Hier 9 août était la date anniversaire de la mort de Mahmoud Darwich. Toutes celles et ceux qui ont un jour considéré la lutte du peuple palestinien, ont forcément croisé sur leur chemin, un poème de lui, une citation, une revue, son visage.
Figure de la lutte du peuple palestinien depuis l’exil, il le fut sans conteste. Chassé de son village avec sa famille à sept ans, Darwich fait partie de cette génération de Palestiniens qui ont à peine commencé à grandir sur leur terre avant d’en être expulsés. Il fera partie de ceux qui se regroupèrent au sein de l’Organisation de libération de la Palestine pour laver l’honneur des Palestiniens défaits, chassés mais surtout, rendus absents par un colonialisme de repeuplement. Et il oeuvra pour rendre présent la Palestine aux yeux du monde, inscrire ce nom dans le temps.
Membre du bureau exécutif de l’OLP, rédacteur de certaines de ses revues politiques et littéraires, émissaire de la cause palestinienne à travers le monde, il fut surtout un poète capable de manier la tradition classique arabe qu’il ouvrait aux percées avant-gardistes de la poésie moderne.
Trop souvent réduit dans l’imaginaire militant au folklore de l’exil, sa poésie reflète une vision de l’identité du peuple palestinien jamais réductible à ce qui fut et auquel il s’agirait de retourner. Le retour à la terre spoliée ne se confond pas avec le retour au passé idéalisé, figé. Nostalgie et exil sont constamment évoqués mais comme méditation sur le temps et sur le territoire en devenir, afin de tracer les sentiers qui donnent à la Palestine le souffle d’une identité ouverte.
Lisons Mahmoud Darwich, non parce qu’il est un symbole d’une cause avec ses textes attitrés, mais pour la profondeur d’une poésie arc-boutée entre les âges, une poésie de terre, de chair et de révolte, cette épopée troyenne jamais trouvée/écrite, dont il se disait le descendant.
Le puits
Je choisis un jour nuageux pour passer par
le vieux puits
Il est peut-être plein de ciel
Il a peut-être débordé le sens et la parabole
du berger
Je boirai une paume de son eau
Et je dirai aux morts qui l’entourent
Que la paix soit sur vous qui demeurez
autour du puits dans l’eau du papillon
Je dégage une pierre de l’aunaie
Que la paix soit sur toi petite pierre
Avons-nous été les deux ailes d’un oiseau qui
encore nous tourmente ?
Que la paix soit sur toi, lune gravitant autour
de son image
Et que jamais tu ne rencontreras
Et je dis aux cyprès
Méfiez-vous de ce que vous dira la poussière
Avons-nous été ici les deux cordes d’un
violon au banquet des gardiennes de l’azur ?
Les deux bras d’un amant ?
Je marchais tout contre moi-même
Sois fort mon double et brandis le passé dans
Tes mains
Telles les cornes d’une chèvre
Prends place auprès de ton puits
Les cerfs de la vallée se retourneront
Peut-être vers toi
Et la voix, ta voix, apparaîtra
Image de pierre du présent brisé
Je n’ai pas encore accompli ma brève visite à
L’oubli
Je n’ai pas emporté tous les instruments de
mon coeur
Ma cloche sur le vent des pins
Mon échelle adossée au ciel
Mes astres autour des toits
Et l’éraflure de ma voix brûlée par le sel
Ancien
Et j’ai dit au souvenir
Que la paix soit sur vous, paroles spontanées
de la grand-mère
Qui nous transportent à nos jours blancs sous
sa somnolence
Mon nom résonne du timbre de la livre d’or
ancienne à la porte du puits
J’entends la solitude des aïeux entre le mîm
et le waw abyssal
Telle une vallée aride
Et je cache ma tendre lassitude
Je sais que dans quelques heures, je
Reviendrai vivant du puits
Au fond duquel je n’ai trouvé ni Joseph
Ni la peur que l’écho inspire à ses frères
Sois sur tes gardes !
Ici ta mère t’a mis au monde, à la porte du puits
Puis elle s’est lancée dans une incantation
Fais de toi-même ce que bon te semble
Seul, j’ai accompli ma volonté
J’ai grandi de nuit dans le conte entre les
Côtes du triangle
L’Egypte, la Syrie, et Babylone. Ici-même
Seul j’ai grandi, sans la grâce des déesses de
l’agriculture
Elles lavaient les gravats dans l’oliveraie
Elles étaient mouillée de rosée
Et j’ai vu que j’étais tombé du voyage des
Caravanes sur moi-même, auprès d’un serpent
Je n’ai trouvé personne à accomplir que mon
fantôme
La terre m’a projeté au-dehors de sa terre
Et mon nom tinte sur mes pas, tel le sabot de
la jument
Viens près de moi, que je rentre de ce vide
Toi Gilgamesh, éternel en ton nom
Sois mon frère !
Et accompagne-moi pour crier à l’unisson
dans ce vieux puits
Il est peut-être plein de ciel, telle une femelle
Il a peut-être débordé le sens
Et ce qui adviendra en attendant que je
naisse de mon premier puits
Nous boirons une paume de son eau
Et nous diront aux morts qui l’entourent
Que la paix soit sur vous
Ô vivants dans l’eau du papillon
Et la paix sur vous, Ô morts
Trad Elias Sanbar