Prenons la Concorde

Rien ne l’a arrêté. Ni les manifestations de masse parmi les plus impressionnantes de l’histoire récente, ni l’opposition constante et opiniâtre de l’opinion publique. Ni les remords de la droite face à un peuple à bout, ni l’absence d’une quelconque majorité à l’Assemblée nationale. Macron se sait minoritaire. Mais ça lui est égal.

Car en réalité, Macron est ce soldat sacrificiel du capital qui est prêt à faire passer les intérêts financiers devant ses propres intérêts politiques et ceux de son camp. « On ne peut pas prendre le risque », déclarait Élisabeth Borne jeudi devant l’Assemblée. Voilà qui a le mérite de la transparence : ces gens-là n’autorisent des votes que lorsqu’ils sont sûrs de les gagner. À la moindre incertitude, le formalisme démocratique vole en éclats. Reste le commandement pur, au service du marché, quoiqu’il en coûte.

On ne compte plus les recours à l’article 49.3 depuis la nomination d’Elisabeth Borne il n’y a même pas un an. Et pour cause, la macronie n’a plus les moyens de prétendre représenter une majorité. Élu par un peu moins de 20% des français en 2017, Macron a perdu sa majorité absolue en 2022. S’il recourt comme un forcené à tous les outils antidémocratiques que la Ve république, née pour régler l’insurrection algérienne, a prévu dans but d’assurer le pouvoir des Césars, c’est qu’il n’a pas les moyens politiques de faire autrement. 

Le 49.3 est une victoire. La mobilisation massive a suffisamment ébranlé l’Assemblée pour empêcher Macron de donner même l’illusion d’une majorité. 

Le 49.3 est une défaite : on vient d’arracher deux ans de nos vies pour satisfaire les calculs glacés de marchés égoïstes. Pour qu’une minorité de riches continue de s’enrichir inlassablement, on condamne, purement et simplement, à deux ans de travaux celles et ceux qui produisent la richesse captée par d’autres. 

À mi-mouvement un bilan s’impose : la stratégie intersyndicale est impuissante. Elle n’est ni à la hauteur de ses propres objectifs – le retrait de la loi – ni à celle de la situation – une inflation délirante dans un contexte de précarisation généralisée et de spirale autoritaire. 

Les manifestations, les grèves et les blocages repartent de plus belle depuis jeudi. Et c’est de leur intensification et de leur combinaison quotidienne que dépend en grande partie l’issue de ce mouvement. Mais que nous manque-t-il ? Sans doute des lieux pour se rencontrer, éprouver une force collective, se sentir nombreux dans la durée. 

Nous avons besoins de camps. Où être rejoignables. D’où se projeter ensemble, à l’assaut des quartiers bourgeois et des ports industriels, d’une Assemblée défaite et d’un sinistre Sénat, de locaux Renaissance comme des lycées ou des facs où la police empêche les blocus. Rejoindre les piquets de grève, envahir les gares et le périphérique, revenir discuter en assemblée. 

À Paris, la Concorde est une évidence. Au cœur du Paris ennemi, en face de l’Assemblée, non loin du palais de l’Élysée, une place portait autrefois le nom de Révolution. Les têtes de rois y tombaient et on y inventait une autre vie. Et il y a dans chaque ville, d’autres places, d’autres lieux, qui peuvent servir de bases arrière au mouvement, occupées chaque jour et chaque nuit, non comme un endroit de repli, mais comme autant de places fortes, arrachées à l’ordre policier, d’où déferle sur la ville un peuple qui rêve encore d’une vie meilleure. 

Prenons la Concorde, partons à l’assaut du monde.

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