Depuis vendredi, soixante ans jour pour jour après la déclaration par Fidel Castro du caractère socialiste de la révolution cubaine, se déroule à La Havane le 8ème congrès du Parti communiste cubain, marqué par la mise en retrait officielle de Raúl Castro et des derniers représentants de la « génération historique » (celle qui a fait la révolution de 1959). Alors qu’une page de l’histoire de Cuba se tourne, nous nous rappelons que du 17 au 19 avril 1961, la CIA avait tenté, par l’intermédiaire d’une armée de mercenaires entraînée par ses soins, de renverser par la force le gouvernement révolutionnaire. L’invasion ratée de la baie des cochons a été synonyme d’humiliation internationale pour les États-Unis, en même temps qu’elle a montré les capacités de résistance du peuple cubain, qui le premier s’est libéré du joug impérialiste en Amérique latine et dans les Caraïbes, et qui le premier aussi a relevé le défi de la construction du socialisme dans cette partie du monde.
En mai 1959, la réforme agraire promue par le nouveau gouvernement révolutionnaire cubain avait exproprié toutes les propriétés foncières de plus de 400 hectares, portant un coup dur aux intérêts des grandes entreprises américaines et de l’oligarchie cubaine. Bien que le nouveau gouvernement ne s’était pas encore explicitement déclaré socialiste à cette date, la nationalisation des terres avait suffi à placer Cuba sur la liste noire de Washington. Cinq ans auparavant, au Guatemala, les États-Unis avaient renversé le gouvernement de Jácobo Arbenz, précisément pour avoir tenté de mettre en oeuvre une réforme similaire.
C’est ainsi qu’ont commencé les tentatives de faire tomber la Révolution, avec des attaques terroristes, des provocations et des sanctions économiques.
Puis, en 1960, d’autres nationalisations ont été effectuées, comme celles des compagnies d’électricité et de téléphone et, plus tard, de l’U.S. Bank à Cuba. En octobre 1960, c’est au tour de 105 raffineries de sucre, 18 distilleries, 6 usines de boissons alcoolisées et d’autres entreprises importantes.
Le 3 janvier 1961, les États-Unis rompent unilatéralement leurs relations diplomatiques avec Cuba et, à partir de ce moment, Washington commence à exercer une forte pression sur les autres pays d’Amérique latine pour qu’ils fassent de même. Mais c’est surtout l’option d’une invasion militaire qui passe à l’ordre du jour.
Un groupe d’exilés et de mercenaires cubains, baptisé Brigade 2506, est formé au Guatemala et l’opération Pluto est lancée en avril 1961.
Le Plan, élaboré par la CIA, proposait avec l’invasion de la Brigade 2506 de créer une tête de pont sur le sol cubain, où un gouvernement fantoche, formé le 22 mars 1961 avec l’approbation des États-Unis, serait immédiatement transféré.
Celui-ci serait reconnu par Washington et demanderait une intervention militaire.
Le 14 avril, la brigade part de Puerto Cabezas, au Nicaragua, saluée par le dictateur Somoza qui demande aux mercenaires de lui apporter les poils de la barbe de Castro.
La flotte se composait de cinq navires : le Houston (identifié comme Garfish), l’Atlantic (Shark), le Río Escondido (Whale), le Caribe (Sardine) et le Lake Charles (Tuna).
Chaque mercenaire enrôlé recevait un salaire mensuel (non imposable) de 175 $ pour les hommes célibataires et de 225 $ pour les hommes mariés ; 50 $ de plus pour leur premier enfant et 25 $ de plus pour chacune des autres personnes à leur charge, plus la nourriture et le logement.
Il est intéressant de noter que les mille cinq cents hommes de la Brigade 2506 possédaient avant la Révolution un total de quatre cent mille hectares de terre à Cuba, dix mille maisons, soixante-dix fermes, cinq mines, deux banques et dix moulins à sucre (voir Hugh Thomas, Cuba : A History).
Le 17 avril 1961, à 2 h 30 du matin, les 1 550 hommes débarquent dans la baie des Cochons, sur la côte sud de la province de Matanzas, un endroit isolé auquel on peut accéder par les quelques routes construites à travers les eaux d’un énorme bourbier dans les premiers mois de la Révolution.
Les jours précédents, des attaques avaient été menées contre des bases aériennes cubaines pour empêcher le gouvernement révolutionnaire de faire face à l’invasion de manière adéquate. Mais les avions ont été dispersés et l’objectif a échoué.
Lors des funérailles des victimes de ces attentats, le 16 avril, Fidel avait prononcé le discours connu sous le nom de « proclamation du caractère socialiste », où, pour la première fois, il déclarait explicitement que la révolution cubaine était une révolution socialiste.
Ce que les impérialistes ne peuvent nous pardonner, c’est que nous soyons ici ; ce que les impérialistes ne peuvent nous pardonner, c’est la dignité, l’intégrité, le courage, la fermeté idéologique, l’esprit de sacrifice et l’esprit révolutionnaire du peuple de Cuba. Ce qu’ils ne peuvent nous pardonner, que nous soyons là sous leur nez et que nous ayons fait une révolution socialiste sous le nez des États-Unis !
Fidel Castro, 16 avril 1961
L’affrontement de la baie des Cochons n’a duré que 63 heures. Tout s’est terminé à 17 h 30 le 19 avril, lorsque les forces de l’Armée Rebelle et des Milices Nationales Révolutionnaires ont pris d’assaut les dernières positions des mercenaires à Playa Girón et que les envahisseurs ont été repoussés, laissant plus de 200 morts sur le terrain et 1 197 prisonniers : ils furent échangés contre de l’aide alimentaire. Parmi les combattants des forces révolutionnaires et la population civile, on dénombre 176 morts et plus de 300 blessés. L’invasion ratée de la baie des Cochons reste depuis célébrée à Cuba comme « la première grande défaite de l’impérialisme yankee en Amérique », synonyme de « l’irréversibilité du processus révolutionnaire ».
Le président Kennedy ne voulait pas que les troupes américaines interviennent directement avant que le « gouvernement » pro-américain n’appelle à l’aide. Selon certains historiens, la raison de l’assassinat de Kennedy deux ans et demi plus tard était précisément une vengeance de la mafia cubano-américaine pour ce soutien tiède.
Les plans d’invasion de l’île sont définitivement interrompus après la crise des missiles d’octobre 1962.