Le prix de la révolte : 30 000 euros d’amendes contre les Monop’ en lutte

30 000 euros d’amende requis par un géant de la grande distribution contre des salarié·es en 1ère ligne, payés au SMIC ? Ça pourrait être une blague, Monoprix en a fait une réalité. C’est en effet la somme que demande le groupe aux caissi·eres et agents de rayon du Collectif CGT Monoprix IDF. Leur crime : avoir organisé des rassemblements devant leurs lieux de travail, notamment pour exiger le versement de la prime Covid promise par Monoprix, puis contre les réorganisations et les suppressions d’emplois en pleine période de crise sanitaire. Pour briser leur mobilisation, on les accuse d’avoir bloqué des magasins et de nuire à l’image de l’entreprise.

Tout comme le groupe Monoprix, la justice de classe déteste les regroupements bruyants, un rassemblement de soutien est donc organisé le vendredi 9 avril place saint Michel à 9H30. Pour soutenir le Collectif face aux coûts de la procédure judiciaire, une cagnotte circule en ligne.

Le prix de la révolte : 30 000 euros d’amendes contre les Monop’ en lutte

Ces rassemblements ne sont pourtant pas nouveaux. Depuis plusieurs années, les salarié·es Monoprix enchainent les actions aux quatre coins de l’Ile-de-France. Leur arme privilégiée : des rassemblements festifs et revendicatifs devant leurs magasins. Pour se regrouper, pour se faire entendre, montrer le soutien aux collègues, mettre la pression à un patron trop sûr de lui et diffuser les revendications aux clients. Organisés par des sections CGT, ces rassemblements sont aussi rejoints par d’autres franges du mouvement social : des cheminot·es aux postier·es, en passant par des collectifs étudiants, des ouvriers de la logistique ou des gilets jaunes. Lorsque l’ambiance est à son comble, la tradition s’est instaurée de conclure les prises de parole par une déambulation à l’intérieur des magasins, entre les rayons, les caisses et les clients, en scandant des « on est là…même si Monop le veut pas » (comme ici, au Monoprix de la Rue des Dames dans le 17ème).

Au Monoprix d’Issy-les-Moulineaux, c’était les conditions de travail qui étaient ciblées. À celui d’Asnières, le sexisme de la direction et les menaces de licenciement, en répression d’un débrayage sauvage organisé par des caissières. À l’échelle locale, ces rassemblements imposent un rapport de force collectif contre des directions de magasins qui se croient tout permis. Et si les choses ne bougent pas, les militant·es reviennent chaque semaine, pendant le pic d’activité du samedi matin. Une version dynamique du « dialogue social » dont Monoprix reconnait la légitimité puisque des mesures ont été prises, comme des changements de direction dans les magasins, des embauches de personnel ou des passages de temps partiel à temps complet.

Avec la vague Gilets Jaunes, les actions se sont intensifiées pour devenir des « Samedi de la colère » et les « actes » se sont succédés à grande vitesse. En novembre 2019, ce mouvement s’est structuré autour du Collectif CGT Monoprix IDF, avec l’objectif de regrouper les syndicalistes de l’enseigne dans une formation plus autonome et plus réactive, sans avoir à passer systématiquement par la fédération du commerce. Les soutiens ont afflué, à l’intérieur comme à l’extérieur des magasins, et de plus en plus de voix s’expriment entre les rayons. Les revendications dépassent désormais le cadre local pour s’adresser à la direction nationale de Monoprix, une enseigne où les conditions de travail se sont considérablement dégradées depuis son rachat par le Groupe Casino en 2013. La colère est devenue révolte.

Le prix de la révolte : 30 000 euros d’amendes contre les Monop’ en lutte

Avec la crise sanitaire, c’est en tant que salariés « essentiels » que les Monop se font entendre. Comme ailleurs dans la grande distribution, les petites mains de Monoprix ont payé le prix cher pendant les pics de contamination. Au mois de mars et avril 2020, seulement pour la région IDF, un salarié de Boulogne a passé 14 jours en réanimation et une vendeuse de Parly dans les Yvelines est restée trois semaines en coma artificiel. La direction avait promis une prime Covid 19 de 1000 euros, dans le sillage des annonces de Macron, mais ils et elles ont vite compris la différence entre les discours et la réalité. Dans le vrai monde, la prime a été versée seulement en fonction des heures passées en magasin pendant les mois de confinement. Les temps de convalescence ont donc été décomptés et les personnes les plus gravement atteintes n’ont quasiment rien touché…

Le monde d’après selon Monoprix, c’est aussi des embauches gelées depuis 2019 et en conséquence des effectifs qui chutent à toute vitesse : de 18 000 salariés en mars 2019 à moins de 16 000 aujourd’hui. Pour les salaires ce sera 5 euros en plus par mois en 2020, merci pour l’aumône. De son côté, Jean-Charles Naouri, le PDG du Groupe Casino, s’est versé une prime de 655 000 euros en sortant du premier confinement, en juin 2020. En pleine santé, l’enseigne Monoprix signe depuis peu des alliances avec d’autres champions de la dégradation des conditions de travail et d’emploi, version numérique cette fois. D’abord avec Amazon, qui propose des produits Monoprix sur son site, puis avec Deliveroo qui promet de les livrer en moins de 30 minutes. Tout ça en profitant du chômage partiel qui touche 30% du personnel en Ile-de-France… pourquoi se priver ?

Que des salarié·es et des militant·es viennent gâcher la fête en beuglant dans des mégaphones et en dansant sur de la musique pop, vraiment ce n’était pas supportable. Le mercredi 9 septembre 2020, la direction Monoprix organisait un évènement à la gloire de sa nouvelle réorganisation, consistant à instaurer de la « polyvalence » dans tous les magasins. Les salarié·es n’étaient pas du même avis, ne comprenant pas le plaisir qu’on trouve à changer sans arrêt de tâche, sans jamais pouvoir faire collectif. Ils et elles se sont donc rassemblés à nouveau, contraignant les invités à traverser leur colère pour atteindre les petits fours… une résistance de trop pour la direction.

Le prix de la révolte : 30 000 euros d’amendes contre les Monop’ en lutte

Depuis, l’ambiance a changé chez Monoprix. Ce sont désormais des dizaines de vigiles, accompagnés de plusieurs huissiers, qui accueillent chaque nouveau rassemblement. Le 12 septembre 2020 à Convention dans le 15ème, puis le 3 octobre à La Fourche dans le 17ème, les vigiles étaient si nombreux que l’accès aux magasins est devenu difficile. Monoprix en a profité pour attaquer en justice plus de 20 salarié·es, prétextant des blocages de magasin, alors que le collectif s’est toujours gardé de franchir ce pas lors de la cinquantaine d’actions qu’il a menées depuis 2018. Cette stratégie de la tension est un grand classique de la répression patronale mais la justice, dans sa grande naïveté, fait semblant de ne pas comprendre. Les caissier·es et agents de rayon en lutte encourent donc plus de 30 000 euros d’amende : pour payer les frais de justice du géant de la distribution et les coûts occasionnés par ses propres délires sécuritaires.

Le Collectif CGT Monoprix représente tout ce qu’une direction peut craindre : des salarié·es qui s’auto-organisent, se regroupent en collectif, pour des rassemblements chaleureux et bruyants, mobilisant des soutiens, attirant des médias et reconduisant leurs actions chaque semaine à la façon des Gilets Jaunes. Pour le Groupe Casino, comme pour le gouvernement Macron, il est primordial que ces « travailleurs essentiels » redescendent bien vite de leur piédestal, faute de quoi ils pourraient bien être tentés de prendre leur envol et d’enfiler à nouveau des gilets fluos. Autour de ces questions se jouent des enjeux fondamentaux pour la période à venir, dont les Monoprix incarnent l’une des multiples facettes.

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