Sur le référendum en Kanaky

Banderole à Tiendanite le lendemain du référendum de 2018. Photo Léopold Lambert.

Léopold Lambert, rédacteur en chef du magazine The Funambulist, revient pour ACTA sur le second référendum qui a eu lieu dimanche dernier en Kanaky, sur l’histoire de la lutte pour l’indépendance et ses perspectives.

Petite brève à propos du référendum en Kanaky. Celle-ci ne saurait, bien sûr, faire honneur aux nombreux détails politiques et historiques qui caractérisent la situation, mais elle me semble tout de même importante à faire pour des lectrices et lecteurs en France dont les connaissances d’une situation dont iels sont partiellement responsables sont encore trop souvent parcellaires voire inexistantes. 

Dimanche dernier avait lieu le second référendum sur la pleine souveraineté du pays qui devrait prendre le nom de Kanaky-Nouvelle-Calédonie (à l’image de la voisine mélanésienne Papouasie-Nouvelle-Guinée). Deux ans après le premier référendum de 2018 qui avait rassemblé 43.3% des votants autour du Oui à l’indépendance, celui de cette année progresse avec 46.7%. Cette progression, vécue comme une semi-victoire par les indépendantistes, peut sans doute s’expliquer par le non-appel au boycott du scrutin par des organisations kanak à l’inverse de 2018 qui avait vu le Parti travailliste et l’Union syndicale des travailleurs kanak et exploités (USTKE) refuser de participer à une consultation noyant le Peuple premier dans une liste électorale lui étant défavorable – colonialisme de peuplement oblige. Peut-être pouvons-nous penser (espérer ?) qu’un nombre grandissant de Calédonien.ne.s non-Kanak s’assument de plus en plus comme Océanien.ne.s pour qui la France apparaît comme bien lointaine et hautaine. Le Non l’ayant emporté d’une courte avance cette année, un troisième référendum dont la question pourrait demeurer la même ou bien évoluer, aura sans doute lieu en 2022.

Pour comprendre le pourquoi de ces référendums, il faut regarder derrière soi. En 1988, l’insurrection kanak débutée en 1984 avait subi l’extrême violence du colonialisme français lorsque l’armée française et le GIGN avaient envahi l’île d’Ouvéa, torturé certains membres de la tribu de Gossanah et massacré 19 militants kanak à la suite de la prise d’otage de 22 gendarmes qui aurait pourtant pu se résoudre par la négociation. Le Président du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), Jean-Marie Tjibaou avait signé quelques semaines plus tard un accord avec le parti de la droite Caldoche le Rassemblement pour la Calédonie dans la République (RPCR) de Jacques Lafleur, ainsi qu’avec le gouvernement français qui n’avait guère laissé de choix aux dirigeants kanak, le Premier ministre Michel Rocard ayant prévenu : « Nous sortirons de cette salle avec la paix, ou bien avec la guerre, et la France a les moyens de la faire ». La puissante insurrection autochtone s’était ainsi terminée mais pas sans un dernier drame lorsqu’à la levée de deuil des 19 militants, Tjibaou, ainsi que son second Yeiwéné Yeiwéné furent assassinés par Djubelly Wéa, militant de la tribu de Gossanah s’estimant avoir été trahi par l’accord. Il fut lui aussi tué au même moment.

L’accord de Matignon de 1988 prévoyait un référendum sur l’indépendance dans les 10 ans, c’est finalement un second accord, celui de Nouméa qui, en 1998, a établi les bases du pays tel qu’il a évolué ces 20 dernières années. L’accord mettait en place un transfert des fonctions non-régaliennes de l’État, et créait un Sénat et un système judiciaire coutumiers, mais ne dessinait pas la pleine souveraineté. Il prévoyait un chemin (mal-défini) vers la décolonisation, ainsi que la reconnaissance d’un peuple Kanak – preuve que la République française puisse reconnaître les peuples au sein de sa citoyenneté pour peu qu’on la force à les distinguer – mais retardait de 20 ans le référendum sur l’indépendance et permettait aux colons vivant au pays au moment de la signature de l’accord d’y participer. En cas de victoire du Non, un deuxième référendum serait organisé et en cas de scénario similaire, un troisième. En aucun cas une troisième victoire du Non signifierait que Kanaky doive rester une colonie française. Ce qui se produira en 2022 dans le cas probable que le Oui n’atteigne pas les 50% est tout simplement la nécessité de renégocier un nouvel accord pour l’avenir du pays. Bien que la droite Caldoche n’ait rien à envier aux Républicains et au Front national français, ce nouvel accord, s’il devait être négocié, gagnerait sans doute à ne pas impliquer l’État colonial qui a beau jeu de se placer en arbitre dans un match systématiquement truqué en sa faveur.

Il m’est arrivé plusieurs fois d’entendre de vieux Kanak affirmer (je paraphrase) : « De toutes façons, nous on a le temps, on est patient, ce pays sera indépendant un jour ou l’autre, c’est juste une question de temps ». En 1984, au plus fort de l’insurrection, l’indépendance semblait pourtant toute proche. Une telle patience ne peut être l’apanage que de ceux qui parmi le Peuple premier avaient ainsi effleuré une Kanaky pleinement souveraine. Ça n’est certainement pas à nous, membres de la nation colonisatrice d’affirmer que l’indépendance peut attendre puisqu’elle viendra tôt ou tard alors que beaucoup subissent toujours les structures du colonialisme. Néanmoins, la certitude grave mais joyeuse des anciens qu’un jour eux ou leurs enfants pourront accomplir une coutume d’accueil des communautés non-autochtones de Kanaky-Nouvelle-Calédonie nous rend plus humbles, nous qui de ce côté du monde sommes pour beaucoup venus à la lutte du peuple Kanak sur le tard et qui voudrions maintenant voir advenir en un instant ce pour quoi sept générations de Kanak d’Ataï à Machoro, de Noël à Tjibaou, se sont battus. Puisse cette humilité nous rendre meilleur.e.s.

« un pays libre
une nation souveraine
un peuple qui partage »

Déwé Gorodé, Dire le vrai, Grain de sable, 2000

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