« Laissez-nous nous organiser, ça sera beaucoup mieux »

Deux volontaires des Brigades de Solidarité Populaire sont allés apporter 100 masques FPP2 à l’EHPAD (Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) Émile Gérard à Livry-Gargan en Seine-St-Denis en soutien au travail quotidien des soignantes et à la lutte menée au sein de cette structure. Un entretien a été réalisé avec Anissa Amini, aide-soignante, déléguée Sud santé sociaux, menacée par la direction après avoir utilisé son droit d’alerte. 

Tu peux nous décrire la structure dans laquelle tu travailles ?

On est un EHPAD public de 240 lits. On est le 2e plus gros EHPAD de Seine Saint Denis avec plus de 200 personnes qui y travaillent : 70 aide-soignantes à peu près, et le reste c’est des agents des services hospitaliers (ASH). Normalement, on est censé avoir 7 infirmières. Mais deux infirmières étaient déjà parties car elles n’acceptaient pas la politique de la direction. Et on en a perdu une autre partie en retraite. Donc, elles sont 4 anciennes et plusieurs vacataires. On a ensuite deux médecins-coordinateur, un psychomotricien et une psychologue à mi-temps. Suite aux demandes du syndicat pour avoir un soutien psychologique pour les agents sur le terrain, ils l’ont mise à temps plein et ils ont embauché un deuxième psychologue avec elle.

Quel a été votre rythme de travail ces dernières semaines ? Et vous êtes à combien d’heures de travail par jour ?

En général, on travaille quatre matins, puis on a un jour de repos. Après, on passe du soir. Les semaines sont chargées. On fait 7h30 par jour. Le matin c’est 6h30 – 14h20 et le soir 13h40 – 21h. Avec le syndicat, on avait demandé de faire un roulement sur 10h pour alléger les agents, avoir plus de repos en parallèle, et une meilleure prise en charge au niveau des résidents. Être là trois jours, ça permet d’avoir le temps. Les résidents s’accoutument à nous. Si ça change tout le temps, c’est plus compliqué. La direction a refusé en disant qu’il y avait trop d’arrêt maladie. Du coup, on reste sur les 7h30 et le rythme de travail est très fatigant. Depuis que la directrice a mis ça, on remet cette question sur le tapis à chaque instance, à chaque CTE (Comité technique d’établissement) on en reparle. On a essayé aussi de mettre en route une enquête de RPS (Risques psycho-sociaux) pour montrer ce que ça engendrait, mais ça n’a pas fonctionné.

Qu’est-ce qui change dans l’organisation du travail entre une journée à 7h30 ou 10h ?

Ce qu’on devait faire en 10h, on doit le faire en 7h30. On court tout le temps. On est censé avoir des pauses le matin, mais à part les fumeurs qui descendent 5 minutes, les autres ne prennent pas de pause. Il y a juste une pause le midi de 35 ou 40 minutes, et encore. Moi, je ne prends pas de pause du midi parce qu’on enchaîne. On est solidaires et on s’aide entre nous pour finir le travail. Après, on a encore nos transmissions à faire sur ordinateur pour les laisser aux collègues de l’après-midi. Je suis censée finir à 14h et en général quand je suis dehors il est 14h45. Si je finis à 21h, je reste souvent jusqu’à 21h30 parce que les collègues de nuit ont besoin de parler, d’être rassurées, de savoir ce qui s’est passé dans la journée. Et c’est fatigant. Il y a beaucoup d’agents qui se sont arrêtés parce qu’ils étaient épuisés. Psychologiquement, ça n’allait plus. Il y en a qui habitent très loin. Et avec les 7h30, on est pratiquement là tous les jours. Faire la route tous les jours, c’est épuisant.

Ces moments de transmission et de réunion sont informels. Est-ce que tu penses que ça serait possible d’instaurer dans le temps de travail des moments de supervisions, d’analyse de pratiques ?

On en avait avec l’ancienne direction et c’était super. Elle avait même mis en place un groupe de parole. Il y avait une fois par semaine une psychologue qui venait pour nous écouter. On nous avait dit que ça restait confidentiel mais qu’elle ferait des comptes rendus à la direction pour transmettre le ressenti des soignants sur le terrain. C’était il y a 5 ans et depuis que la nouvelle direction est là, depuis trois ans, c’est terminé. Il n’y a pas de réunion collective.

Avec le confinement, est-ce qu’il y a eu beaucoup d’arrêt de travail ?

Il y a eu des arrêts mais pas autant qu’il y aurait pu en avoir. Il y a des soignants qui ont été atteints du COVID ou qui avaient des symptômes, et ne pouvaient pas être testés. D’autres qui avaient peur de venir travailler parce qu’on n’avait pas assez de matériel sur le terrain. Certains étaient en arrêt parce qu’ils souffrent de maladies chroniques. Il y en a très peu qui se sont arrêtés pour garde d’enfants.

Quel soutien de la part de la direction vous avez eu au début de la crise ? Comment ça s’est passé pour les collègues sur le terrain ?

Au niveau de la direction, on n’a eu aucun soutien au début. Je précise que j’étais en arrêt au début. Et pendant tous ces jours d’arrêt, des agents m’appelaient pour me dire que c’était inadmissible, que ça n’allait pas, qu’ils ne savaient pas ce qu’il fallait faire, que la direction n’était pas présente, qu’ils ne voyaient plus les cadres. Donc ils n’étaient pas rassurés, ils avaient peur d’attraper le virus, ou même de l’avoir sans le savoir et de le transmettre à des résidents. C’était la panique totale. Moi et mon collègue du syndicat, on a commencé à envoyer des mails à la direction qui ne nous a jamais répondu. On leur a demandé d’aller voir les soignants sur le terrain, de les réunir et de leur expliquer la situation. Pendant 3 semaines, du début de la crise à l’article du Parisien, pas de réponse ! J’ai dû menacer la direction d’aller parler aux médias, s’ils ne communiquaient pas avec les agents sur le terrain. Ils ont réagi deux semaines après. Il y avait déjà eu des décès, des résidents contaminés, des agents et des soignants malades. Et, pareil, ce sont des informations qu’on a eu seulement à partir du 17 avril, un mois après !

Et c’était lié à l’article du Parisien ?

Après l’article, sur le terrain ils s’activaient, ils passaient voir les résidents, les collègues pour les rassurer, ils sortaient des notes d’information qu’ils placardaient sur les postes de soin, ils ont mis en place un cahier COVID. On a eu quand même notre CHSCT exceptionnel qu’on réclamait depuis le début de la crise et à ce CHSCT la directrice nous a dit : « Il y a eu tant de décès, il y a eu tant de soignants atteints du COVID ». Elle a donné les chiffres, le nombre de masques, la quantité de matériel que l’ARS (Agence Régionale de Santé) leur avait donné, ce qu’ils avaient réclamé. On a su que l’État avait réquisitionné certains de nos stocks, on n’était pas au courant. La direction nous a expliqué qu’ils avaient été paniqués parce que c’est quelque chose que personne ne connaissait, qu’ils n’étaient pas préparés.

Et à ton retour d’arrêt, comment tu as trouvé le service ? Comment tu as retrouvé tes collègues que tu avais quitté avant le COVID ? Est-ce que vous avez eu le temps de parler ?

Je les ai trouvés fatiguées, épuisées, certaines étaient encore en arrêt, elles n’étaient toujours pas revenues. Elles m’ont dit que ça allait mieux. Je l’ai constaté sur le terrain. Effectivement, on nous a donné des masques, mais bon des masques chirurgicaux. Parce que les FFP2 sont prévus pour l’unité COVID uniquement. On avait des tabliers, pas de surblouse ou alors une surblouse à se partager entre trois, quatre collègues. On a été récemment testées aussi. L’article du Parisien a eu deux effets : il a eu un effet positif pour certaines collègues et il a eu un effet négatif pour d’autres qui m’ont dit : « Tu comprends, la réputation de l’EHPAD, qu’est-ce que les gens vont penser de nous ? »

Parce qu’elles le prennent pour elles ?

Ce sont des collègues avec qui je travaille, de mon service. Elles ont peur pour elles, pour l’après. Est-ce qu’on va continuer à avoir du travail ? Est-ce que les personnes vont continuer à vouloir placer leurs familles chez nous ? Par contre, elles ont vu la réaction après l’article. Mr le Maire, qu’on n’avait jamais vu depuis le début de la crise, qui est quand même président de notre conseil d’administration à l’EHPAD Émile Gérard, a posté un tweet pour critiquer l’article. Et le lendemain, il est venu avec deux cageots de viennoiseries pour les soignants ! Avec un masque FFP2 bien sûr. Lui, il avait un vrai masque, il était très bien protégé ! Tous les soignants ont été testés. On a eu les primes qui sont arrivées. Alors qu’ils étaient pas censés nous les donner maintenant, la direction a dit : « Vous leur donnez toutes les primes qu’elles peuvent avoir, vous leur donnez ». Les cadres sont présentes sur le terrain maintenant et elles vont demander aux agents comment ils vont. Tout ça, c’est des petites choses qui sont dues au travail en amont qu’on s’est acharné à faire. Donc là, ça va mieux sur le terrain. Le personnel revient petit à petit.

« Laissez-nous nous organiser, ça sera beaucoup mieux »

Et maintenant j’ai vu sur le site de l’établissement qu’il y avait un psychologue pour les soignants aussi ?

La psy s’occupe des familles, des résidents. Elle passe et si tu as envie de parler, si tu as besoin d’elle, elle va trouver un moment pour discuter avec toi. Ça a été mis en place suite aux mails que j’ai fait pour demander un soutien psychologique pour les agents sur le terrain. Car c’était important de demander comment ils vont. Des fois, on te demande juste comment ça va et c’est là que ça débloque. Ce qui est fatigant et énervant, c’est qu’on s’est battus avec mon collègue, on a fait des mails pendant des jours. Et quand tu entends la direction, tu as l’impression que c’est eux qui ont tout fait. Un jour, ils sont venus sur le terrain, ils n’ont pas arrêté de se faire des éloges. On remercie la direction, les cadres de santé, les agents techniques, etc. Et nous représentants du personnel, rien du tout. C’est comme ça. Mais bon, je sais pourquoi je donne. Je sais que ce que je fais c’est pour le bien des résidents et surtout pour l’avenir des collègues.

Comment s’est passée la décision de confiner ? Est-ce que c’était un confinement par chambre, par étage ? Quelle a été la réaction des résidents, des familles ?

Pour le confinement des résidents, la direction avait eu des dispositions de l’ARS. Sur le terrain, le médecin disait : « Attendez, c’est inadmissible. On ne peut pas laisser les résidents tous ensemble dans la même salle à manger. Il n’y a pas les mesures barrières, ils sont trop proches ». On ne comprenait pas les directives, d’autant plus que dans d’autres EHPAD, on voyait qu’ils avaient déjà mis des mesures en place. Le 25 mars – j’ai plus les dates exactes -, la direction prend la décision de confiner les résidents dans leur chambre et leur étage. Les familles sont prévenues. Certaines trouvaient ça aberrant que ce ne soit pas encore fait et il y en a d’autres qu’il a fallu rassurer. Je sais qu’il y a des familles qui l’ont très mal pris. Ensuite, pour les résidents, au jour d’aujourd’hui c’est compliqué. Ils en ont ras le bol d’être enfermés dans une chambre de 15/20 m2, de ne pas voir leurs proches, de ne pas voir leurs familles. C’est très très difficile malgré un système de visio qui a été mis en place pour qu’ils puissent voir leurs proches. En ce moment, on a réussi à réorganiser les visites. Les familles prennent rendez-vous. Mais ça reste difficile quand même. On a des résidents qui se sont laissés aller, par tristesse, par manque : ils ne voulaient plus s’alimenter, ne voulaient plus boire. Nous, on appelle ça des syndromes de glissement. Le fait d’être enfermé comme ça, c’est pas humain. On a beau faire ce qu’on veut, on a beau s’occuper d’eux, on a beau aller les voir, discuter 5 min, parce qu’on n’a pas trop de temps non plus et ça c’est la réalité du terrain. Il faut arrêter de croire qu’on passe nos journées à côté d’eux, on ne peut pas, on n’a pas le temps. Par exemple, à mon étage il y a 20 résidents. J’essaie de prendre le temps mais c’est jamais assez. Par contre, l’amour et le manque de leur famille, on ne peut pas le remplacer, on ne peut pas se substituer à ça.

Dans une interview vidéo pour Brut, tu parles des conditions de travail, des résidents et de la banalisation totale de la mort en EHPAD. Tu penses que leur mort ne comptait plus ?

C’est exactement ça. On a eu tellement de décès rapprochés. Normalement, c’est pas cette fin là pour eux ! Ça a été encore plus dur pour le personnel. On te demande de prendre ton résident, avec qui t’as partagé des années, et de le mettre toi-même dans une housse mortuaire alors qu’on a jamais fait ça ! Il ne va pas voir sa famille, il ne va pas voir ses proches, il est tout seul et il meurt tout seul… parce qu’on n’est pas forcément là au moment où la personne décède. Tu arrives et tu trouves que ton résident est parti. Ça a été très très dur. Normalement, quand un de nos résidents s’en va, on doit faire une petite toilette mortuaire. On le place sur un lit réfrigéré, avec un drap en dessous, on le recouvre. On fait un lit assez propre, joli. On met une petite ambiance dans la chambre. On met des photos, des petits fauteuils, une lumière tamisée et on attend que les familles arrivent. On accueille les familles et on leur transmet les condoléances. On les laisse avec leurs parents dans la chambre et bien souvent on pleure ! Il y a des gens qui pensent que les EHPAD c’est des mouroirs, mais non ! Les gens ne se rendent pas compte que ça vit ! On vit dans l’EHPAD avec les résidents. Et quand ils partent, ça nous fait quelque chose. On est humain. Et on partage beaucoup de choses avec les familles. Le fait qu’on ne puisse pas faire tout ça, c’est très très dur.

Personnellement, je n’ai pas été confrontée à ce cas là mais je ne l’aurais pas fait. Je ne peux pas mettre mon résident dans un sac plastique. Il y a beaucoup de collègues qui ont refusé de le faire. D’autres personnes ont pris le relais à leur place. C’est des choses qui vont nous rester c’est sûr. Moi je suis devenue insomniaque. J’ai pas mal de collègues qui sont dans ce cas là. Elles n’arrivent pas à dormir, elles ont des flashs… La culpabilité, le dégoût. On se dit qu’il n’y a personne qui a pris la peine de s’inquiéter de ce qui se passait pour nos anciens tout simplement. C’est quand même la base, c’est notre patrimoine, c’est important. Là, ça s’est calmé un petit peu. On a eu un décès récemment du COVID. La famille a quand même pu venir voir la personne avant. De ce côté-là, ça s’améliore un peu. Ils écoutent un peu les soignants, qui leur disent « Là je pense qu’il est sur la fin, donc il faut faire venir la famille ». Donc ça aussi, ça se remet en place.

Ça me fait penser aux luttes des aides-soignantes en 2017 qui disaient qu’elles luttaient pour le bien-être des résidents avant même leurs conditions de travail. Comment vous arrivez à trouver un équilibre entre se mettre en grève, ne pas culpabiliser, ne pas laisser la charge de travail aux collègues, ne pas laisser les résidents seuls ?

Mon équilibre, je le trouve dans le sens où je me bats pour nos conditions de travail, nous les soignants, pour offrir encore une meilleure prise en charge aux résidents. C’est en ayant nous de bons acquis qu’on va pouvoir s’occuper vraiment bien des résidents. Ce qu’on demande, ça revient forcément à nos résidents. Je fais la différence parce que quand je suis avec mes résidents, je suis avec mes résidents. Tout ce que je vais pouvoir leur donner, je vais leur donner. Quand je suis avec mes collègues et qu’on en discute, c’est autre chose. Il faut vraiment faire la part des choses, se dire que si on se bat c’est pour eux justement. Pour moi, les deux sont liés. Après, ce sentiment de culpabilité, il est là oui, parce qu’on n’a jamais l’impression d’en faire assez. Quand je rentre, je me dis que j’ai pas passé assez de temps avec telle résidente, peut-être que si j’avais fait ça différemment, que si j’avais laissé cette tâche que la direction me demande, peut-être que j’aurai pu passer un moment de plus avec elle… En fait, j’arrive à faire la part des choses en prenant sur mon temps à moi. C’est-à-dire que quand j’ai fini mon service, parfois je reste plus longtemps, je reste pour partager du temps avec les résidents, pour discuter avec les collègues. On prend sur notre temps personnel. Mais ce sentiment de culpabilité, il reste. J’ai une collègue, ça fait 28 ans qu’elle travaille à l’EHPAD et elle m’a dit qu’elle n’avait jamais ressenti ça de toute sa carrière. Tout le monde subit et c’est ça qui est dur. Ils ne comprennent pas qu’il faut nous laisser faire les choses. Laissez-nous nous organiser et vous verrez que ce sera beaucoup mieux ! Mais non, on ne nous entend pas.

« Laissez-nous nous organiser, ça sera beaucoup mieux »

Pourquoi ils ne vous écoutent pas ?

Pour moi, c’est un conflit entre le syndicat et la direction. Concrètement, elle a rompu le dialogue avec nous. Quand on envoie des mails ou qu’on fait des demandes, on ne nous répond pas. Par exemple, j’ai envoyé des mails sur la prime pour les ASH (Agents des Services Hospitaliers) avec des décrets à l’appui pour dire que c’était inadmissible et honteux que les ASH n’aient pas la même prime que nous. En EHPAD, elles font le même travail que nous. Il y a des ASH qui bossent plus que certaines aides-soignantes. Elles méritent cette prime autant que nous. Et on ne me répond pas. Par contre, la DRH va aller dans les services parce que dans le mail je leur dis que le personnel est vraiment en colère et qu’il y a de la rébellion. Elle est allée sur le terrain et les ASH ont montré leur mécontentement. Elle s’est justifiée en disant qu’ils ne pouvaient rien faire et que c’était du ressort du gouvernement. On a mis en route une pétition pour les ASH adressée à M. le président de la République.

Tu peux parler de la rébellion des ASH ?

Quand on a eu la fiche de paie, il y a beaucoup d’agents qui sont venus me voir pour me demander des informations sur la prime d’attractivité de la prime grand âge. Ils nous avaient dit qu’on n’aurait pas le droit de la toucher. Or, on faisait bien partie du décret, par contre les ASH n’ont rien eu. Certaines collègues ASH m’ont alerté et j’ai envoyé un mail à la direction pour dire que le décret est ambigu et aussi pour leur demander de faire un geste parce qu’on sait que certains EHPAD l’ont fait. Elles ont dit : “On va pas se laisser faire. On va se mettre en grève. On va arrêter de travailler. On va arrêter de faire des toilettes puisque de toute manière on nous dit qu’on n’est pas des soignantes”. Il y a eu des réunions qui ont mal tourné, il y a des ASH qui ont tapé du poing sur la table. Ça a gueulé un peu avec des aides-soignantes.

C’est-à-dire ?

Ça veut dire qu’il y a des aides-soignantes qui ont dit : « Vous ne voulez plus faire de toilettes ? ». Les collègues ASH répondaient : « Moi, j’ai fait 11 toilettes ce matin, toi t’en as fait trois. Tu trouves ça normal ? Alors que toi t’es diplômée et moi non ». C’est des choses comme ça. C’est ce que le gouvernement veut. Diviser pour mieux régner. Cette prime, elle est faite pour diviser les soignants, pour diviser le monde hospitalier.

Quelle différence de salaire ça fait entre une aide-soignante et une ASH ?

Il y a entre 300-400 euros de différence. On a des primes que les ASH n’ont pas. Une ASH touche entre 1375 et 1400 euros. Une aide-soignante 1600 euros, 1650 si t’as travaillé des week-end et des jours fériés. Et puis, il y en a qui ont un supplément familial.

Tu peux dire un mot sur le glissement de tâches dans les structures de soins ?

Je ne sais pas si le gouvernement se rend compte de comment travaillent les agents dans les EHPAD. Les ASH s’occupent des résidents, sont auprès des résidents comme les aides-soignantes, font du nursing, des toilettes, font manger les résidents, leur donnent à boire. Elles font tout ce qu’une aide-soignante peut faire. Elles prennent des tensions, des températures. L’aide-soignante à l’EHPAD distribue les médicaments, ce qui est le rôle de l’infirmière à la base. Mais, chez nous, les infirmières sont tellement peu nombreuses, qu’on est amené à préparer les doses de médicaments nous-mêmes. 

Les ASH font quoi normalement ?

A l’hôpital, c’est le ménage, la distribution des déjeuners, des repas. Elles n’ont même pas à toucher le patient. Elles n’ont pas à installer le résident. Elles n’ont pas à le faire manger. C’est dangereux. Parce que s’il y a une fausse route, tu fais quoi ? Les ASH ne sont pas censées avoir de diplôme et donc pas de formation de secourisme. En plus, s’il se passe quoique ce soit, elle n’est pas couverte. Donc, concrètement, la direction nous a dit qu’il y aurait une réorganisation parce qu’il faut se remettre dans les clous. Ce que j’aimerais, c’est que l’établissement envoie les ASH en VAE (Validation des Acquis de l’Expérience) pour qu’elles puissent obtenir le même statut que nous. Mais je ne me fais pas d’illusions.

Et vous avez été en grève juste avant la crise pendant le mouvement des retraites ?

Il n’y pas eu de grèves. Il y a beaucoup de peur. La direction, c’est un peu une dictature. Les agents ont peur des retombées, de ce que la direction peut faire à leur encontre. Ça joue aussi avec les primes. Par exemple, il y a une surprime et c’est la direction qui décide. Donc, il y a certains agents qui décident de se faire discret, de ne pas trop se montrer. Et puis, après l’article du Parisien, ils ont placardé dans tout l’EHPAD la plainte qu’ils avaient déposée. Pourquoi ? Pour faire peur aux agents, pour dire voilà ce qui vous arrivera si vous parlez. C’est des menaces, et tout est caché.

Est-ce que tu trouves pas que dans cette période, on entend parler de toutes les catégories de soignants ? Avant, on pouvait avoir l’impression que les soignants, c’était les internes, les médecins, les plus gradés. Et on voit bien que c’est tout le personnel des structures de soin qui a sa place, et qui est hyper important.

En fin de compte, on se rend compte que sans les directions, ça tourne. Parce que c’est les soignants, les cadres, les agents techniques, les cuisiniers, les agents hôteliers, les femmes de ménages. C’est tout ça qui fait tourner les hôpitaux. Les directions, on n’en a pas besoin. Moi j’estime que pendant cette crise, c’est les soignants et les cadres qui ont fait tourner l’EHPAD. C’est pas la direction. Il y a le service technique qui était présent aussi. Les agents techniques, pareil. Ils sont là à 6h du matin, c’est pas leur boulot. Ils nous prennent la température, ils nous donnent nos masques pour aller travailler. Tu vois que ces gens-là, auparavant, on en parlait pas. On parlait beaucoup des médecins, des internes, des infirmiers. Et aussi, j’aimerai parler des étudiants en formation professionnelle. Il y en a beaucoup qui ont été réquisitionnés. Ils sont revenus sur leurs lieux de travail et nous ont énormément aidé sur le terrain. Et eux, ils n’ont pas eu de primes contrairement aux autres. Ils sont en formation professionnelle donc leur salaire est réduit et en plus ils n’ont rien. C’est inadmissible.

Le fait qu’il y ait des applaudissements à 20h, que le travail du soin prenne une autre place aujourd’hui, qu’il soit plus valorisé par la société, tu penses que ça change la conscience d’elles-mêmes des soignantes ? Est-ce que tu penses que ça va favoriser la lutte ensuite ?

Tous les soirs, les voisins sortent et mettent de la musique. On prend des résidents avec nous, pour qu’ils applaudissent aussi. Ça fait chaud au cœur. On se dit que les gens se rendent enfin compte du travail des soignants. Il y a quelques mois c’était la grève. Ça a été compliqué. Il y en a qui ont participé aux manifs, qui ont pris des coups, qui ont perdu des membres. Ça a été terrible. Deux mois après, regardez ce qu’il se passe. Les collègues ça leur fait du bien, et je pense que ça va engendrer une solidarité énorme après la crise du COVID. On avait l’impression d’être stigmatisés, oubliés, et là avec tout ce qui s’est passé, on est enfin reconnu quand même. On aura besoin de tous ces gens là pour continuer à soutenir le mouvement des soignants.

« Laissez-nous nous organiser, ça sera beaucoup mieux »
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