« Pour survivre et lutter, il faut que les précaires puissent se serrer les coudes »

Entretien avec le Collectif des vacataires Paris Musées

Né lors de la mobilisation contre la réforme des retraites, le collectif des vacataires des Musées de Paris a été un des premiers à se mobiliser sur les lieux de travail dès l’apparition du coronavirus. Particulièrement exposé·e·s aux contacts avec le public, les vacataires des Musées, avec les autres travailleur·se·s et syndicats, ont réussi à obtenir la fermeture des sites – jugés non-essentiels à la reproduction de la société en temps de crise. Dans cet entretien ils reviennent sur les conditions de travail, les formes d’organisation et les pratiques de lutte qui animent le collectif.

Quand est-ce que vous vous êtes constitués en collectif et pourquoi ? Comment cela s’est-il passé ? Quelle est la composition du « Collectif des vacataires Paris Musées » ?

Le Collectif est composé de « vacataires » (à présent anciens vacataires, car la plupart des membres actifs ont terminé leur contrat) qui occupent des postes très différents au sein des musées et sites parisiens : si certain-e-s travaillent en billetterie, d’autres sont agents de surveillance, de sécurité et d’accueil, et peuvent assurer aussi bien la surveillance en salles, que le contrôle vigipirate à l’entrée des musées ou le service dans les vestiaires.

Notre collectif s’est constitué vers novembre-décembre 2019, lors de la mobilisation contre la réforme des retraites. Au départ, 4 vacataires ont participé à une réunion syndicale organisée par la CGT au Musée d’art Moderne (MAM), une semaine avant la grève du 5 décembre. L’idée était de faire remonter un certain nombre de problèmes liés aux conditions de travail au sein du MAM. La précarité de nos contrats était aggravée par le passage du premier volet de la réforme du chômage (le 1er novembre) : nos contrats ne dépassent pas 6 mois, et font même rarement plus de 3-4 mois. De plus, certain-e-s vacataires venaient juste de découvrir qu’ils-elles seraient payé-e-s avec un mois de décalage (à 60 jours, donc). Ajoutez à cela le manque, voire l’absence totale de formation et d’informations claires sur nos contrats et nos droits. Cette réunion a catalysé nos colères, elle a été le déclencheur de notre mobilisation. Le 4 décembre, une quinzaine de vacataires se sont mis spontanément en grève et le soir, on s’est retrouvé·e·s dans un café (du genre, typique du 16e), afin de parler tout-es ensemble de nos conditions de travail et de notre précarité. C’est ainsi que le Collectif est né. À vrai dire, nous ne nous connaissions pas vraiment, le travail ne nous donnait pas beaucoup d’occasions d’échanger et nous étions en poste depuis à peine 2 mois. Néanmoins, le lendemain nous étions tou·te·s à la manifestation contre la réforme des retraites, une réforme qui nous touche tout particulièrement car la plupart d’entre nous avons des carrières discontinues, ponctuées par des périodes de chômage.

Les vacataires de Paris Musées ont des parcours et des conditions de vie très hétérogènes. Il y a un peu de tout, mais quand même, pour beaucoup d’entre nous, nous enchaînons des contrats précaires dans le secteur de la culture. Il y a aussi des précaires issu·e·s d’autres secteurs économiques, des personnes en reconversion professionnelle, des artistes, quelques étudiants de 3e cycle, etc. Si la direction se targue d’employer beaucoup d’étudiants, la majorité a en réalité terminé ses études ou n’en a pas fait.

Comment vous vous organisez en interne ? Quelles sont vos pratiques et vos formes d’action ?

Au sein de notre collectif, il n’y a pas de répartition fixe des tâches. Nos actions sont discutées et votées en AG, et la règle c’est celle du : qui vote, fait. On a d’abord cherché à mobiliser d’autres vacataires. On s’est constitué·e·s en petits groupes afin d’aller à la rencontre des vacataires des autres établissements de Paris Musées, quitte à s’en faire virer parfois par les directions. On a cherché dès le départ à établir des convergences avec d’autres luttes, et on a été présents dans plusieurs AG, dont celles d’Art en grève et celles de l’Intersyndicale de la Ville de Paris. La CGT Paris Musées a été un appui important pour notre collectif dès le départ, sur tous les plans. Elle a aussi mis à notre disposition une salle pour qu’on puisse se réunir. On a fait grève, à petite échelle, mais ça s’était pas vu depuis bien longtemps chez les vacataires de Paris Musées. On a évidemment été présent·e·s lors des journées de mobilisation contre la réforme des retraites.

On a diffusé une pétition, ce qui nous a permis de faire passer le mot dans les musées et de discuter avec les titulaires qui sont assez loin de nos réalités, même s’ils sont nombreux à avoir été vacataires avant d’être titularisés. Nous avons aussi envoyé une lettre ouverte à Anne Hidalgo, Christophe Girard (le président de Paris Musées et adjoint à la culture), et Delphine Levy, la directrice générale.

Une première AG a eu lieu au cinéma La Clef (que nous tenons à remercier) dans laquelle nous étions une cinquantaine. Il y avait des acteurs de différents secteurs de la culture, mais aussi d’autres secteurs, comme des agents de la RATP. Cette AG fut un franc succès pour nous !

On est allé·e·s sur le parvis de l’Hôtel de ville lors des vœux de la Maire pour nous faire entendre et exiger des réponses à nos revendications. La Direction nous a enfin accordé une réunion quand on a eu un article dans les Inrocks, et alors que nous prévoyions un deuxième rassemblement devant la mairie. Ils nous ont même proposé de les rencontrer à l’heure même où ce dernier devait se tenir… Bref, nous les avons finalement rencontrés, mais deux jours plus tard.

Sans surprise, la direction n’a pas apporté de réponse à nos revendications lors de la réunion. Alors, le jour-même, on s’est rendu·e·s à une réunion de campagne de Christophe Girard, il y a eu une prise de parole d’une vacataire qui dénonçait son hypocrisie, et des slogans scandés.

Girard a enfin bien voulu nous recevoir à l’Hôtel de Ville, et nous a promis un renouvellement sous conditions. Cette promesse faite du bout des lèvres ne nous satisfait absolument pas, car nous maintenons nos revendications : la fin de la carence pour tout le monde, l’ouverture de recrutements sans concours et la fin de la vacation pour un statut en CDD. Nous avons bien conscience du peu de temps dont nous disposons, qui limite nos possibilités d’actions. En plus, l’UNSA, qui est le syndicat majoritaire de Paris Musées n’a ni appelé à la grève, ni soutenu notre lutte. Par conséquent, sauf exception, les titulaires n’étaient pas mobilisés. Notre lutte est semée d’embûches mais nous restons déterminé.e.s !

Vos conditions de travail entrent en forte résonance avec celles de beaucoup d’autres secteurs du précariat contemporain : des journées de travail très longues, des rémunérations monétaires très faibles, des taux d’alternance travail/non-travail très élevés etc. A cet égard, une métropole comme Paris a à disposition un bassin de force de travail précaire immense…

En effet, notre mobilisation nous a donné l’occasion de discuter avec d’autres précaires de la Culture. Avec des camarades de la BPI, nous avons organisé trois AG des précaires de la culture avec le soutien de Sud Culture Solidaires. Nous avons été soutenus par le collectif Art en Grève, qui nous a laissé utiliser ses locaux, entre autres pour des ateliers banderoles. Malgré nos spécificités, nous constatons que nous sommes toutes et tous logé·e·s à la même enseigne, et que pour survivre et lutter, il faut que les précaires puissent se serrer les coudes. Nous luttons sur plusieurs fronts, contre la réforme des retraites et contre la réforme du chômage. Nous nous sommes impliqué·e·s dans le comité de mobilisation pour la tenue de l’AG des chômeurs et des précaires qui a eu lieu le 5 Mars à la Bourse du travail à Paris (environ 250 personnes). Réforme du chômage et réforme des retraites même combat!

A Paris Musées, les journées de travail sont particulièrement longues quand bien même la majorité d’entre nous a été embauchée à temps partiel subi (10h, 16h, 20h, 25h…). En effet, beaucoup souhaitaient un temps complet ou un mi-temps. Étant en galère nous avons accepté ces contrats minables, qui ne dépassent jamais les 6 mois. Lors de notre réunion avec la direction de PM, la directrice, Delphine Levy, ne s’est pas gênée pour parler d’un « vivier de vacataires », assumant en somme que PM soit devenu une usine à précaires ! De toute façon, il y a tellement de demandeurs d’emploi que PM a une armée de réserve. La rémunération est légèrement supérieure à un SMIC horaire (car les congés payés sont inclus) et nous sommes payés à la tâche. Il nous est interdit de tomber malade, car nous ne bénéficions pas d’une couverture sociale, et pour les mères seules, pas de droit à un arrêt pour enfant malade.

Qu’est-ce que cela implique concrètement d’être précaire dans les Musées en temps de coronavirus ? Les musées ayant fermé très tôt, bénéficiez-vous de quelques garanties de solidarité ? Comment votre vie de tous les jours a-t-elle changée ?

Avant que la Direction prenne la décision de tout fermer, les vacataires ont été mis en première ligne : ils étaient postés dans les lieux les plus à risque (à l’entrée pour procéder au contrôle vigipirate, aux vestiaires, à la billetterie…). Les précaires ne sont pas franchement la priorité de la Direction. Par contre, on a le soutien de l’intersyndicale de la Ville de Paris et de la CGT Paris Musées, qui appuient nos revendications. Et heureusement, parce qu’on part de loin sur le plan syndical. Pour faire court, le syndicat majoritaire des musées (l’UNSA) a appelé à ce que des travailleur·se·s du secteur privé soient mobilisé·e·s pour protéger les fonctionnaires. Oser ce genre de revendication, c’est juste sidérant : les précaires, on peut les sacrifier !

Après l’annonce de la fermeture des sites, notre première crainte a été que les vacataires, payés au service fait, ne soient tout bonnement pas payés. Nous avons interpelé Girard sur Twitter, et il nous a répondu : « Tout travail sera évidemment payé et vous connaissez notre respect ». Connaissant en effet son fameux respect, nous nous sommes inquiétés. La Direction a beaucoup tardé avant d’annoncer que Mars et Avril seraient payés. Cependant, aucune réponse n’a été donnée sur d’autres mesures pour protéger les vacataires, ou sur les renouvellements que nous avons obtenu lors des négociations.

Quelles sont vos revendications principales ? Et lors de cette période crise ?

En temps de coronavirus, la situation est extrêmement difficile et nous vivons dans une grande incertitude. Après avoir fini notre contrat, la majorité d’entre nous ne bénéficient pas de l’ARE. Mais nous avons obtenu un renouvellement de certains contrats lors des négociations avec Christophe Girard et nous n’avons pas l’intention de lâcher l’affaire, malgré le confinement et le silence de la Direction. Nous attendons nos renouvellements. Quelques vacataires avaient déjà recommencé à travailler à Paris Musées avant la fermeture des musées, quelques autres ont eu une promesse d’embauche une semaine après, mais la majorité d’entre nous attend encore une réponse de la part de la Direction. Cette situation est cacophonique.

L’épidémie met en exergue et renforce les inégalités sociales et économiques. Aussi, elle rend manifeste que le système néolibéral est bien installé dans la Culture. Nos revendications, en tant que collectif qui s’oppose à l’utilisation illégale et mensongère de contrats précaires (car nos contrats ne correspondent en réalité pas à la définition légale d’une vacation), prennent à présent tout leur sens.

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