2 avril elle a eu une nuit très agitée. À 5 heures du matin elle n’arrivait plus à se rendormir. Elle me disait qu’elle avait très peur que son père meure avec le coronavirus…. 

Au fil des jours, j’ai ressenti que mon compagnon était révolté contre le manque de sérieux et l’absence de précautions prises par l’administration pénitentiaire. Tous les soirs, je sens sa rage contre les manquements du service carcéral. Le courrier ne fonctionne pas ou pratiquement pas. Tous les soirs il se plaint d’une chose ou d’une autre : problème de cantine, de courrier, de lignes téléphonique qui fonctionnent mal ou d’impossibilité d’appeler car lignes saturées… Je lui dis que pour nous quelquefois c’est la même chose. Et lui de me répondre très irrité :

« Mais merde ! Ils savent que pour nous qui sommes privés de parloirs, de cours, de courriers… Le téléphone est important ! Qu’ils se démerdent pour augmenter la puissance de réseaux téléphoniques ! La situation à l’intérieur est explosive. Il va se passer quelque chose de grave. »

Le seul lien qu’il nous reste c’est notre RV téléphonique quotidien le soir vers 20h30, après les applaudissements aux équipes médicales que ni moi ni ma fille ne voulons rater, bien conscientes que ces personnes sont en première ligne et méritent tout notre soutien et notre respect.

Tous les soirs, je sens sa colère, son impuissance et souvent, il ne se calme que lorsqu’il parle à notre enfant, lorsqu’elle lui offre tous les soirs un petit récital de piano qui lui met un petit peu de baume au cœur, le temps de quelques notes de musiques emplies de douceur et d’amour pour son père qu’elle aimerait tant avoir à ses côtés.

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