Le peuple palestinien entre pandémie, harcèlement colonial et autodéfense sanitaire

Le cynisme du colonialisme sioniste ne connait pas de limites : quelques jours après l’appel de l’ONU à un cessez-le-feu global en raison de la crise sanitaire – et alors que les premiers cas de gazaouis positifs au Covid-19 ont été diagnostiqués – Tsahal a lancé une attaque contre la Bande de Gaza vendredi dernier. Telle a été la réponse d’Israël aux voix qui se sont élevées ces derniers jours pour alerter des conséquences dramatiques qu’aurait une diffusion de la pandémie en Palestine, notamment au sein de l’enclave gazaouie et des prisons israéliennes. En Cisjordanie occupée, on dénombre déjà plusieurs dizaines de cas et un premier décès : une femme d’une soixantaine d’années originaire du village de Biddu1.

Le système d’exploitation, d’apartheid, d’incarcération, de blocus économique et d’harcèlement militaire qui caractérise déjà l’État colonial israélien en temps normal, est amené à amplifier la diffusion du virus, et ses conséquences meurtrières pour les palestiniens. Comme le résume un ministre palestinien : « Même sans la pandémie le ministère de la santé n’est pas en mesure de fournir aux gens les services nécessaires »2. Et ce dernier de donner quelques chiffres pour rappeler comment quatorze années de blocus ont mis a genoux le système de santé gazaoui : concernant les services de réanimation, on n’y trouve pas plus qu’une cinquantaine de respirateurs – contre les 150 qui seraient nécessaires, au minimum, en temps normal – et 1,7 lits pour 1000 habitants. Des moyens sanitaires dérisoires qui sont déjà « saturés » par les 8 000 palestiniens blessés par la violente répression des Marches du Retour et les diverses agressions militaires3, comme celle de ce vendredi.

D’autres chiffres permettent de saisir la gravité de ce type d’attaques nocturnes dans le contexte actuel : avec ses plus de 4570 habitants par km2, qui peuvent monter à 13 000 dans certaines zones de la ville de Gaza, la bande de Gaza est l’une des zones les plus densément peuplées de la planète. L’approvisionnement des hôpitaux, déjà très limité par les restriction israéliennes, devient impossible en cas de bombardements. D’autant plus qu’en provoquant des mouvements de panique et des déplacements de population, ce type d’attaque augmente les possibilités de contagion. La menace sanitaire pèse également sur les 5000 palestiniens – dont 43 femmes et 150 enfants – qui (sur)peuplent les prisons israéliennes. Ces prisonniers, soumis au quotidien à l’arbitraire et à la négligence médicale de l’administration pénitentiaire, ont vu toutes leurs visites (familles et avocats) bloquées, de même que l’accès à toute forme de soins ou de fournitures sanitaires.

La vulnérabilité des prisonniers palestiniens et des gazaouis face au Covid-19, comme celle du reste du peuple palestinien, est emblématique de tous les damnés des ghettos, des colonies carcérales, des camps de réfugiés, du Sud Global ou des périphéries métropolitaines. Cette pandémie globale, si elle ne fait pas de discrimination épidémiologique, vient aggraver la violence des systèmes déjà en place : la précarisation néolibérale, la répression sécuritaire, les inégalités sociales et sanitaires ou – dans le cas qui nous intéresse ici – l’écrasement colonial du peuple palestinien.

Pour autant, les laboratoires de la répression sont toujours aussi des laboratoires de la solidarité et de la résistance. Le peuple palestinien sait où il devra aller chercher la détermination qui lui permettra d’affronter cette énième épreuve. Certainement pas dans les effets d’annonce de la communication gouvernementale israélienne qui a annoncé en grande pompe l’acheminement vers Gaza de « 600 kits de dépistage et d’un millier de tenues de protections ». Conscient qu’il n’y à rien à attendre du pouvoir colonial, les palestiniens ne peuvent compter que sur eux-mêmes et sur les réseaux de solidarité et de résistance qui leur permettent depuis des générations de tenir tête à l’arrogance sioniste et ses parrains occidentaux.

Ainsi, des rues de Gaza aux camps de réfugiés du Sud-Liban, en passant par les quartiers de Ramallah ou la prison de Jéricho, ce sont les forces de la résistance palestinienne qui commencent à organiser l’autodéfense sanitaire. Khaled Barakat, coordinateur de la campagne pour la libération d’Ahmad Sa’adat4, a récemment diffusé un communiqué de prisonniers qui déclare : « Nous ne faisons pas confiance à l’administration pénitentiaire ! » et demande l’intervention d’équipes médicales palestiniennes et internationales au sein des prisons israéliennes, via l’OMS ou le Croissant Rouge5.

À Gaza, le Hamas tente, avec plus ou moins de succès, d’organiser le confinement et d’obtenir des aides humanitaires internationales6, en parallèle des démarches équivalentes déjà initiées par l’Autorité Palestinienne (AP) en Cisjordanie occupée. Le premier ministre de l’AP s’est d’ailleurs déclaré inquiet « face au risque d’infection parmi les travailleurs palestiniens rentrant d’Israël ». Le nombre de cas positifs au Covid-19 bien plus important parmi les citoyens israéliens (qui comptent 20% d’arabes7) que parmi les palestiniens n’empêche pas les médias sionistes de décrire les palestiniens qui viennent quotidiennement travailler dans les entreprises israéliennes comme des porteurs du virus. Ce qui se traduit par une intensification de la violence patronale et coloniale : des permis de travail sont retirés à ceux qui respectent les mesures de confinement de l’AP, les contrôles aux check-points sont durcis8 et les travailleurs qui présentent des symptômes sont purement et simplement jetés aux postes frontières, sans pour autant avoir été testés9.

Toutefois, comme le remarque Karim, un palestinien interviewé par le site Middle East Eye, « leur économie dépend beaucoup trop de nous pour ne pas laisser entrer les travailleurs »10. 70 000 palestiniens sont donc toujours autorisés à aller travailler dans le bâtiment et l’agriculture. Les patrons israéliens commencent de leur côté à mettre en place des structures dont le but est de confiner certains de ces travailleurs à proximité de leur lieu de travail, afin de maintenir l’activité économique tout en limitant les déplacements et les contacts avec leurs familles.

Au-delà de l’AP et du gouvernement de Gaza, des groupes militants et/ou combattants palestiniens, comme par exemple l’Union des comités de travailleurs agricoles (UAWC) ou le Front Populaire de Libération de la Palestine (PFLP), prennent en main l’autodéfense sanitaire et syndicale de ces travailleurs11, participent aux décontaminations des rues12 et organisent des campagnes de prévention populaire et des distributions de nourriture et de masques13.

Enfin, comme partout ailleurs, c’est avant tout dans les hôpitaux et les centres de santé que les palestiniens se préparent, avec les moyens du bord, à livrer cette nouvelle bataille. L’éventualité d’un transfert des cas les plus graves vers les hôpitaux israéliens reste « en cours d’évaluation » d’après le Cogat, la branche civile de l’armée dans les territoires occupés. C’est donc à Rafah, dans le sud de la Bande de Gaza, que le Hamas a organisé la quarantaine des premiers cas de gazaouis positifs au Covid-19 et s’est lancé dans la construction de 1 000 chambres d’isolement14. Dans les hôpitaux déjà existants, il s’agit avant tout de reconvertir les structures, généralement destinées aux blessures par balle, pour les adapter aux soins respiratoires. Le Dr Ahmad Muhanna de l’Union of Health Work Committies (UHWC), qui compte six centres de santé et l’hôpital Al-Awda à Gaza, a annoncé la semaine dernière la mise en place d’un plan d’urgence avant de dénoncer la pénurie de moyens liée au blocus et de lancer un appel à la solidarité internationale15.

Plus que jamais, à bas le blocus israélo-égyptien, nous somme tous des enfants de Gaza !

Liberté pour les prisonniers palestiniens, liberté pour tous les enfermés !

Solidarité internationale avec l’autodéfense sanitaire palestinienne !

De la Mer au Jourdain, vive la lutte du peuple palestinien!

  1. https://palestinevaincra.com/2020/03/une-femme-de-cisjordanie-est-la-premiere-palestinienne-a-mourir-du-covid-19/
  2. https://www.infoaut.org/conflitti-globali/in-piena-emergenza-coronavirus-israele-bombarda-gaza
  3. http://www.ism-france.org/temoignages/-42-genoux-en-une-journee-des-snipers-israeliens-parlent-des-tirs-sur-les-manifestants-a-Gaza-article-21072
  4. Secrétaire général du Front Populaire pour la Libération de la Palestine emprisonné par l’autorité palestinienne sur ordre d’Israël depuis 2002. À lire notamment, « Hommage de la Révolution palestinienne au BPP », Ahmad Sa’adat.
  5. https://www.facebook.com/CollectifPalestineVaincra/videos/206832370573171/
  6. Des demandes ont été faites au près des Nation unies (qui ont déjà débloqué un million de dollars), de l’Iran, de la Turquie, du Qatar et de l’Arabie Saoudite. Concernant cette dernière le Hamas a également demandé la libération de ses militants emprisonnés dans les prisons du royaume.
  7. Notons à ce sujet que Benjamin Netanyahu fait tout ce qu’il peut pour exclure le mouvement « Liste Commune », porté notamment par ces « palestiniens de 48 », du « gouvernement d’unité d’urgence » visant à faire face à la crise sanitaire. Voir : https://www.chroniquepalestine.com/palestine-le-coronavirus-au-temps-de-lapartheid/
  8. https://www.facebook.com/watch/?v=546085279362140
  9. https://www.middleeasteye.net/news/coronavirus-palestine-labourer-found-near-west-bank-checkpoint-covid19
  10. https://www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/coronavirus-encore-plus-complique-pour-les-travailleurs-palestiniens-6786932
  11. http://www.ism-france.org/temoignages/L-UAWC-se-mobilise-pour-aider-les-agriculteurs-palestiniens-face-au-coronavirus-article-21087
  12. https://www.facebook.com/CollectifPalestineVaincra/posts/1331945043673873
  13. https://www.facebook.com/CollectifPalestineVaincra/posts/1331504733717904
  14. https://francais.rt.com/international/73198-coronavirus-crainte-d-desastre-gaza-cinq-mort-en-israel-un-cisjordanie
  15. https://palestinevaincra.com/2020/03/les-travailleurs-de-la-sante-de-gaza-appellent-a-la-mobilisation-face-a-lepidemie-de-covid-19/
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