Cet entretien a été mené dans le cadre des enquêtes réalisées par l’Observatoire de l’état d’urgence sanitaire. Il a été réalisé auprès d’un habitant des quartiers de la boucle nord du 92, le 27 avril 2020, et a été remodelé afin d’être anonymisé.
Est-ce que tu peux nous parler de ce qui a changé pour toi et tes proches depuis le début du confinement ?
Le côté positif du confinement c’est que je passe plus de temps en famille. Je veux dire avec ma femme et mes enfants. Je pense que c’est comme pour la plupart des gens qui sont dans la même configuration familiale. Sinon la restriction des déplacements fait qu’avec les autres membres de ma famille, on s’appelle en visio pour continuer de se voir tout en nous adaptant au contexte. Côté professionnel, je suis dans l’attente comme tout le monde de savoir si le confinement prendra fin le 11 Mai ou sera prolongé.
Est-ce que tu as senti un changement des relations entre la police et les habitants de ton quartier depuis le début de l’épidémie ?
Depuis le début de l’épidémie, la police a un véritable motif de contrôle des habitants du quartier qui ne « respecteraient pas le confinement ». Attention, tous les gens qui sont dehors ne sont pas forcément des personnes qui ne respectent pas le confinement. Il ne faut pas oublier qu’il existe des autorisations de sorties pour des motifs légaux. Bien évidemment je ne parle pas des gens qui errent dans l’espace publique sans raison valable.
Avant on se faisait contrôler, bien souvent c’était uniquement dû au faciès. On ne se faisait pas forcément contrôler pour ce qu’on avait fait ou pas, mais plus pour ce qu’on représentait c’est-à-dire jeune de quartier, « potentiellement délinquant » et à l’allure suspicieuse. Ce qu’on appelle chez nous une dégaine de mec cramé. Actuellement, lorsque la police passe auprès de groupes qui effectivement ne respectent pas les mesures de restriction du confinement, les agents ne descendent pas de la voiture. J’ai l’impression qu’ils préparent leur intervention en repassant avec de nombreux renforts et là, ils se font plaisir. Ils coursent, attrapent, verbalisent, se moquent etc… Il y a souvent une disproportion entre ce qu’on mérite et ce que la police inflige comme sanction.
Depuis quelques jours, les quartiers partout en France s’embrasent, pour quelles raisons selon toi ?
Les quartiers se sont embrasés à la suite de l’accident survenu à Villeneuve-la-Garenne impliquant un trentenaire et un véhicule de police. Quand bien même le trentenaire est en situation d’infraction et mérite la sanction prévue à cet effet, l’action de la police sur cette situation n’est pas claire du tout. Surtout si l’on s’appuie sur les témoignages des personnes présentes, ayant assisté à la scène. Dans ce genre d’histoire, il y a toujours au moins deux versions qui s’opposent et comme par hasard c’est toujours la version de la police qui est massivement relayée et retenue par la Justice. On en a marre de l’injustice et de l’impunité. Même lorsqu’il y a des caméras sur les lieux, il n’y a aucune transparence quant à leur utilisation. Mais la conclusion est souvent la même, elles ne fonctionnent pas ou ne contiennent pas les images du choc. Des exemples, il en existe à la pelle, entre ce qui arrivé à Zyed et Bouna en 2005 jusqu’à aujourd’hui. Combien de fois des agents de police ont-ils été condamnés pour avoir mis en danger des vies, voire tué des jeunes de quartiers ou issus des minorités ? Et encore, j’ai commencé en parlant de Zyed et Bouna car c’est une période qui a profondément marqué l’histoire des banlieues mais cette problématique date de bien avant. C’est toujours la même classe sociale qui trinque et on veut nous faire croire que les décisions rendues sont justes.
Penses-tu que ces révoltes sont organisées ou spontanées ?
Mon avis concernant ces révoltes est qu’elles n’ont rien d’organisé et que ça serait de la malhonnêteté intellectuelle de dire qu’elles l’ont été. Elles sont au contraire spontanées et elles traduisent l’expression d’une colère légitime. C’est un cri de détresse. S’il fallait en convaincre certains qu’elles ne sont pas organisées, la preuve est que les gens des quartiers ont eu plus d’un motif de se rebeller après avoir subi des injustices mais cela n’a pas été fait. Le fait divers de Villeneuve est venu comme la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Les révoltes apparaissent comme le seul moyen de se faire entendre par cette partie de la population qui est réduite au silence et que le système aime criminaliser. Comme partout, il y a des bons et des mauvais. Pendant le confinement, il y a énormément de vidéos de violences policières qui circulent. On y voit souvent des policiers commettre des excès mais les sanctions ne tombent jamais donc, à un moment, la confiance s’effrite et la méfiance s’installe et laisse malheureusement place à l’affrontement.
Quelles sont les différences entre les révoltes de 2005 et le climat social dans les banlieues en 2020 selon toi ?
La différence en matière de climat social des banlieues entre 2005 et 2020 est infime si ce n’est inexistante. Au niveau individuel certaines personnes ont progressé socialement mais sur le plan collectif les conditions sociales des habitants sont les mêmes si ce n’est pire. Le coût de la vie augmente sans cesse, au contraire des revenus. Le sentiment d’exclusion est toujours aussi présent, la stigmatisation, les discriminations et tout ce qui s’en suit, sont le lot privilégié de bons nombres d’habitants de banlieue. J’ai l’impression qu’on est encore plus mal vu qu’avant.
Depuis ces quelques jours de révoltes, comment l’État organise-t-il la réponse répressive ?
Il y a cette ambivalence qui fait que d’une part, le non-respect du confinement en banlieue est soit durement réprimé, soit sujet à un énorme laxisme.
Dans le premier cas, j’en reviens aux vidéos de violences policières qui ont circulé alors que les personnes interpellées n’avaient pas tout le temps dérogé aux règles de confinement. En plus de ces vidéos il y a toutes ces situations que l’on ne peut pas compter et qui échappent à notre connaissance.
Dans le second cas, en témoigne la phrase d’un membre du gouvernement qui a affirmé dans les premières semaines qui ont suivi la crise sanitaire, que le confinement dans les banlieues ne serait pas une priorité pour l’État.
La différence de traitement n’est pas tout le temps due au fait qu’il s’agisse de banlieue ou pas banlieue. C’est aussi en fonction du profil et de la classe sociale de la personne appréhendée que la répression sera faite de la manière douce ou forte.
En tout cas, lorsque répression il y a, les banlieues sont dans l’œil du cyclone. Il y a des zones où la police fait preuve d’une plus grande pédagogie, par exemple on a tous vu la soirée dansante improvisée à Paris à la fin du mois d’avril. Elle n’a pas donné lieu à de verbalisations ni à de scènes violentes comme on peut le voir dans nos quartiers.
Quelles sont les réactions des habitants des quartiers populaires face aux révoltes selon toi ?
Les habitants des quartiers n’ont pas une seule et même réaction face à ces révoltes. De plus, ce serait réducteur d’avoir un raisonnement binaire. L’important c’est d’essayer de comprendre ce qui se passe de façon collective et d’essayer d’éviter que cela se reproduise. Je ne suis pas pessimiste mais malheureusement je ne pense pas que cela soit prévu pour demain la veille. En attendant il y a ceux qui condamnent sans chercher à comprendre alors que si on parle des conséquences on doit obligatoirement parler des causes car tant que la cause de ces problèmes n’aura pas été résolue, les conséquences pourraient surgir à chaque fois que le vase débordera. Pour finir je dirai que dans les quartiers les gens n’encouragent pas plus la violence qu’ailleurs.