Retrait des troupes françaises du Mali et du Sahel, maintenant !

Édito du Collectif ni guerres ni état de guerre

Le 10 janvier 2013, Hollande décidait l’intervention militaire au Mali (opération Serval) en envoyant 4000 soldats basés notamment au Tchad et en Côte d’Ivoire et 12 000 tonnes de matériel. Visiblement, cette vaste opération aérienne et terrestre avait été préparée depuis des mois, peu après la guerre de Libye. Elle se voulait une démonstration de force de l’impérialisme français, en Afrique, dans son « pré carré », mais devait rester « limitée » à contenir l’avancée des groupes armés djihadistes. Avec Barkhane, lancée le 1er août 2014, à N’Djamena, le but affiché devient la « guerre au terrorisme dans toute la région du Sahel », une zone grande comme l’Europe. Cette guerre ne cessera de durer et de s’étendre pour devenir, en termes de moyens humains et matériels engagés, la plus importante guerre menée par l’impérialisme français depuis la guerre d’Algérie.

En février 2014, sous la pression de la France, les gouvernements de cinq États sahéliens avaient décidé de créer le G5 Sahel (Mauritanie, Niger, Tchad, Burkina Faso, Mali), officiellement, pour coordonner leur action en faveur du « développement économique » et dans la « lutte contre le terrorisme ». En réalité, il s’agissait avant tout de créer une structure de coordination militaire étroitement liée au « donneur d’ordre », en l’occurrence Barkhane, le bras armé de l’impérialisme français au Mali et dans le Sahel.

Cette guerre, qui était menée en parallèle avec la guerre contre l’État islamique en Irak et en Syrie, ne faisait pas la « une » des actualités en France. Le consensus qui avait marqué l’entrée en guerre, présentée comme une action de sauvetage in extremis du peuple malien s’appuyait aussi sur l’idée qu’une grande partie des populations et des forces politiques et sociales maliennes, y étaient favorables. Quelques forces, peu nombreuses, avaient exprimé leur opposition et des voix courageuses se sont levées au Mali, notamment celle de l’ancienne ministre malienne de la Culture, Aminata Traoré.

Jusqu’en 2018, les seuls échos des opérations militaires parlaient de quelques dizaines de djihadistes « neutralisés », dans des zones désertiques, ou des opérations pour « libérer » des otages, qui tournaient souvent au massacre. Le nombre de soldats tués restait faible.

Des questions commençaient à se poser avec de plus en plus d’insistance :

D’une part, le fait que le champ d’action des groupes armés, invariablement qualifiés sans nuance, de « groupes djihadistes » s’était élargi du nord vers le sud, et qu’ils continuaient à recruter dans les populations, de plus en plus déshéritées, laissées à l’abandon par les autorités. Autrement dit, la question de la possibilité de « gagner » ce type de guerre ne pouvait plus être évacuée, et de plus en plus de commentateurs font le lien avec l’expérience du bourbier afghan dans lequel l’impérialisme US s’était empêtré.

D’autant que cette guerre mettait en œuvre, du côté de la coalition dirigée par l’impérialisme français, des moyens considérables, se chiffrant en milliards d’euros, avec des « résultats » limités.

Enfin, les artisans de cette guerre ne peuvent cacher le fait qu’ils s’appuient sur des dirigeants dénoncés par les populations pour leur incurie en matière sociale, pour le degré de corruption qui gangrène tous les rouages de l’État, pour la répression qu’ils déchaînent contre la contestation sociale et leur volonté de se maintenir au pouvoir par tous les moyens. Cette réalité s’est traduite par de puissants mouvements populaires, qui ont posé les immenses exigences sociales de la majorité des populations, par-delà les appartenances religieuses ou ethniques, en commençant à faire le lien avec l’occupation du pays par les troupes françaises et à la contester. Les pancartes « France dégage » n’ont pas échappé aux militaires français, ni aux responsables politiques.

Avec l’augmentation du nombre de soldats tués – la barre des 50 tués a été franchie – ces questions reviennent à chaque fois et il y a de plus en plus de prises de position qui vont dans le sens de remettre en cause la « pertinence » de cette guerre. Ces interrogations viennent même des rangs de l’armée, comme vient de le faire un ancien chef de groupe qui a opéré au Mali, et qui en est venu à la conclusion que la population malienne considère l’armée française comme une armée d’occupation. Même le chef d’état major s’est exprimé sur cette question, avec ses critères de responsables d’une armée d’une puissance impérialiste : il faut organiser un « retrait partiel », mais pas de désengagement et « il faut le faire intelligemment, pour ne pas que les Russes ou les Chinois viennent occuper le vide qu’on aura laissé ».

Ce ne sont évidemment pas les points sur lesquels se fondent les anti-impérialistes, les progressistes pour porter de l’avant cette exigence de retrait des troupes du Mali et du Sahel.

Lors d’un rassemblement organisé à Toulouse, le 13 février dernier, avec un large éventail de forces, quelques raisons ont été formulées de façon simple et claire :

Poursuivre cette guerre, c’est s’enfoncer dans l’engrenage des attentats, des opérations de « nettoyage » qui « dérapent » – comme le massacre de civils lors d’un mariage à Bounti.

C’est sous-traiter cette guerre à des régimes réactionnaires qui s’agrippent au pouvoir.

C’est alimenter toutes les divisions et les conflits dans ces pays.

C’est en France, lancer des campagnes de recrutement en direction des jeunes, notamment à travers le Service national universel, véritable antichambre de recrutement de l’armée et de la police, de jeunes de 16 ans !

C’est consacrer au bas mot un milliards d’euros aux opérations « extérieures ».

C’est entretenir une conception coloniale des rapports entre les peuples.

C’est continuer à pousser à l’accaparement des terres et des richesses minières du sous-sol par une minorité de profiteurs et de grandes entreprises étrangères, au détriment de la masse des paysans pauvres, des jeunes paysans chassés de leurs terres.

C’est empêcher les peuples de prendre en mains leur avenir.

C’est banaliser l’usage d’armes comme les drones armés, introduits pour la première fois, au Mali.

Pour ces raisons nous exigeons le retrait des troupes françaises du Sahel et nous exprimons notre solidarité avec les peuples d’Afrique qui l’exigent également.

Bien sûr, les troupes françaises n’interviennent pas seulement au Mali ou au Sahel. C’est une manifestation de ce qu’on appelle la « Françafrique ». Mais aujourd’hui, nous avons intérêt à « taper fort » sur l’exigence du retrait des troupes françaises du Mali et du Sahel et d’en faire un mot d’ordre défendu par le mouvement ouvrier et populaire, par la jeunesse. Nous devons, avec les forces qui aujourd’hui sont plus nombreuses à partager cette exigence du retrait, y travailler ensemble. En ciblant l’opération Barkhane, nous avons la possibilité de créer un front commun entre les peuples de la région et notre peuple. C’est le moyen d’affaiblir notre ennemi commun, l’impérialisme français et de l’obliger à des reculs. Si nous obtenons des résultats, comme le retrait des troupes françaises du Mali et du Sahel, ce seront autant de points d’appui pour poursuivre le combat et l’élargir à l’exigence du retrait des troupes françaises d’Afrique et d’ailleurs.

18 mars 2021

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