Kosovo : le pantin de l'impérialisme Hashim Thaçi inculpé pour crimes de guerre

Le président de la république autoproclamée du Kosovo Hashim Thaçi a annoncé ce jeudi qu’il démissionnait de son poste afin de faire face à l’inculpation pour crimes de guerre émise à son encontre par le tribunal spécial de La Haye. Celui qui, jusqu’à hier encore, serrait la main des chefs d’État de la planète entière et que Joe Biden nommait le « George Washington du Kosovo » dort aujourd’hui en prison. Sur quoi porte l’accusation ?

Hashim Thaçi était le chef politique de l’Armée de Libération du Kosovo (UÇK) durant le conflit qui a opposé cette guérilla séparatiste albanaise au gouvernement yougoslave entre 1998 et 1999. Il est soupçonné de « crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, y compris meurtre, disparition forcée de personnes, persécution et torture ».

Il est en particulier accusé d’avoir organisé un trafic d’organes d’êtres humains : comme le rapportait en 2011 déjà un article paru dans Le Monde diplomatique, « plusieurs centaines de prisonniers capturés par l’UÇK — principalement des Serbes du Kosovo, mais aussi probablement des Roms et des Albanais accusés de “collaboration” — auraient été déportés en Albanie, en 1998 et 1999. Emprisonnés dans plusieurs petits centres de détention, certains d’entre eux auraient alimenté un trafic d’organes. Les prisonniers étaient conduits vers une petite clinique située à une quinzaine de kilomètres de l’aéroport international de Tirana lorsque des clients se manifestaient pour recevoir des organes. Ils étaient alors abattus d’une balle dans la tête avant que les organes, principalement des reins, soient prélevés. Ce trafic était conduit par le “groupe de la Drenica”, un petit noyau de combattants de l’UÇK regroupés autour de deux figures clés : M. Hashim Thaçi, actuel Premier ministre du Kosovo, et M. Shaip Muja, alors responsable de la brigade médicale de l’UÇK et aujourd’hui conseiller pour la santé de ce même Hashim Thaçi ».

Ajoutons que ce trafic se serait poursuivi au moins jusqu’en 2001, c’est-à-dire deux ans après l’entrée des troupes de l’OTAN au Kosovo et l’instauration du protectorat des Nations Unies sur le territoire.

Mais au-delà des accusations visant Thaçi, c’est la responsabilité de ses protecteurs occidentaux qui est immanquablement mise en lumière. Car comme le souligne Jean-Arnault Dérens (rédacteur en chef du Courrier des Balkans), « Hashim Thaçi et l’UÇK sont largement une création des services occidentaux ». Au cours de la guerre, Thaçi se rapproche ainsi tout spécialement de la DGSE, dont il fait figure d’interlocuteur privilégié au sein de l’UÇK. Pour l’ancien responsable du Service Technique d’Appui de la DGSE, Pierre Siramy, Thaçi était même un « agent » des services de renseignement extérieurs français (voir le numéro de Spécial Investigation sur ce sujet).

Un article du Guardian datant de 2014 rapporte que « le SHIK [services secrets de l’UÇK, dont le dirigeant Kadri Veseli vient lui aussi d’être inculpé par le tribunal spécial de La Haye] a reçu un soutien particulier du renseignement extérieur français, tout comme de la CIA. […] Des communications militaires serbes interceptées par les Britanniques durant la guerre ont même révélé que des officiers de la DGSE avaient été tués aux côtés de combattants de l’UÇK lors d’une embuscade serbe ». Une importante délégation de cadres de l’UÇK a d’ailleurs été entraînée au centre parachutiste d’entraînement spécialisé (CPES) de Cercottes, dans le Loiret, quelques semaines avant la Conférence de Rambouillet.

Quant à Kadri Veseli, c’est Florin Krasniqi (ancien sponsor de l’UÇK et trafiquant d’armes) qui en parle le mieux : « Tout ce que les Anglais et les Américains voulaient, Veseli le leur servait sur un plateau. Il était soutenu, financé et équipé par ces agences de renseignement ».

À l’issue d’une guerre d’agression de l’OTAN contre la Yougoslavie (à laquelle participe la France) marquée par 78 jours de bombardements entre mars et juin 1999, les dirigeants de l’UÇK sont portés au pouvoir tandis que les États-Unis installent au Kosovo le Camp Bondsteel – plus grande base militaire américaine en Europe (notons pour l’anecdote que la route qui mène à ce camp a été rebaptisée en 2016 « Beau Biden National Road » du nom du fils de Joe Biden qui a servi au Kosovo dans le cadre d’une mission juridique après la guerre ; Joe Biden fut d’ailleurs le coauteur en 1999, avec le républicain John McCain, de la résolution du Congrès ouvrant la voie au président Bill Clinton pour bombarder la Serbie). Bernard Kouchner est nommé chef de la mission de l’ONU pour le Kosovo. Alors que les années qui suivent l’installation des troupes d’occupation de l’OTAN voient se dérouler en toute impunité une épuration ethnique sauvage de la plupart des minorités non-albanaises, Thaçi proclame l’indépendance du Kosovo en 2008. Il en est le premier ministre jusqu’à 2014, puis le ministre des affaires étrangères jusqu’en 2016, puis le président… jusqu’à hier, donc. Tout au long des vingt dernières années, il aura fidèlement servi les intérêts de l’impérialisme euro-atlantique à la tête d’un pseudo-État mafieux et corrompu.

Et alors que très tôt de nombreux éléments (dont le rapport du député suisse Dick Marty présenté le 16 septembre 2010 devant le Conseil de l’Europe) tendent à prouver son implication dans des crimes de guerre, il aura longtemps bénéficié de la protection sans faille de ses amis occidentaux. Lorsqu’il fut par exemple demandé à Bernard Kouchner de commenter les accusations de trafic d’organes visant son protégé, il éclata de rire : « J’ai une tête à vendre des organes, moi ? », et conseilla au journaliste « d’aller se faire soigner ». Tout a été fait pour dissimuler les preuves, étouffer les soupçons et retarder une éventuelle inculpation. Si Thaçi n’a pas été inquiété pendant vingt ans, c’est parce qu’il était un relai précieux de la politique impérialiste dans les Balkans.

L’inculpation d’hier met aussi rétrospectivement en lumière la faillite de cette parodie de justice qu’a été le Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), dont les décisions d’acquittement en 2012 permettant la libération des criminels de guerre croates Ante Gotovina et Mladen Markač (responsables de l’opération Tempête pilotée par les États-Unis en août 1995, et qui s’est soldée par le plus vaste nettoyage ethnique de toute la séquence) ainsi que de Ramush Haradinaj (voir plus bas) ont achevé de ruiner la légitimité. Elle a été un exemple typique du double standard de la « justice des vainqueurs », relâchant un par un tous ceux, croates, bosniaques ou albanais, qui avaient, durant les guerres des années 1990, combattu dans le camp soutenu par les occidentaux. Comme le résume David Harland dans une tribune parue dans le New York Times en décembre 2012 : « presque tous les amis de l’Occident ont été acquittés ; presque tous les Serbes ont été condamnés ».

Ramush Haradinaj, ex-chef militaire de l’UÇK (quant à lui plutôt proche de Tony Blair et des services de renseignement britanniques, par contraste avec Thaçi), a aussi été inculpé une première fois par le TPIY en 2005 pour crimes de guerre, puis acquitté en 2008. Son second acquittement en 2012 intervient après que 9 des témoins censés témoigner contre lui aient été retrouvés assassinés ou morts dans des circonstances douteuses. Redevenu premier ministre en 2017 il est à l’origine de la taxation à 100% visant les marchandises en provenance de Serbie et de Bosnie-Herzégovine, une mesure mise en place en 2019 qu’il a commentée de la manière suivante : « Je suis un soldat américain qui ne fait qu’appliquer les ordres liés à la situation sur le terrain ». Devant les journalistes, il a tranquillement admis que son initiative était dirigée contre « contre les intérêts russes et serbes dans les Balkans » dans la mesure où « un Kosovo fort sert les intérêts des États-Unis ».

Peut-on imaginer aveu plus sincère ? Durant deux décennies, l’Occident a sciemment soutenu puis protégé des criminels notoires, dont il s’est servi d’abord pour parachever le démembrement de la Yougoslavie fédérale puis pour établir un régime fantoche transformé en avant-poste de l’impérialisme euro-atlantique dans les Balkans.

Aujourd’hui, vingt ans après, tous les anciens cadres de l’UÇK sont inculpés les uns après les autres. Reste à voir s’ils finiront par être effectivement condamnés. Mais qu’importe : leur mission historique est déjà accomplie.

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