« La fac est un lieu de sélection et d'oppression »

Le 8 novembre 2019, un étudiant de l’université Lyon 2 s’immolait par le feu devant un bâtiment du CROUS, afin d’alerter sur la précarité étudiante. Suite à cet acte, et alors qu’un mouvement étudiant se mobilisait assez largement, la réponse de la Présidence de l’université s’est principalement traduite par un déni de son caractère politique ainsi que par un appel systématique aux forces de police afin de réprimer, souvent violemment, la mobilisation. Dans cet entretien, A., étudiante mobilisée, revient sur les développements et enjeux de ce mouvement.

ACTA : Pourriez-vous revenir sur les origines du mouvement contre la précarité étudiante à Lyon 2 ?

A : Tout d’abord, je serais d’avis de placer cette mobilisation dans une continuité, la mobilisation n’est absolument pas nouvelle. Lyon 2 est « réputée » pour ses nombreuses luttes face à des réformes gouvernementales toujours plus répressives.

Le 11 septembre 2019, un squat qui s’appelait l’Amphi Z, qui se trouvait à Cusset, a été expulsé par les keufs, le soir même les personnes qui se trouvaient dans ce squat ont dû dormir dans une église. Le lendemain soir, il n’y avait aucune alternative que de retenter une occupation de la Fac comme ça a été le cas il y a 2 ans. L’enjeu n’était pas nos propres intérêts mais un toit sur la tête de personnes qui risquaient de dormir dehors. La réponse a été rapide : environ 35 voitures de municipales, des baceux et un panier à salade.

Nous connaissons tous.tes la date du 8 novembre où un camarade s’est immolé devant le siège du Crous de Lyon, acte politique qu’il a expliqué dans une lettre en s’anonymisant. C’était impossible de continuer les cours et la vie universitaire alors que la seule réponse présidentielle a été un mail psychologisant et demandant la reprise des cours.

De nombreux.ses étudiant.es se trouvent dans l’obligation de travailler à côté de leurs études, des contrats de 12h jusqu’à 25h, d’autres sont d’origine extra-européenne et sont clairement en situation précaire par les frais de scolarité qui ont augmenté de manière faramineuse en France suite à une réforme raciste appelée « Bienvenue en France ». D’autres encore sont, de par leurs origines ethniques et sociales, précarisé.es par une faculté toujours plus sélective et élitiste, ce qui explique la colère mais aussi le manque de mobilisation.

« La fac est un lieu de sélection et d'oppression »

ACTA : Comment qualifierez-vous cette mobilisation ?

A : On ne peut pas dire que l’on soit majoritaire, bien au contraire. Il est vrai que nous ne sommes vraiment pas beaucoup en comparaison de l’année dernière par exemple ou même l’année d’avant, et ça a été très vite fatiguant pour tous.tes : entre les blocages à 5h du matin, les tours d’amphi où nous n’obtenons pas vraiment d’attention, les A.G. qui sont remplies de conflits entre différents groupes politiques de la Fac et qui empêchent une cohésion, la répression policière, les engagements à l’extérieur, les manifestations…

Mais je pense qu’il faut sortir du schéma d’une « majorité » qui donnerait une légitimité à la mobilisation. La précarité ne touche pas tous.tes les étudiant.es et encore moins de la même façon, comme on peut le voir sur certains groupes Facebook, beaucoup n’en n’ont absolument rien à faire car ça ne les concerne pas. D’autres, ce que j’arrive davantage à comprendre, sont déjà en galère et préfèrent se concentrer sur leurs études plutôt que d’investir un mouvement où iels ont plus à perdre qu’à gagner. J’ai aussi des potes qui viennent de quartiers et qui me disaient qu’iels ne se sentent pas de mener une lutte avec des personnes majoritairement blanches et de classes moyennes voire supérieures ; qu’iels, et je le pense aussi, devraient se porter en tant qu’allié.es et pas se réapproprier une cause ou une situation qu’iels ne comprennent pas et/ou ne connaissent pas pour certain.es.

Depuis le début de cette année 2019, nous n’avons eu aucune victoire si ce n’est les seules fois où la présidence a fermé administrativement la Fac. Nous avons tenté des occupations pour permettre à tous.tes les étudiant.es de se rencontrer, de discuter, mais ça n’a jamais duré : l’appel aux keufs de manière systématique a été un réel frein.

ACTA : Comment la présidence de l’université a-t-elle réagi face à cette mobilisation ?

A : Comme j’ai pu le dire ci-dessus, la réponse de la présidence dès le 12 septembre face à des personnes qui ne risquent pas seulement la garde-à-vue mais le C.R.A. puis l’expulsion, a été les keufs. La faculté est un lieu de sélection et d’oppression et les choix de la présidence l’insère aussi comme un lieu propice à la répression. Pour certain.es d’entre nous, nous voyons déjà les keufs assez souvent pour les retrouver aussi dans un lieu de « savoir ». En plus des keufs, nous avons eu le droit à une sécurité privée qui a coûté l’année dernière à la Fac, si je me souviens bien, 140 000€, pendant que de nombreux.ses vacataires ne sont pas payé.es.

ACTA : Il y a un peu plus d’un mois, plusieurs étudiants de l’université se sont retrouvés en garde-à-vue et certains d’entre eux ont été poursuivis en justice. Que s’est-il passé ?

A : Le 22 novembre avait lieu un Conseil Académique qui réunissait les membres de la présidence. Au bout de 10 minutes, à 10h45, les keufs ont fait irruption par la demande de la présidente dans le C.A. alors que la seule chose demandée était une discussion avec elle. Les membres du corps professoral présents dans cette salle sont sortis les yeux baissés sans s’outrer de la présence d’une dizaine de CRS, de baceux, armés de la tête au pieds. On était 19 après une fouille au corps, les keufs nous ont amenés dans un comico. On pensait qu’il ne s’agissait que d’une vérification d’identité pour nous faire chier mais nous avons subi une G.A.V. de 8h. Nous avons appris qu’un agent de sécurité avait porté plainte contre 3 personnes pour violences aggravées en réunion et que ces personnes étaient convoquées le 7 mai à 14h au tribunal. Il n’y a pourtant eu aucune violence. Les autres étudiant.es ont eu un rappel à la loi.

Le 22 janvier 2020, nous avons organisé un rassemblement pour que la présidence retire sa plainte, car nous avons appris qu’elle avait porté plainte contre X en soutien à son vigile. Nous avons obtenu « l’opportunité » de nous entretenir avec la présidente avec laquelle nous avons abordé différents points. Mais en sa qualité de professeure et de présidente, nous avons eu le droit à un débat politique totalement inutile et ne répondant aucunement à nos demandes. Elle a pu nous dire qu’elle et son vigile avaient suspendu leurs plaintes mais lorsque nous lui avons demandé la preuve de ce qu’elle avançait, elle nous a répondu qu’il allait falloir compter sur sa parole. En contactant une avocate, elle nous a fait comprendre que le/la procureur.e se porterait partie civile et qu’il fallait une lettre de la présidente et du vigile attestant qu’il n’y ait eu aucune violence.

ACTA : Comment voyez-vous la suite du mouvement ?

A : Si l’on parle du mouvement à l’échelle de la faculté, je n’ai pas vraiment d’espoir. Le 1er semestre a été vraiment dur pour beaucoup d’étudiant.es pour diverses raisons et personnellement, je préfère me concentrer sur des luttes extérieures et sur mes cours. Si l’on regarde à l’échelle des manifestations syndicales, étant donné que la réforme contre laquelle iels se sont mobilisé.es est passée, je pense qu’il va y avoir une relance comme on a pu le voir vendredi 24 janvier à Lyon et dans beaucoup d’autres villes de France comme Nantes, Paris ou Marseille.

« La fac est un lieu de sélection et d'oppression »

ACTA : En quoi la question de la répression et des violences policières vous semble-t-elle centrale dans votre lutte ?

A : J’ai l’impression que les violences policières ont été découvertes depuis la loi travail en 2016 par les personnes blanches. La violence systématique de l’État avec comme intermédiaire les keufs contre les populations immigrées et descendantes d’immigrés, en particulier africaines, est connue depuis l’époque de nos grands-parents. Depuis que des blanc.hes sont touché.es en manifestation par la répression violente, par l’usage de flashball, de grenades de désencerclement, de LBD, le traitement médiatique est bien différent. Une sympathie de la part des médias mainstream au début du mouvement des Gilets Jaunes pour ces manifestant.es, une sympathie pour les écolos, mais une haine et un mépris pour tous ces jeunes assassinés par les keufs. Il est compliqué pour moi de lutter avec des personnes qui, encore une fois, ne sont visées par les keufs que dans le cadre des manifestations, iels ne subissent la répression, en tant que privilégié.es blanc.hes, que lorsqu’iels sont dans un cadre de militantisme.

C’est donc une question centrale dans le sens où cette violence peut être subie seulement par le faciès et doublement par des actions de type « traditionnel » comme les manifestations.

ACTA : Certains étudiants viennent des quartiers populaires de Lyon ou d’ailleurs, en quel sens votre lutte s’inclut-elle également dans les luttes des quartiers populaires ?

A : Assa Traoré a dit « si on nous avait écouté depuis 3 ans où l’on dit qu’il faut interdire ces techniques d’immobilisation mortelle, Cédric Chouviat ne serait pas mort ». Ici, elle parle d’une des techniques mortelles utilisées par les keufs depuis de nombreuses années dans les quartiers populaires et qui a d’ailleurs enlevé la vie à son frère, Adama Traoré le 19 juillet 1016, le jour de son anniversaire.

Si je prends cet exemple, c’est parce qu’en tant que femme, musulmane et issue de quartiers populaires, j’ai pu voir et subir la violence policière. Il ne m’a pas fallu attendre de rentrer dans le milieu militant pour la constater de mes yeux et comprendre que les keufs, la justice et l’État sont des appareils racistes et répressifs. Mon premier contrôle policier a été à l’âge de mes 10 ans, et je me suis fait fouiller le corps jusqu’à 16 ans par des keufs hommes car je ne savais pas qu’ils n’en avaient pas le droit. Pour moi, la question n’est pas de savoir en quel sens ma lutte s’inscrit dans la lutte des quartiers populaires, mais plutôt comment la lutte que je mène à l’extérieur peut avoir un impact sur la situation des quartiers en France.

Je vais encore reprendre une formulation d’Assa Traoré car elle représente pour moi une lutte qui a été invisibilisée par la répression, l’enfermement, et l’assassinat, et cette femme a su rassembler et porter la voix de tous.tes celles et ceux qui ne peuvent pas le faire ou dont des personnes se sont réappropriées la cause pour des intérêts propres à leur groupe. Au début du mouvement des Gilets Jaunes, on a pu entendre des médias de gauche ou même des manifestant.es appeler les quartiers populaires à rejoindre la mobilisation et Assa avait dit que c’était plutôt à eux/elles de nous rejoindre. Lorsque nous nous révoltons, qui nous soutient ? Lorsque nous voulons nous faire entendre, qui se porte en tant qu’allié.e ? Nous ne recevons que mépris social et racisme. « Ils méritent, c’est des délinquants », « il est mort mais il avait pas son casque », « ouais bah en même temps quand tu voles un vélo, faut pas s’étonner des conséquences », « toujours les mêmes à brûler des voitures », … et bien d’autres formulations. Je ne veux pas faire un dossier académique sur le racisme systémique des keufs mais rappelons-nous des origines de la BAC.

Pour finir, j’aimerais dire que les personnes venant des quartiers populaires se mobilisent au quotidien, pas seulement dans une forme traditionnelle de luttes, mais aussi dans des actes quotidiens, la création de lieux de discussions pour mamans, des associations culturelles, et bien d’autres. Faisons en sorte de rendre ce milieu inclusif, de laisser la parole aux concerné.es.

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