« Nous ne sommes même pas testés nous-mêmes » - Entretien avec une médecin généraliste

En France, la situation liée à la pandémie du Covid-19 se rapproche de jour en jour de celle de l’Italie, en proie à une catastrophe sanitaire depuis plusieurs semaines. La déstructuration progressive du système de santé français – et international – au fil des mesures d’austérité et de privatisation néolibérale, n’est pas seulement un facteur d’aggravation de la crise sanitaire et sociale qui vient, mais constitue bel et bien son fondement. La situation la plus délicate est celle de l’hôpital public, notamment des services de réanimation, qui sont en première ligne face à l’épidémie. Mais qu’en est-il de la médecine de ville, élément essentiel de la chaîne de soins ? Nous nous sommes entretenus avec une médecin généraliste de banlieue parisienne, qui revient pour nous sur la réorganisation du lien avec les patients, ainsi que sur les manquements et les incohérences de la gestion des autorités face à la catastrophe qui arrivait.

1/ Quelles ont été les mesures mises en place pour vous protéger vous et vos patients ?

D’abord, en ce qui concerne les masques et autres matériels de protection, il n’y a pas de service qui nous les fournit. Nous devons faire le tour des pharmacies pour nous en procurer – gratuitement, quand même ! Il a été annoncé dans les médias que nous pourrions nous réapprovisionner dès cette semaine en masques – c’est là que nous sommes le plus en pénurie – mais je viens d’apprendre par mon collègue que les pharmacies étaient toujours en rupture de stock de FFP2 et nous sommes mardi… Et c’est le cas dans de nombreuses communes, qui ne peuvent donc pas fournir de masques aux médecins et aux paramédicaux. On attend. On sait aussi que dans certaines régions, dans certaines réas et dans certains cabinets, il y a des carences terribles de gel hydroalcoolique également, en plus des masques.
Sinon, les consignes et les informations nous sont envoyées par mail, elles proviennent du Ministère de la santé, de la DGS (Direction Générale de la Santé) ou des SAMI (Service d’aide médicale initiale, anciennement « Maison Médicale de Garde »). La plupart du temps ce sont des liens qui nous envoient vers des sites dédiés au Covid-19 qui nous fournissent des consignes précises, notamment sur l’organisation du cabinet et des consultations. Nous devons par exemple préparer des plages horaires dédiées de prise en charge des patients susceptibles d’être atteints du virus (pour éviter la surpopulation dans les salles d’attente, entre autre). Les consignes portent aussi sur la prise en charge des patients : il y a un arbre décisionnel en fonction des symptômes et des critères de gravité. Notre rôle c’est de décider si on hospitalise le patient ou si on le renvoie chez lui, selon la gravité du cas. Bien sûr, la gravité ne dépend pas que de facteurs médicaux, mais aussi de critères médicaux-sociaux : l’isolement et la précarité, par exemple.

2 / Comment procédez-vous pour prendre cette décision? Soumettez-vous les patients au test du virus ?

Nous n’avons aucun accès à ces tests. Nous ne sommes pas en mesure de savoir si un patient a le virus ou non. Nous pouvons simplement mesurer s’il doit être hospitalisé ou renvoyé chez lui : en mesurant la saturation en oxygène, la fréquence respiratoire, la fièvre, la tension. Mais ce n’est pas suffisant. Nous aurions dû avoir accès à ces tests afin de tester les patients avant le passage au stade 3, maintenant, ça ne servirait quasiment plus à rien. Néanmoins, si le patient doit être hospitalisé et/ou simplement testé, nous sommes obligés de téléphoner au SAMU, qui est très difficile à joindre, même lorsque nous avons des cas graves qui doivent être pris en charge. On peut passer près d’une heure à essayer de les joindre, car ils sont déjà débordés.
Il y a aussi les SAMI qui sont des « services de consultation d’urgence » et fonctionnent par commune ou regroupement de communes. Ces services sont essentiels, et permettent de réguler les urgences en assurant la continuité des soins le soir et le week-end. Pour nous, la communication et les informations passent surtout par le SAMI. ll faut aussi noter que l’efficacité et la présence des SAMI est très relative selon les territoires.
Je voudrais aussi rajouter qu’en plus de ne pas pouvoir tester les patients, nous ne sommes même pas testés nous-mêmes, et c’est assez étonnant. Il n’y a eu aucune campagne de test, pour la population d’une part, mais surtout pour les personnels de santé ! Jusqu’à très récemment, même en présentant les symptômes, les médecins n’étaient pas testés. Si on se mettait à tousser, qu’on présentait certains symptômes légers, on ne nous testait pas, donc on a continué de travailler. C’est comme ça que ça s’est passé ces dernières semaines.
Ça m’est arrivé personnellement donc je peux en témoigner. Le 18 février, je suis tombée malade, je présentais les symptômes liés au virus : toux, fièvre, fatigue, asthénie. J’ai contacté le SAMU afin de me faire tester avant de retourner au cabinet, ça me semblait logique. Mais on m’a dit que ce « n’était pas le protocole », que cela pouvait changer d’un jour sur l’autre, mais que tant que je n’avais pas été en contact avec une personne qui « s’était rendue dans une zone à risque », il n’était pas utile de faire les tests. C’est un manque de rigueur.

3 / Comment organisez-vous vos consultations, vos liens avec les patients ?

Une tendance générale, qui va dans le sens des consignes de confinement maximal, est de faire des téléconsultations. Ça permet aux gens, notamment aux personnes fragiles, de ne pas avoir à se déplacer. Il faut quand même noter que ça ne nous permet pas de prendre tout le monde : ce protocole nécessite que le patient ait un ordinateur, ce qui participe à exclure des personnes précaires, des personnes âgées, etc. Par ailleurs, les serveurs sont déjà saturés, et les consultations sont rendues très difficiles voire quasi impossibles tant ça « saute » régulièrement.

L’autre solution est de prendre les appels téléphoniques. Ce n’est pas payé, mais certains d’entre nous y passent beaucoup d’heures par jour. Je ne sais pas comment ça se passe ailleurs, car les moyens sont disparates sur le territoire, en termes de matériel de protection par exemple, mais aussi de moyens. La consultation se résume souvent à décider si on envoie le patient à l’hôpital, ou en confinement s’il est en dehors des critères de gravité (avec un arrêt de travail de 14 jours). Le fait de ne pouvoir tester personne nous limite. Les visites à domicile se développent pour éviter aux personnes à risque (âge, comorbidité, etc.) de se déplacer et les maintenir confinées.

4 / Vous avez parlé avec beaucoup de patients au téléphone, qu’avez-vous à en dire, à ce stade de la pandémie ?

Les gens ne comprennent pas trop ce qui se passe. Ils appellent aussi pour avoir des explications. Il y a beaucoup d’inquiétude, mais pas de paranoïa. Les gens sont scrupuleux, attentifs, et compréhensifs, ils veulent des avis. Ce qui est certain, c’est que les consultations et les appels téléphoniques n’arrêtent pas d’augmenter. Pourtant, ici, en Île-de-France, nous ne sommes pas encore dans le cas de Mulhouse, et plus généralement dans le Grand-Est, où les cas de covid-19 ont explosé et où toutes les équipes de santé sont saturées et fatiguées.

5 / On sait qu’avec les coupes budgétaires liées aux politiques d’austérité, la situation de l’hôpital public est catastrophique, avec un manque de personnel soignant – qui était déjà à bout avant l’épidémie -, de lits, d’appareils d’assistance respiratoire, et autres matériels. Qu’en est-il de la médecine de ville ?

Nous sommes largement plus épargnés que le personnel de santé qui travaille en réa. Ce sont les plus touchés.
Ceci dit, concernant la médecine générale, avant la « crise du coronavirus », il y avait déjà une crise de l’accès aux soins, particulièrement dans les déserts médicaux (qui ne sont pas que dans les campagnes profondes, mais aussi dans les métropoles, dans les banlieues). Les médecins généralistes, c’est à dire le « premier accès aux soins », sont aujourd’hui saturés dans leur clientèle, la plupart ne prennent pratiquement plus de nouveaux patients, et ceci depuis des années. Cela est dû au non remplacement des médecins qui partent à la retraite, notamment parce que les conditions et la charge de travail sont trop lourdes. Il est donc difficile pour beaucoup de gens de trouver un médecin traitant aujourd’hui, et des tas de gens n’en ont pas du tout. Dans la situation actuelle, les médecins généralistes qui étaient saturés doivent donc ouvrir leurs consultations en accès libre (et je veux croire qu’ils le font tous afin de ne pas surcharger les urgences !).

6 / Avez-vous accès à l’information scientifique autour du virus et de son évolution?

Non, on ne nous communique pas ces informations. J’ai quand même eu des retours de chercheurs qui étaient très en colère, du fait de la réduction drastique des budgets de la recherche, sur les Coronavirus entre autre (la recherche sur les Coronavirus s’était développée suite au SRAS, épidémie qui a frappé la Chine en 2003), depuis Sarkozy, et à sa suite Hollande et maintenant Macron. Nous avons un vrai retard. On aurait pu avoir une modélisation plus avancée du comportement et des mutations du virus, qui nous aurait permis d’agir en conséquence. Il y a aussi trop peu de transparence autour du Conseil Scientifique qui a été réuni par le ministre de la Santé sur demande de Macron. Nous apprenons seulement l’identité de ses membres, mais ses décisions ne sont pas rendues publiques. Cette opacité ne concerne pas seulement les médecins, ce sont des informations qui devraient être divulguées à l’ensemble de la population !

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