Action antifasciste Paris-Banlieue : « Il est vital aujourd'hui de faire front commun »

Un rassemblement s’est tenu jeudi 26 novembre Place Saint-Michel pour exiger la levée du contrôle judiciaire d’Antonin Bernanos et l’arrêt des poursuites contre tous les antifascistes inculpés. Plusieurs organisations y ont pris la parole, du NPA au syndicat Solidaires en passant par des collectifs de familles victimes de violences policières, ou encore l’avocat Arié Alimi de la Ligue des Droits de l’Homme. Nous publions ici l’intervention de l’Action Antifasciste Paris-Banlieue, qui revient sur les enjeux de cette affaire. Comme on pouvait hélas s’y attendre, la justice a décidé de ne pas lever le contrôle judiciaire d’Antonin, qui demeure assigné à résidence en Loire Atlantique où il réside depuis plus d’un an.

Bonjour, je prends aujourd’hui la parole au nom de l’Action Antifasciste Paris-Banlieue, organisation qui a la fierté de compter Antonin Bernanos parmi ses membres.

Cela va bientôt faire plus d’un an et demi qu’on se bat contre l’acharnement politico-judiciaire que subit Antonin. Acharnement qui l’a conduit à être arrêté, envoyé en prison 6 mois puis placé en contrôle judiciaire depuis un an, dans une affaire où il n’y a strictement aucun élément contre lui. Acharnement judiciaire qu’il subit uniquement et manifestement en raison de son militantisme antifasciste. 

Car dans cette affaire, tout semble délirant. La juge d’instruction et les policiers s’accordent à dire qu’Antonin n’apparaît pas sur la vidéo qui a filmé l’intégralité de l’affrontement, mais décident de donner du crédit au témoignage d’un militant fasciste qui l’accuse, alors que ce dernier revendique son appartenance à Génération identitaire et son hooliganisme au Kop of Boulogne. Les policiers prétendent que les chaussures d’Antonin sont tâchées de sang, mais curieusement, les photos disparaissent du dossier. Lorsqu’après 5 mois de détention la juge d’instruction convoque Antonin, l’audition tourne court parce qu’elle s’aperçoit vite que le seul élément à charge qu’elle lui présente, une photographie de mains ensanglantées, ne le concerne pas… Ce ne sont pas les mains d’Antonin sur la photo.

Et pendant ce temps-là, une certaine presse aux ordres s’en donne à cœur joie en expliquant en long et en large combien il serait dangereux de laisser sortir le prétendu « chef du black bloc » en vue du G20 ou de la rentrée sociale. Tout cela pourrait sembler anecdotique – si l’on oublie que l’on parle d’un an et demi de la vie de quelqu’un – mais c’est en réalité emblématique de l’intrication, si ce n’est de la complicité, des pouvoirs policiers et judiciaires, et de certains laquais qui se parent du nom de journalistes. Complicité qui intervient dans un contexte singulièrement inquiétant, celui d’une bascule autoritaire de l’État français et du pouvoir macroniste en particulier. 

Cette bascule ne vient pas de nulle part. Elle hérite de l’histoire impériale française, de la gestion néocoloniale des populations non-blanches dans les quartiers populaires, de l’histoire raciste de la police française. Elle s’incarne depuis 2004 dans les innombrables lois islamophobes, sécuritaires et antiterroristes, qui accroissent les pouvoirs de la police, incorporent au droit commun des dispositions jusqu’alors réservées à l’état d’urgence et criminalisent les mouvements sociaux. Elle s’incarne dans l’autonomisation de la police, sur laquelle le bloc bourgeois repose de plus en plus, tant il est incapable de produire du consentement pour faire accepter son agenda néolibéral qui généralise la misère. 

À cet égard, le mouvement des gilets jaunes a marqué un tournant. Face à l’inventivité et l’offensivité d’un mouvement qui excédait largement le mouvement ouvrier classique, le gouvernement a donné tout pouvoir à la police pour mater ultra-violemment la révolte populaire, tout en essayant d’associer cette révolte à l’extrême-droite. Dans cette équation, il était vital de réprimer les antifascistes, qui participaient aux dynamiques d’autodéfense populaire tout en expulsant les militants fascistes qui tentaient d’infiltrer le mouvement.

En l’absence d’aucune preuve judiciaire, c’est tout le sens de l’acharnement que subit Antonin :  la vengeance de l’État contre ceux qui ont, entre autres, activement contribué à rendre impossible l’amalgame entre fascistes et gilets jaunes, ceux qui, malgré la répression, refusent de baisser la tête et viennent contester la légitimité du bloc au pouvoir. Mais alors qu’Antonin et tant d’autres gilets jaunes étaient envoyés en prison, ou condamnés, ou mutilés, cette dérive autoritaire s’est encore accélérée.

Car comment lire autrement la séquence actuelle ? Il y a d’abord la loi de sécurité globale. On parle beaucoup en ce moment, à raison, de l’article 24 qui pourrait empêcher de filmer les violences policières. Ces violences qui ont tant compté, et tant choqué lors des derniers mouvements sociaux, et contre lesquelles toute une jeunesse s’est mobilisée au sortir du confinement, à l’appel du comité Adama.

Cet article est une réponse politique à cette révolte et au mouvement des Gilets jaunes, c’est une manière pour l’État et le gouvernement de se dire prêt, et de se donner les moyens de museler toute opposition, toute révolte, tout soulèvement. Le reste du projet de loi n’est pas moins inquiétant : pouvoirs élargis des milices privées, généralisation de la vidéosurveillance, augmentation des prérogatives policières sur le judicaire. On nous prépare un État policier, prêt à faire face à une contestation sociale qui ne cesse pratiquement plus depuis 2016. 

Mais cette dérive autoritaire s’accompagne également d’un regain des politiques racistes d’État, incarné par la loi contre le prétendu séparatisme. On ne peut pas lire la loi de sécurité globale sans faire le lien immédiatement avec celle contre le séparatisme. Car au-delà de certaines similarités entre des articles de lois, ces lois forment aujourd’hui les deux pieds de la politique autoritaire du macronisme. Si la loi de sécurité sert à museler l’opposition à venir, celle sur le séparatisme vise à réactiver, au sein des classes populaires du pays, un clivage racial savamment entretenu par les élites du pays depuis des décennies.

La guerre menée contre les musulmans par les élites françaises, incarnée par la dissolution de Baraka City et du CCIF récemment, est aujourd’hui le bras armé de sa politique contre-révolutionnaire, une vieille tentative d’union sacrée blanche pour prévenir l’alliance des classes populaires blanches et non-blanches. C’est aussi à cette aune que nous envisageons l’acharnement que subit Antonin.

Car ce qui est visé à travers lui, c’est une trajectoire politique, celle de l’antifascisme francilien. Qui a participé depuis une dizaine d’années à un parcours de lutte commun d’opposition à la police, qui a vu se rencontrer, certes encore trop ponctuellement, encore trop partiellement, les luttes autonomes des quartiers populaires et de l’immigration, le mouvement ouvrier classique, les gilets jaunes et la jeunesse du pays. Ces rencontres, respectueuses des trajectoires, des enjeux de chacune et chacun, effrayent le gouvernement. Parce qu’à travers ce « tout le monde déteste la police » qui s’est réellement matérialisé au cours de la succession des séquences de lutte, s’esquissent les premiers fondements d’un bloc subalterne capable de défaire ceux qui nous gouvernent. 

C’est pour cela qu’il est vital aujourd’hui de faire front commun pour soutenir nos alliances visées par la répression d’État, pour exiger la liberté pour Antonin et pour tous les gilets jaunes, la vérité et la justice pour Olivio et pour tous les autres, le droit de lutter et de vivre partout contre ce monde.

Partager