« On ne sait pas encore si c'est les ERIS ou le virus qui va nous mettre à terre »

Entretien réalisé après deux semaines de confinement avec Y. détenu à la maison d’arrêt de Paris la Santé, dans le cadre de l’enquête militante menée par l’Observatoire de l’État d’Urgence Sanitaire. Y. n’a pas souhaité donner trop d’informations sur son identité. Il a une trentaine d’années et est détenu depuis 8 mois en détention provisoire dans le cadre d’une instruction pour plusieurs vols à main armée. Il a déjà purgé de longues années en détention, de maison d’arrêt en maison centrale, pour d’autres braquages menés il y a longtemps. Il témoigne depuis sa cellule, confiné selon les conditions de l’administration pénitentiaire.

Pour commencer peux-tu nous dire comment ça se passe pour toi, et plus largement pour les autres détenus que tu côtoies à la Santé, en détention pendant la crise du Covid-19 ?

Nous en tant que détenus aujourd’hui ce qu’on pense, en tout cas pour les gens comme moi qui ont malheureusement beaucoup d’années de détention derrière eux, c’est que le vrai souci, il est plus vieux que le corona. Le truc ici, c’est que dès que t’as un mal de dent on te donne un Dafalgan, t’as une migraine on te donne une Dafalgan, tu te casses une jambe on te donne un Dafalgan… T’as des problèmes de santé, tu demandes à être soigné, t’as une liste d’attente phénoménale, on te traite comme si t’étais un clébard, t’es toujours obligé de supplier pour avoir des soins… En prison ça se passe comme ça. Par contre bizarrement si tu demandes à avoir un traitement psy, et des trucs pour te casser la tête, des calmants, des antidépresseurs, des trucs pour te détruire et t’abrutir, ça par contre ils te les donnent, il y en a pour deux minutes. Mais quand c’est pour avoir de vrais soins c’est compliqué.

Donc là aujourd’hui ce que les gens se disent, c’est que comme on nous ment tout le temps en prison, qu’on ne nous donne jamais la réalité, on se pose la question de savoir combien il y a de cas. Parce que personne ne nous le dit, on a pas le droit de le savoir, on sait pas comment ils envisagent de soigner la population pénale, si la pandémie se répand, si ça commence à vraiment se multiplier à l’intérieur des murs. Tout ça c’est des préoccupations qu’on a et quand on demande aux chefs de bâtiment comment ça se passe, ils nous répondent « vous inquiétez pas on gère ». On est infantilisé. Donc moi je comprends ce qu’il se passe en ce moment dans les prisons françaises, on parle de mutinerie, de blocages de promenade, mais c’est normal. La pénitentiaire rend toujours tout opaque, mais dans le même temps on voit sur BFM que t’as des gens qui meurent à l’extérieur, les gens qui vont dans les hôpitaux dans des états graves, on ressent la peur des gens à l’extérieur dans les interviews qu’on voit. Bah nous on se dit « nan mais attends, si c’est comme ça dehors, pour nous à l’intérieur des murs, si il commence à y avoir des mecs qui sont contaminés ça va être l’hécatombe ».

C’est prouvé en médecine, dans un milieu clos comme la prison, c’est un nid à bactérie, quand il y en a un qui tombe malade tout le monde tombe malade. Je l’ai vu, j’ai fait des années et des années de placard, chaque hiver quand il y a une gastro, au bout de cinq jours dans la même aile t’as des dizaines de gars qui l’attrapent. J’ai vu des mecs qui avaient des grippes, il fallait voir la vitesse où on était contaminé dans la prison. Alors on sait très bien que là les premiers cas de Corona Virus ont commencé à arriver, dans pas longtemps il va y avoir des cas par centaine. Déjà là on rigole nous, Belloubet qui annonce quatre cas sur l’ensemble du territoire. Mais nous là on est déjà à plus de cinq cas rien que sur mon bâtiment ! Ici c’est un endroit qui est sale, on n’a pas le droit d’avoir de gants, de masques, de gel, on communique pas sur les consignes sanitaires. En réalité c’est un bourbier, et c’est ça qui fait peur aux gens. C’est pour qu’ils se révoltent.

Est-ce que tu peux me décrire tes conditions de confinement ? Comment ça se passe matériellement pour toi ?

Mais en réalité, on nous parle de confinement en détention, mais qu’est ce que ça veut dire ? À l’origine on est déjà confiné on est en détention. Mais avant de parler de ça je voudrais remettre une chose en place. La cour européenne des droits de l’homme elle a ordonné à la France : « cellule individuelle pour tous les détenus », c’est la loi, normalement, les gens doivent être seuls dans 8 à 9 mètres carrés. Aujourd’hui en prison on est entre 2 et 3 dans la même cellule, tu te retrouves avec des mecs tu sais pas s’ils sont malades ou pas malades, et le jour où, à cause de la surpopulation pénale (parce que c’est ça au final qui est le pire), la pandémie va vraiment commencer, dans des prisons dortoir comme Fresnes comme Fleury, ça va être une hécatombe. Faut voir le nombre de mecs qui vont tomber malade, et le nombre qui vont mourir, ça va être hallucinant. Ça a commencé là mais c’est que le début. Alors là ils nous parlent de confinement mais ils arrivent à nous mettre à trois dans la même cellule. Mais il est où le confinement ? On te met à trois dans la même cellule de huit mètres carrés, t’en as un qui est libérable, le lendemain t’as à nouveau un arrivant qui arrive, on le jette dans ta cellule alors qu’il vient de dehors et qu’il est peut être infecté. Mais il est où le confinement ? Le seul confinement qu’il y a eu ici, c’est qu’ils se sont servis de ça pour nous enfermer encore un peu plus longtemps dans nos cellules. On a plus d’activité, on a plus de sport, on a plus de travail, on peut plus aller à l’école, on peut plus rien faire. Et le pire là-dedans c’est que c’est des hypocrites. On a plus d’activité, plus rien en détention, mais par contre ils nous laissent aller en promenade et on est une centaine de détenus dans la cour. Il y a un petit souci d’incohérence là-dedans.

Mais du coup par rapport à la détention traditionnelle, ce que toi et les autres détenus vivez normalement au quotidien, quels changements vous notez ou vous ressentez le plus ?

Mais il n’y a rien du tout. Ils ont rien fait du tout, on a rien, même pas pour se désinfecter, ce qui est inadmissible en détention. Je te l’ai déjà dit mais la détention c’est un espace sale, où il y a de la crasse partout, un manque d’hygiène quelles que soient les prisons. Donc nous on a rien pour se désinfecter, mais les agents non plus ils ont rien eux mêmes ! Même eux on ne leur donne rien. La prison elle continue à fonctionner, tous les jours t’as des arrivants ils arrivent de dehors, le quartier arrivant il est plein. Et ils nous les envoient en bâtiment normal sans test, sans rien, et faut qu’on les accepte dans nos cellules. Et si tu refuses, tu dis « nan il est peut être malade », bah on te dit ok tu vas au mitard. On nous oblige à cohabiter avec un mec qui arrive de dehors. C’est pas normal ça. Donc à un moment quand on parle de confinement, on doit faire en sorte de ne plus faire rentrer les gens dans les maisons d’arrêt, dans l’état actuel des choses. Le mec qui a vendu une barrette ou qui a volé une voiture, qui a pas respecté le confinement, bah on le met pas en prison il y a d’autres solutions, c’est dangereux.

Tu disais du coup que vous n’aviez pas te protection, tu peux me reparler ça ? Pas de matériels, pas de prévention ?

Bah ouais ça c’est encore un autre problème. Au-delà des arrivants, les surveillants, tous les jours ils arrivent de dehors eux ils ont même pas un masque. Ils passent à la gamelle (à la distribution du repas) ils parlent avec toi, limite ils postillonnent au-dessus de la bouffe …

Mais concrètement il y a quand même eu des changements ? Enfin il y a eu la suppression des parloirs par exemple.

Bon d’accord. Ils nous ont privé de voir nos familles. Mais nos familles nous de toute façon on les voit 45 minutes par semaine. Les surveillants on les voit 24 heures sur 24, ils sont bien plus dangereux que nos familles à aller et venir à l’extérieur, sans protection sans rien, avec des bactéries et des agents pathogènes qu’ils nous ramènent de l’extérieur. Mais il y a pas un risque dans tout ça ? Il ont rien mis en place au niveau sanitaire, même pas pour les surveillants. On les contrôle pas, on les test même pas.

Et j’imagine quand même que les interdictions de parloir, d’activités etc., ça aggrave encore plus vos conditions de détention ?

La réalité c’est qu’aujourd’hui les choses elles sont faites à l’envers. S’ils veulent vraiment confiner, faire un confinement efficace contre le virus en prison, qu’ils commencent déjà par faire les choses bien avant de nous priver du peu de choses qu’on a. Qu’ils équipent déjà tout ceux qui viennent de l’extérieur, qu’ils les testent, qu’ils aient au moins une paire de gants ! Moi j’ai vu des surveillants aujourd’hui faire une fouille avec leurs gants en cuir avec lesquels ils viennent de l’extérieur. Ils ont fouillé une cellule, ils ont touché les assiettes du mec, tout ce qu’il y avait dans sa cellule, ils avaient aucun masque sur le visage. Ils ont fouillé, retourné la cellule, et après ils sont repartis. Et ça s’arrête pas là. On nous impose des fouilles au corps tous les jours, avec des agents dont on ne sait même pas s’ils sont malade ou pas. Par contre on nous interdit de voir nos femmes et nos enfants au parloir. Mais là qu’on soit clair, ceux qui continuent à tomber malade en détention atteints par le COVID, ils ne l’ont pas attrapé par leur famille hein, ça fait longtemps qu’on les voit plus. Le virus ils vient des agents, des personnels, des arrivants… C’est pas nous qui le produisons tout seul.

Et du coup ça se passe comment dans vos rapports avec les personnels en ce moment ?

Bon moi je sais pas comment ça se passe partout, mais là où je suis déjà, pour parler des gradés par exemple (les surveillants supérieurs), ici dans mon bâtiment on est devant une cheffe qui est complètement tarée. Elle se permet tout et n’importe quoi. Le chef d’établissement a sorti une note de service pour mettre une deuxième promenade par jour pendant le confinement. En gros 1h30 le matin et 1h30 l’après midi. Elle a décidé que ça serait 1h de promenade, parce que c’est comme ça et puis c’est tout, comme si la demi-heure de plus allait favoriser la transmission du virus. Mais bon de manière générale c’est le bordel. Quand on met le drapeau ou qu’on appuie sur le voyant pour que le surveillant vienne à la porte, plus personne ne répond, pas d’interphone, pas de surveillant d’étage, bref t’as un problème : débrouille toi. Quand on demande aux gradés des infos sur le confinement, qu’on fait état des risques et des difficultés qu’on rencontre, on nous dit « c’est pas notre problème écrivez à la direction ». Donc au lieu d’assouplir un peu leur ligne, d’être dans la discussion, dans le dialogue, d’essayer de nous apporter des réponses, bah on nous envoie plus ou moins nous faire foutre sans pédagogie.

Et avec la direction vous avez des retours ?

Ouais par contre la direction, ici ils communiquent. Ils communiquent pas avec tout le monde mais ils font des rdv réguliers avec les détenus, des réunions, des passages parfois à la gamelle pour parler avec les détenus. Mais bon ils choisissent bien les gens avec qui ils parlent. Nous les gros profils on les voit, on leur parle, ils nous brossent dans le sens du poil, mais les autres détenus isolés, les petites peines, les indigents, c’est ferme ta gueule et fais ce qu’on te dit.

Et avec les surveillants ?

Bah c’est compliqué, il y en a qui essaient de calmer le jeu quand même, avec la pression qui monte chez les détenus. Mais tu sens que même eux ils sont inquiets. Parce que même à leur niveau à eux, j’ai l’impression qu’ils ont très peu d’informations. J’ai posé la question il y a quelques jours à un surveillant. À la gamelle il me lance « Bah tu prends rien ? » moi j’lui réponds « Déjà tu viens de dehors, t’as pas de masque, t’as pas de gant, j’préfère pas manger que d’attraper le virus » et lui-même il m’a dit « Je sais mais c’est pas de ma faute, on me fournit pas de masque, on doit utiliser nos propres gants, on a rien pour se désinfecter ».

Et avec les personnels de l’UCSA ? (Infirmerie)

Ah ça c’est encore un autre truc qui m’a fait halluciner. Malgré l’épidémie, on a pas vu une infirmière ou un médecin. On nous a juste dit « maintenant l’infirmerie c’est terminé on ne peut plus y aller pour rien ». Pour rien ? Parce que d’habitude on n’y va pour rien ? Genre on fait semblant d’être malade ou peut-être c’est pas important la santé d’un prisonnier ? Enfin voilà quoi, moi depuis le début de l’épidémie j’ai pas vu une blouse blanche, ils sont même pas passés prendre des nouvelles à la porte ou quoi, il y a pas un médecin qui s’est pointé dans l’aile. Par contre si tu leur demandes des cachets pour t’abrutir là ils t’en donnent hein, ça ça n’a pas changé. La drogue légale ça c’est normal.

Vous avez des informations sur la situation vis-à-vis du virus à la Santé ? Qu’est-ce qui se passe à ce niveau-là ?

Alors la direction nous dit qu’il n’y a rien du tout. Mais on entend par les surveillants qu’il y aurait plusieurs dizaines de cas. En réalité on sait pas vraiment, on nous cache le chiffre. Mais on a vu plusieurs détenus qui avaient les symptômes et qui ont disparu, changé de bâtiment.

Apparemment ils confinent les détenus malades dans un bâtiment à part, avec des détenus testés positifs, et d’autres qui auraient juste les symptômes. Ça veut dire qu’en gros t’as une grippe, tu le dis à l’infirmerie, on t’envoie dans un bâtiment avec les COVID + et tu ressors avec le virus. Du coup les gens malades ils ferment leur gueule, ils restent malades et ils continuent à transmettre le virus. Mais bon je l’ai dit au début, on nous ment sur les chiffres et dehors on vous ment sur les chiffres aussi, rien qu’à la Santé il y a plus de détenus testés positifs que les quatre soit disant atteints officiellement du virus sur toutes les prisons françaises.

Et du coup entre les détenus en ce moment ? Comment ça se passe ?

Je te l’ai dit tout le monde est dans l’inquiétude et un peu dans l’angoisse, on attend de voir. Dès que t’en a un qui tousse ça le regarde de travers, on essaie un peu de garder nos distances, mais bon tu veux faire comment ? La tension monte, on se serre les coudes sans se toucher, mais on sait pas encore si c’est les ERIS ou le virus qui va nous mettre à terre.

Et qu’est-ce qui se passe sur le plan judiciaire ? Pour des détenus comme toi qui sont en attente de jugement, les affaires continuent ou tout est mis sur pause ?

C’est toujours pareil, même les juges, les magistrats, ne communiquent pas. On ne sait pas, on nous dit rien, alors on essaie de deviner tout seul. On sait que les extractions au palais de justice sont annulées, certains passent en visioconférence devant leur magistrat. Il y a en a même qui ont été jugés en visio. T’imagines t’attends ton procès depuis 2 ou 3 ans en détention et t’es jugé par Skype. Alors qu’il me semble que dans la loi la visioconférence c’était pas une obligation mais que ça devait être un choix. Là apparemment on te l’impose.

Faut pas oublier que le fait de pas pouvoir comparaître devant les juges c’est problématique, on peut pas vraiment se défendre, on est juste un visage derrière un écran. C’est pas la même défense. Après moi il y a un truc que je veux rappeler et j’aimerais que ce soit dit. J’entends la ministre de la Justice Madame Belloubet dire « Nous allons libérer 5000 personnes en fin de peine ». Pas de soucis, on parle des condamnés en fin de peine (moins de 6 mois), d’ailleurs ça fait très longtemps qu’ils auraient dû le faire, ils auraient pas dû attendre le coronavirus. Enfermer des jeunes de 19/20 ans pour leur première condamnation au lieu de leur apprendre quelque chose ou d’essayer de les responsabiliser, mais bref, s’ils ont envie de créer des multi-récidivistes c’est la bonne recette, et je te le dis je suis le produit de ce système-là.

Mais bon c’est pas le sujet, moi j’veux parler des gens qui sont en mandat de dépôt, en détention provisoire. Ça veut dire que jusqu’à preuve du contraire tu n’es pas reconnu coupable des actes qui te sont reprochés, et ça c’est selon le texte de loi en vigueur. Il y a des gens qui vont être acquittés, d’autres qui vont avoir des non lieux, ça veut dire qu’il y a des gens qu’on retient en prison aujourd’hui en France, on les met en danger, en danger de mort (parce qu’on sait très bien qu’on aura du mal à soigner les prisonniers on a vu il y a déjà eu un mort à Fresnes et d’autres en Europe) alors qu’ils sont innocents. On pourrait les mettre chez eux avec des bracelets, mais malheureusement ça coûte chère hein, donc pour une question d’argent, on prend le risque de faire mourir des gens dans des cellules. Et le pire c’est que peut être on se rendra compte qu’ils n’étaient pas coupable des faits pour lesquels ils étaient en prison. Et là on voit personne, ni Belloubet, ni les médias, venir à la télé parler de ça. Elle n’en a littéralement rien à foutre cette dame-là, la ministre de la justice.

On a vu depuis l’extérieur la multiplication de révoltes, de blocages et de mutineries, d’abord en France puis en Italie. On a d’ailleurs vu des vidéos de l’intervention des ERIS à la Santé. Est-ce que tu pourrais nous en parler ?

Déjà je voudrais poser la question à ceux qui vont écouter ou lire notre entretien. Est-ce que demain vous pourriez devenir violent si on vous enfermait dans des prisons, à tord ou à raison, en pleine crise du corona virus, et dans les conditions que j’ai décrites plus haut, pendant des semaines voire des mois ? Bah moi j’vais vous dire que oui. Moi si demain, alors que je ne suis pas encore reconnu coupable des faits pour lesquels je suis en prison, que je suis père de famille, marié, que j’ai une vie dehors, et bien moi si je vois des gens mourir dans une cellule à côté de la mienne, que je vois que rien ne se passe, et qu’on a l’intention de me laisser crever, bah à un moment ou un autre il est possible que je devienne violent. Et c’est humain. Tu prends un chien, tu l’enfermes dans une cage, tu le laisses à moitié crever, quand il va sortir il va te mordre et ça sera de ta faute.

Aujourd’hui les gens ont très bien compris, on va nous laisser mourir derrière les murs des prisons, donc on se révolte, on se mutine pour leur montrer qu’on se laissera pas faire aussi facilement. Mais là je parle même pour la personne la plus lambda, le gars primaire (première peine de prison) si tu vois un gars mourir dans ta cellule, dans ton aile, dans ta promenade, à un moment ça devient logique et humain, de te révolter parce que t’as pas le choix, ça sera peut-être toi le suivant. Donc si aujourd’hui on continue à nous apporter aucune réponse si ce n’est de continuer à crever gentiment, comme le fait Madame Belloubet depuis le début de la crise, les prisons elles vont continuer à brûler, et moi je serais le premier à faire brûler les prisons. Pas parce que j’en ai envie, je vais pas y prendre du plaisir, mais c’est parce que ça va être la seule solution pour me faire entendre, ici comme dehors. Il est hors de question que je reste passif, si on me laisse crever dans une cellule. Et je pense, en tout cas j’espère, que n’importe qui peut le comprendre.

Tu peux nous parler un peu plus précisément des blocages à la Santé et/ou ailleurs en ce moment ?

Au QH6 dès le premier jour de confinement, une centaine de prisonniers ont refusé de remonter en cellule pour protester contre le manque d’information et le manque de mesure sanitaire pour les détenus. Ça a duré plusieurs heures et il y a eu d’autres blocages individuels en soutien à l’intérieur dans le même temps. Puis comme d’habitude, ça a pas manqué, ils ont appelé les ERIS (service spécial d’intervention antiémeute en détention) qui ont dispersé le blocage et frappé les gens entre la promenade et le retour en cellule, à l’abri des caméras. Ce blocage il est arrivé juste après qu’ils aient coupé les parloirs, sans explication, sans consignes sanitaire… Mais bon ça les a un peu calmés quand même parce que dès le lendemain on avait des notes de services et des rdv avec la direction… C’est pas encore ça mais bon, tu vois que quand tu veux obtenir un truc ici t’as pas beaucoup le choix, tu bloques.

Mais bon encore une fois je veux insister, si on bloque c’est aussi parce qu’on a peur, parce qu’on s’inquiète de la situation. On s’inquiète surtout pour nos familles, moi je suis père de famille, ma femme elle est malade dehors, elle a des problèmes, de graves problèmes de santé, et elle est très à risque vis à vis du COVID. Moi je deviens fou, si demain ma femme vient à décéder à cause du corona virus, qui va s’occuper de ma fille ? Je n’ai pas beaucoup de famille, j’ai toujours pu compter que sur moi-même et sur ma femme. Je vais faire comment ? Tout le monde s’inquiète à la fois pour sa santé ici, mais aussi pour sa famille dehors. En plus on a plus de parloir, peu de possibilité de téléphoner, presque plus de courrier. Mais qu’est-ce que vous croyez qu’il va se passer pour les mecs qui vont commencer à apprendre qu’ils ont perdu des membres de leur famille du COVID ?

Bref on est en train de devenir fou, la tension monte et on voit mal comment ça ne pourrait pas exploser d’ici à la fin du confinement. Là je veux bien le dire et que ce soit entendu, vous allez voir, aujourd’hui on va assister à un drame dans les prisons, à un drame sanitaire, à cause de la surpopulation et du manque d’intérêt que nous porte l’institution judiciaire. Alors nous on est les grands méchants de l’histoire, les criminels, et eux dehors elle est où leur morale ? Moi j’ai tué personne, mais la justice là par contre elle va avoir du sang sur les mains. Ils sont beaucoup plus immoraux que les gens qu’ils enferment derrière les murs.

C’est quoi du coup le plus dur pour vous en détention dans le contexte actuel ?

Moi j’insiste, je m’inquiète pas pour moi, je m’inquiète pour ma famille, je m’inquiète pour ma femme, pour mes enfants, mes parents qui sont âgés. Ma famille elle est à risque moi, des problèmes de santé, des parents âgés, des gens qui continuent à devoir travailler dehors pendant le confinement. Et bah dis-toi bien que si l’un d’eux décède du corona virus, on n’aura même pas la décence de me laisser aller enterrer les miens.

Et pour les gens qui sont indigents (les détenus isolés et sans argent), c’est une vraie blague. Il y aura deux mois de confinement au moins et le seul geste qu’ils ont eu dans toute la France c’est de donner la TV gratuite aux détenus pauvres, et 20 euros à la cabine téléphonique. On est une population affaiblie financièrement ici. Soit on est pauvre et on commet un délit pour ne plus l’être, soit on est riche et on perd tout une fois arrivé ici. Donc ici on va pas se mentir, même le dernier des gangsters il est en galère.

Et la France là elle est en train de privatiser ses prisons, elle les confie à des organismes privés, et elle les laisse les exploiter autant qu’ils veulent. Donc eux ils en profitent et ils fixent les prix qu’ils veulent, sur la bouffe, les cantines, et surtout sur le prix du téléphone. Écoute bien, si je veux téléphoner tous les jours 20 minutes à ma famille, j’ai fait le calcul, ça me coûte 150 euros de forfait téléphonique par mois. C’est énorme, en sachant que les gens qui travaillent en prison gagnent au maximum 200 euros par mois. On nous rackette à la cabine téléphonique. Donc bref imagine pour les indigents, ils ont pas d’argent, on leur donne 20 euros pour appeler leur famille, mais ils préféreraient que tu les leur donnes pour s’acheter du tabac ou de quoi faire un vrai repas pour éviter leur gamelle dégueulasse. Eux c’est les pires, ils ont souvent pas de famille, s’ils meurent ici il y aura personne pour les pleurer, ils ont peur et l’AP leur donne 20 euros d’appel à la cabine.

Quel est ton avis sur la gestion de la crise actuelle ? Aussi bien en interne qu’à un niveau plus général ?

Bah c’est catastrophique, mais déjà il faut dire qu’au niveau pénitentiaire, c’est pas vraiment de leur faute. Je suis toujours pour leur taper sur la gueule mais là, ils sont en train de payer le manque de moyens, et le manque de considération de l’État et du système judiciaire. Parce que moi je parlais avec un directeur l’autre jour et il me disait « là-haut on leur dit que c’est la merde et que ça va péter, qu’on a besoin de moyen, et eux ils nous disent : du moment que vous les gardez et que personne s’évade on en a rien à foutre ».

C’est le système judiciaire français qui est responsable, c’est un système qui est archaïque, les prisons sont dépassées, la France est systématiquement condamnée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Ils violent tous les droits constitutionnels que les détenus peuvent avoir, et ils préfèrent payer que changer. C’est la réalité et c’est encore pire maintenant sous le corona virus. Alors on les voit venir avec leur 5000 libérations, c’est de la foutaise de libérer 5000 personnes, c’est pas quelque chose qu’il fallait faire pendant le corona virus, c’est quelque chose qui est logique ! Les prisons débordent, même les surveillants le disent. Déjà qu’est-ce que tu fais encore en prison avec une peine de moins de 6 mois ? Ils sont en fin de peine c’est normal de les libérer, alors non désolé mais moi je ne dirais pas merci.

Et à côté de ça nous on est présumé innocent et on reste en détention. Par contre pour revenir sur l’AP (l’administration pénitentiaire), ils me font quand même rigoler ceux-là. Je les vois se balader dans les couloirs, parler des libérations, alors qu’au fond au sait que c’est du pipeau, ils nous lâchent « courage, les juges ont pour consigne de libérer tout le monde, tenez bon ça arrive » mais moi je suis mort de rire quand j’entends ça. Il y en a beaucoup qui y croient, ils font même courir des rumeurs de libération en DML (demande de mise en liberté effectuée dans le cadre des procédures en instruction) alors tous les prévenus posent leur DML mais elles sont toutes refusées. Bref ils essaient de tenir les gens avec ça, mais moi ça marche pas. Les mecs comme moi pour les tenir, ils viennent avec des casques et des boucliers, ils vont nous plier et nous emmener au cachot.

Avec le prolongement du confinement, comment tu vois la suite en détention ?

Pour l’instant ça va on est pas encore dans le pic de la maladie, en tout cas en prison. Il n’y a pas encore des mecs qui sont gravement malades, même si il y a déjà eu un mort à Fresnes et que c’est sûr qu’on nous cache des choses là-dessus. Mais dès que ça va arriver, ça va partir en couille. Ça a déjà commencé, mais ça fallait le voir comme un avertissement, parce que quand la maladie va se répandre ici, ça va vraiment partir en couille. Et ça peut aller loin tout ça, le jour où le gars il voit qu’il est en train de mourir et qu’on ne le soigne pas, il va prendre un surveillant en otage direct. Il n’a plus rien à perdre, il va négocier un traitement.

Quel type de soutien ou de solidarité pourriez-vous attendre depuis l’extérieur ?

Bah la dans ce contexte y’a plus vraiment de soutien possible, on attend plus grand chose et on compte que sur nous-même. Mais c’est peut-être aussi parce que ça fait longtemps qu’on nous a pas tendu la main …

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