La peine de mort existe toujours dans les quartiers populaires

Nous avons reçu et relayons cet article d’un ami marseillais, qui revient sur la marche en hommage à Mehdi, jeune de 18 ans tué par des agents de la BAC au soir de la Saint-Valentin à Marseille. L’occasion de réinscrire ce crime policier dans le contexte conflictuel du quartier d’où Mehdi était originaire, entre fortes inégalités sociales et répression de celles et ceux qui les dénoncent.

Samedi 22 février. Marseille. Le ciel est dégagé, mais sur les visages de la centaine de personnes présentes avant l’heure du rassemblement de 11h se lit un mélange d’inquiétude, de tristesse, de fermeté, de combativité.  En effet, c’est un quartier doublement meurtri qui tente, tant bien que mal et malgré la répression, de relever la tête.

Avant donc de raconter cette marche blanche en l’honneur de Mehdi, 18 ans, tué par des agents de la B.A.C. au soir de la Saint-Valentin, il est important de rappeler le contexte particulier et récent de ce quartier de la cité phocéenne.

Le quartier déjà meurtri par un incendie

En effet, apparaît en première ligne de ce nouveau combat contre un crime policier, un collectif, le « Collectif des habitants de la maison blanche ».
Ce collectif a tristement gagné de la visibilité suite à un terrible épisode survenu en août 2019. En effet, le 23 août 2019, un incendie a fait rage dans l’un des grands bâtiments du H.L.M. « Maison Blanche », provoquant une nouvelle fois des familles délogées. Tout comme lors des immeubles effondrés de la rue d’Aubagne ayant entraîné 8 morts en novembre 2018, c’est l’incurie des pouvoirs publics qui est pointée. La résidence faisait pourtant déjà partie des 17 « priorités nationales » identifiées sur le territoire dans le cadre du plan de rénovation des copropriétés dégradées lancé par le ministère de la Cohésion des territoires, en octobre 20181

De nouvelles familles s’ajoutent donc aux plus de 3500 délogés pour cause d’immeubles insalubres ou en arrêté de péril. Et le collectif des habitants de la Maison-Blanche n’aura de cesse de dénoncer une situation « sanitaire très préoccupante », ou encore la situation des délogés, errant d’hôtel en hôtel, luttant pour leurs droits. Étant donné que les habitants s’organisent, non seulement entre eux et autour du collectif des habitants de la Maison Blanche mais aussi en lien avec les autres collectifs de Marseille, comme celui du 5 Novembre, apparu après les effondrements de la rue d’Aubagne, et qu’il s’agit d’un quartier extrêmement populaire, la répression ne manque évidemment pas de pointer le bout de son nez. Le 29 août, ce sont 3 arrestations arbitraires qui visent tout de même 2 membres du collectif2. Le 1er septembre 2019, ce sont des policiers qui s’invitent au local du collectif, et tentent d’y intimider les gens présents3. Cette intervention sera remarquée car l’un des agents porte un insigne du BOPE (groupe d’intervention de la police militaire de l’État de Rio de Janeiro, réputée pour sa violence et ses très nombreux meurtres dans les favelas).

En dépit du harcèlement policier, et du dédain des élus, les habitants se battent pour être relogés.

C’est donc dans ce contexte particulier, de plusieurs mois de luttes après un épisode déjà douloureux, que le quartier connaît un nouveau drame.

La peine de mort existe toujours dans les quartiers populaires

Assassinat de Mehdi, un crime policier de plus

Au soir du 14 février 2020, la BAC Nord de Marseille a tué Mehdi B., habitant de la cité Maison Blanche âgé de 18 ans. Très vite, la presse locale suit le schéma si bien rôdé d’accusations non-sourcées envers la victime. Il s’agit presque d’un cas d’école : journalistes et témoins écartés de la scène et interdits d’approcher de la cité des Marronniers (lieu du meurtre), et en parallèle sortie d’un article dans La Provence, qualifiant Mehdi de braqueur armé, qui aurait menacé les policiers, absolument le contraire de ce que racontent tous les témoins en direct via des lives facebook. Les témoins décrivent même des faits d’une gravité absolue. Mehdi serait sorti de la voiture, la BAC lui aurait tiré dessus à deux reprises, puis serait venue frapper son corps au sol.

Voilà deux vidéos prises par les habitants peu après l’intervention :

L’enjeu est encore une fois de transformer la victime en agresseur, ou, à tout le moins, de justifier la mort de Mehdi, de justifier a posteriori l’intervention policière. Alors que la peine de mort a été abolie en 1981, elle semble exister encore de fait dans les quartiers populaires. 26 personnes sont mortes entre les mains de la police en 2019 selon le décompte de Bastamag. Mehdi est au moins la troisième personne tuée en 2020, après Maéva renversée par la BAC à Rennes, et Cédric Chouviat à Paris.

Un article de Marseille Infos Autonomes décortique cette bataille de l’image, forme de propagande systématiquement en faveur des policiers, constituant à force une forme de validation peut-être même inconsciente de la peine de mort :  https://mars-infos.org/les-marronniers-quand-un-4806.

L’article en question s’attache au cas de Mehdi, mais il reprend l’analyse d’un article de Paris Luttes Infos « Autopsie des techniques policières et journalistiques pour maquiller les violences policières » que l’on vous invite à lire aussi : https://paris-luttes.info/autopsie-des-techniques-policieres-9334.

Les faits semblent si répétitifs, si habituels, et pourtant finalement assez peu étudiés, peut-être faudrait-il s’attacher à mettre plus en lumière ces procédés. D’autant plus qu’ils touchent très souvent une certaine population, pauvre, et la plupart du temps racisée. C’est donc aussi à l’inconscient raciste collectif que font appel ces procédés : la figure du « jeune de banlieue », l’idée que la victime « l’avait bien cherché ». Il s’agit pourtant d’un renversement accusatoire. Est-ce à dire que le policier en cause n’a pas été formé au maniement des armes et qu’il était incapable de tirer pour blesser plutôt que de tirer pour tuer ?

Il s’agit donc pour les familles de victimes, et pour les habitants des quartiers d’une double bataille : bataille pour faire sortir la vérité et faire condamner les coupables, et bataille contre les discours mensongers, les diffamations, les réputations qui se trouvent salies que ce soit à cause d’articles de presse, de discours policiers, de discours des syndicats policiers, de discours des autorités, voire même des institutions judiciaires.

Et face à l’impunité policière, il est nécessaire de s’organiser en conséquence. C’est ce qu’a fait avec force le comité Adama, portant très haut la visibilité de son combat. Cela dit, il ne faut pas exclure les conséquences que cela représente pour les familles et les collectifs porteurs de ces combats. C’est d’ailleurs probablement une des raisons pour lesquelles nous n’assistons pas forcément aux mêmes mobilisations à chaque crime policier.

La peine de mort existe toujours dans les quartiers populaires

Après le choc, vient le temps de lever la tête

Ce samedi 22 février, la famille de Mehdi et le collectif des habitants de la Maison blanche, avec le soutien du groupe antifasciste Les Squales ou de la Maison du Peuple Marseille (occupation expulsée il y a quelques mois), appelaient à une marche blanche à 11h depuis Maison blanche jusqu’à la cité des Marronniers, lieu du drame.

C’est donc un cortège d’une centaine de personnes qui s’élance dans les quartiers nord de Marseille. Le cortège grossit à vue d’oeil et comptera peut-être bien 300 personnes à son arrivée. Le cortège est assez silencieux, classique d’une marche blanche. Les tenues sont plutôt sombres, tout autant que les visages, la tristesse est palpable. Le cortège ne reçoit que des regards approbateurs, fraternels, tout au long de son parcours. Et ce qui est à noter est la mixité du cortège : proches de la victime, habitants du quartier, militants de groupes antifascistes ou de la gauche radicale, habitués du cortège de tête et même des gilets jaunes. Deux femmes avec un tee shirt « Justice pour Adama », en vacances à Marseille étaient présentes dans le cortège. Le comité du 5 novembre est aussi présent en nombre. Des slogans pour Zineb ou d’autres victimes de crimes policiers sont lisibles sur les tee shirts. À l’arrivée, deux banderoles sont déployées et quelques photos sont prises sur les marches de la cité des Marronniers. Après une prise de parole, liant la mort de Mehdi à toutes les autres morts entre les mains de la police, rappelant quelques noms connus, de Rémi Fraisse à Zyed et Bouna en passant par Adama Traoré ou Cédric Chouviat, une minute de silence est observée.

La peine de mort existe toujours dans les quartiers populaires

Une deuxième prise de parole explique qu’il ne s’agit que d’une première étape, et que si la famille a engagé la bataille judiciaire, d’autres rendez-vous de mobilisation auront lieu. Cette intervention s’est conclue par un autre moment de recueillement, cette fois en mémoire de toutes les victimes de la violence d’État, en rappelant aussi les éborgnés.

Après cela, un départ collectif se forme de manière spontanée pour retourner au centre-ville. Ce mini-cortège improvisé est accompagné par des jeunes du quartier, à scooter et même en fauteuil roulant. Le klaxon du fauteuil roulant accompagne les applaudissements et les slogans « Mehdi, Mehdi, on n’oublie pas, on pardonne pas », « siamo tutti antifascisti ». Les badauds hochent la tête en approbation. Puis, le groupe prend le bus et entonne des slogans de plus belle dans un bus bondé, dont les passagers se joignent aux applaudissements et aux chants. Cette fraternisation temporaire en appelle d’autres. À Maison blanche et à Marseille, le combat continue !

La peine de mort existe toujours dans les quartiers populaires
  1. Comme le dit Libération dans un article de septembre 2019 : https://www.liberation.fr/france/2019/09/02/incendie-de-maison-blanche-a-marseille-un-appel-en-desespoir-de-cause_1748865
  2. https://www.facebook.com/permalink.php?story_fbid=1807537492682642&id=1384027848366944
  3. https://www.youtube.com/watch?v=-8Se-AjUW80
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