Le jeudi 25 mars 2021, devant l’entrée de la tour du groupe Total à La Défense, une vingtaine de militants de l’ONG Info Birmanie et d’Extinction Rebellion ont affiché des dizaines de photos des violences commises par l’armée contre des manifestants en Birmanie. Ils dénonçaient ainsi le soutien de Total au régime militaire birman.
Depuis plus de 30 ans, les sociétés multinationales Total et Unocal exploitent le chantier de gazoduc Yadana en Birmanie. Elles ont été accusées de complicité de violation des droits de l’homme en raison des violences perpétrées par les militaires birmans en charge de la sécurité du chantier. La Cellule de Recherche en Droits de l’Homme de l’Université catholique de Louvain note qu’en 2006 sous la dictature militaire :
Les bataillons militaires exercent à l’encontre des plaignants une « contrainte permanente et décisive les privant de toute liberté ». Ils ont été conduits de force sur le chantier pour y effectuer des travaux non rémunérés et contraints d’y résider… Le projet Yadana génère des recettes considérables dont bénéficie l’entreprise publique MOGE, directement liée au gouvernement birman qui investit la moitié du budget gouvernemental dans les dépenses militaires. En d’autres termes, l’investissement de Total et d’Unocal contribuerait à maintenir le gouvernement birman en place grâce aux recettes générées par l’exploitation du gaz du champ Yadana.
Après le coup d’état militaire du 1er février 2021, alors que le nombre des victimes de la répression dépasse le millier de morts et de blessés, Total refuse de se retirer de Birmanie et de suspendre tout paiement à la junte, en plaçant par exemple les millions d’euros en jeu sur un compte bloqué, comme le réclament Attac France, Greenpeace France, Les Amis de la Terre France, la Ligue des droits de l’Homme, Info Birmanie, Notre Affaire à Tous, Sherpa et 350 organisations. Cela prouve que Total n’hésite pas à soutenir des pouvoirs militaires et autoritaires pour s’implanter dans plusieurs pays du globe.
Le 12 avril 2021, l’Association Survie signale que Patrick Pouyanné, PDG de Total, est en Ouganda pour signer trois accords clés avec les gouvernements ougandais et tanzanien pour son projet d’oléoduc géant EACOP (1 445 km de long), qualifiant la journée « d’historique » pour la compagnie et les deux pays. Les Amis de la Terre France et Survie confirment se pourvoir en Cassation dans l’affaire dite « Total Ouganda ». « Nos associations déplorent qu’une fois de plus la multinationale française semble plus préoccupée par son image que par les impacts destructeurs qu’ont ses opérations sur les droits humains, l’environnement et le climat ».
Les associations écrivaient en octobre 2020 dans leur rapport intitulé « Un cauchemar nommé TOTAL » :
Ce sont aujourd’hui des dizaines de milliers de personnes qui sont privées totalement ou partiellement de leurs terres, avant même de recevoir la moindre compensation… La Tanzanie et l’Ouganda font partie des pires pays au monde en termes de liberté d’expression et de liberté de la presse. Les défenseurs des droits et activistes travaillant sur les droits humains et l’environnement sont surveillés, harcelés, menacés, intimidés, arrêtés ou violentés… Pour ne donner qu’un exemple, en juin 2020, sept avocats ont été arrêtés alors qu’ils enquêtaient sur les circonstances liées à l’expropriation forcée de plus de 35000 personnes… La police pétrolière empêche les associations d’organiser des réunions publiques, surveillent et intimident les responsables pour les obliger à quitter leur village.
Aujourd’hui encore, Total ignore les alertes lancées par les défenseurs des Droits humains comme elle l’a toujours fait au cours de son histoire.
Depuis la fondation de la Compagnie française des pétroles (ancêtre de Total) en 1924, pendant la période coloniale, la firme pétrolière n’a pas cessé de quadriller la planète et de conquérir des territoires à la faveur d’interventions militaires. Dans un livre très documenté de 500 pages intitulé De quoi TOTAL est-elle la somme ?, Alain Deneault, docteur en philosophie de l’université Paris-VIII raconte, preuves à l’appui, comment Total, « autorité souveraine, capable de rivaliser avec des États et de générer un nouveau rapport à la loi », s’est imposé en appliquant les actions suivantes : « comploter, coloniser, collaborer, corrompre, conquérir, délocaliser, pressurer, polluer, vassaliser, nier, asservir et régir ».
En 1962, à la fin de la guerre d’Algérie, Charles de Gaulle déclare : « Notre ligne de conduite, c’est celle qui assure la sauvegarde de nos intérêts et qui tient compte des réalités. Quels sont nos intérêts ? Nos intérêts c’est la libre exploitation du pétrole et du gaz que nous avons découverts ou que nous découvrirons ». C’est le prélude de la Françafrique qui voulait se maintenir au Sahara après les Accords d’Evian pour continuer à exploiter le pétrole et le gaz.
Avec l’appui du ministre des Armées et l’intervention des services secrets, le Gabon deviendra ensuite « un pétro-État dont le parti est contrôlé par un groupe occulte de français liés à Elf (entreprise héritière de la Compagnie française des Pétroles), et commandé par l’Élysée. » L’armée française interviendra en 1992 pour mater une révolte contre les installations d’Elf à Pointe-Noire.
En 1997 c’est encore la compagnie Elf qui est mêlée à une violente guerre civile au Congo Brazzaville. « Des armes ont été livrées. Des hommes sont morts. Et tous les mois, lorsque leur pétrole est vendu, les Congolais voient une partie de leur argent aller directement chez Elf pour rembourser les armes ». La Fédération des Congolais de la diaspora parle de « guerre d’Elf » tant le pétrole français est impliqué à fond dans ce conflit à travers Sassou Nguesso, son homme-lige au Congo. Sous le couvert de l’anonymat, un député socialiste français synthétisera la situation par cette déclaration célèbre : « Chaque balle a été payée par Elf ».
Total est l’une des premières compagnies à investir en Afrique du Sud en 1954, dans un État qui prône la ségrégation raciale. En 1964, quand le parti travailliste britannique a imposé l’embargo contre l’Afrique du Sud, la France est devenue le premier fournisseur d’armement de la République. Malgré la résolution 181 du Conseil de sécurité (août 1963) appelant tous les États à « mettre fin immédiatement aux ventes et expéditions de matériel et accessoires destinés à la fabrication ou à l’entretien d’armes et de munitions à l’Afrique du Sud », la France continue de fournir Pretoria en hélicoptères, missiles, avions et véhicules blindés, écrit Alain Deneault.
Au Nigéria, en Rhodésie, en Angola, en Libye, en Birmanie, où Total est accusé de « complicité d’assassinats et de travail forcé » en 2010 par l’ONG Earth Right International, partout la politique d’extension de la compagnie pétrolière profitera des guerres et de l’intervention des armées.
Dernier en date, le Liban, où Total commence en 2020 l’exploration de pétrole offshore en Méditerranée dans une zone disputée par Israël, un pays toujours en guerre avec le Liban.
Il est intéressant, pour finir, de souligner la présence de Total au Mali où les armées françaises sont engagées dans une guerre sans fin contre le terrorisme. Alain Deneault écrit :
Hollande a décidé en 2013 de lancer l’opération militaire Serval. S’il s’est officiellement agi, en quelques semaines de l’hiver 2013, de chasser les terroristes islamistes et d’installer près de 5000 militaires pour sécuriser la région, les visées d’exploration de Total y sont potentiellement liées : la firme s’intéresse au bassin de Taoudéni, large de 1,5 million de kilomètres carrés, et situé dans cette partie du Sahel. Il est question d’une importante source de pétrole. Le gisement se trouve aux confins du Mali, de l’Algérie et de la Mauritanie. Total a déjà obtenu des permis d’exploration de la part des autorités mauritaniennes et ferait partie des entreprises qui cherchent à se positionner dans la région. La lutte contre le terrorisme comporte l’avantage de « dépolitiser le débat » autour de l’action militaire, comme l’écrit Christophe Boisbouvier de Radio France Internationale (RFI).
La journaliste Elisabeth Studer écrit, dès le 21 janvier 2012, dans Le blog finance :
Et l’on tenterait encore de nous faire croire que la situation au Mali n’est pas liée au pétrole ? Nous avons alerté ici-même avant même le début du conflit malien, que le Sahel et ses richesses pétrolières et gazières pouvaient conduire la région au chaos, dans le cadre d’une nouvelle malédiction du pétrole – malédiction que certaines puissances mondiales auraient intérêt à développer, histoire de s’approprier les ressources locales ou au « mieux » éviter qu’elles ne tombent aux mains de leurs concurrents – l’actualité semble nous donner raison… La France apporte son soutien au Mali pour lui permettre de lutter contre le terrorisme et lui offrir la possibilité de s’équiper auprès des fleurons industriels français DCNS, Thalès, Airbus, MBDA (missiles), LH Aviation (drônes)…
La presse malienne ajoute : « tout porte à croire que la région de Kidal n’est pas protégée pour rien, les lieux semblant attirer non seulement terroristes et bandits… mais également des puissances étrangères désireuses d’avancer leurs pions. Certains Maliens sont toujours convaincus que la défaite de l’armée face aux rebelles de Kidal, n’était pas un fait du hasard ». Au Mali comme ailleurs, la multinationale TOTAL provoque des violences et profite des conflits pour étendre son pouvoir capitaliste.
Collectif Ni guerres ni état de guerre