Hommage de la révolution palestinienne aux Black Panthers

Le 17 février 1942 naissait Huey P. Newton, co-fondateur du Black Panther Party (BPP). Pour la préface de son autobiographie, Le Suicide révolutionnaire, publiée aux éditions Premiers Matins de Novembre, Ahmad Saadat, secrétaire général du Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP), avait fait parvenir un texte depuis sa prison soulignant l’apport du BPP pour la lutte de libération du peuple palestinien. Nous reproduisons ici ce texte en guise d’hommage.

C’est un honneur d’écrire une introduction pour ce livre de Huey. P. Newton, un grand leader de la lutte de libération Noire aux États-Unis. Depuis l’intérieur de la prison des occupants à Ramon, en mon nom et au nom de mes camarades et du mouvement des prisonniers Palestiniens, nous tendons nos poings serrés en signe de solidarité et de salut, et étreignons nos camarades Noirs dont la lutte de libération dans le ventre de la bête continue encore aujourd’hui face à une répression féroce.

D’Ansar à Attica en passant par Lannemezan, la prison n’est pas seulement un lieu d’emprisonnement mais aussi le lieu où l’opprimé affronte l’oppresseur. Que ce soit Mumia Abu-Jamal, Walid Daqqa ou Georges Ibrahim Abdallah, les prisonniers politiques derrière les barreaux peuvent et doivent être une priorité pour nos mouvements. Leurs noms symbolisent la continuité de nos luttes contre notre ennemi commun, l’héritage de leur volonté d’organisation qui remonte aux mouvements anticoloniaux et aux mouvements de libération des années 1960, 1970, 1980 jusqu’à aujourd’hui. Les prisonniers politiques ne sont pas que des individus : ils sont les leaders des luttes et de l’organisation à l’intérieur des murs de la prison qui aident à briser et à anéantir les barreaux, les murs et les chaînes qui nous coupent de nos peuples et de nos communautés en lutte. Ils endurent sans répit l’isolement, les tortures cruelles de l’occupant et du geôlier qui cherchent à briser la volonté du prisonnier et le lien profond qu’il entretient avec les siens.

Ainsi lorsque nous assistons à l’escalade de violence contre notre mouvement comme nous le voyons en ce moment aux Philippines, comme nous le voyons dans les attaques meurtrières orchestrées contre notre résistance Palestinienne, comme nous le voyons dans la criminalisation des Noirs et de leurs mouvements, il est clair que nous faisons toujours face à la situation que Huey Newton avait décrite et combattue.

Nous cherchons toujours à défendre nos peuples contre les assauts incessants du capitalisme, du sionisme, de l’impérialisme, de leurs polices et de leurs forces militaires. Nous n’avons pas encore été capables de réaliser nos rêves et de transformer les prisons en musées de la libération. Les révolutionnaires luttent dans le monde entier et rêvent de ce futur dans chaque mouvement d’opprimés. En effet, lorsque nous parlons de mouvement de prisonniers, nous parlons en substance de Résistance.

Les prisons existent pour une bonne raison : pour les besoins et les intérêts de ceux qui détiennent le pouvoir. Là où il y a des prisons pour enfermer le peuple, là où sévissent occupation, capitalisme et oppression, là où on retrouve l’occupation et la colonisation, il y aura toujours des prisons et tout l’arsenal des lois et des cadres juridiques érigés pour légitimer l’exploitation, l’oppression, l’injustice et pour criminaliser la résistance et la libération.

Des lois sur les esclaves en fuite des années 1800 aux « listes de terroristes » cherchant à criminaliser et à isoler les mouvements de résistance des peuples du monde entier, ce ne sont là que les reflets de la guerre menée contre le peuple. Nous saluons notre sœur Assata Shakur qui continue de lutter en étant libre à Cuba alors qu’elle fait face à de nouvelles menaces, étiquetée comme « terroriste » pour mieux justifier la chasse qui lui est faite en tant que symbole mondial de la liberté.

Cela montre aussi clairement à quel point la lutte, la cause et le mouvement du Black Panther Party et du mouvement de Libération Noire dans son ensemble sont loin d’être une affaire classée. C’est une affaire en cours, une lutte perpétuelle et un mouvement incessant pour la justice et la libération. Alors que j’écris aujourd’hui, la gauche révolutionnaire palestinienne, le FPLP, fête ses 50 ans de lutte : un moment de célébration mais aussi de critique de cet héritage afin d’aiguiser et de renforcer notre marche vers la victoire révolutionnaire. De la même façon, nous venons tout juste de célébrer le 50eme anniversaire de la création du BBP dont la vision pour un changement révolutionnaire est toujours aussi pertinente aujourd’hui.

Cet héritage est porté autant par les idées que par ceux-là mêmes dont les histoires de lutte continuent d’animer et d’inspirer leurs communautés. Vous pourrez croiser le premier prisonnier du FPLP quelque part dans les rues de Berlin en train de continuer à organiser les Palestiniens. Vous pourrez sentir l’héritage du BPP et la poursuite de la lutte Noire dans les rues de Chicago, d’Oakland et d’Harlem. Il existe des personnes qui portent en elles ces mémoires des luttes comme des trésors humains. Les expériences des anciens de nos mouvements, tout particulièrement ceux qui sont passés par la prison, côtoient les idées propagées à travers les écrits, les livres et la littérature en transmettant d’une génération à une autre, les trajectoires et les chemins de lutte d’un futur vers lequel la jeunesse se porte pour mener les luttes révolutionnaires de libérations Noire et Palestinienne.

Chaque prisonnier politique, qu’il soit actuellement en prison, ou à l’extérieur, porte en lui le rêve et la réalité de la libération et ce qu’elle peut et doit signifier en pratique. Lorsque nous analysons aujourd’hui le mouvement de libération Noire ou les luttes des Natifs et des Indigènes aux États-Unis et au Canada, nous observons le même ennemi que nous affrontons en Palestine occupée. Les balles qui ont assassiné Malcom X ou Fred Hampton auraient pu être celles qui ont tué Ghassan Kanafani1, Khaled Nazzal2 ou Mahmoud Hamshari3. Et aujourd’hui ce sont les mêmes gaz et les mêmes balles qui sont expédiés partout dans le monde pour être utilisés contre le peuple. Nous voyons des sociétés comme G4S4 profiter des assauts contre nos mouvements ainsi que de l’emprisonnement de masse de notre peuple. Nous voyons les polices américaines, européennes et israéliennes échanger leurs méthodes pour intensifier le racisme, la « contre-insurrection » et la répression dans les rues de nos villes, dans nos camps et nos villages.

Entre nous, ici en prison, nous avons toujours la volonté et l’espoir de pouvoir communiquer avec des mouvements ailleurs dans le monde, et avec d’autres prisonniers politiques. Nous voulons partager nos expériences pour renforcer l’ensemble de nos mouvements de libération et les campagnes pour libérer nos prisonniers. Les prisonniers politiques ont une expérience directe de la confrontation et l’expérience de la prison peut être source de transformation pour un prisonnier politique. Il ne s’agit pas d’une expérience individuelle mais collective. L’héroïsme d’un prisonnier ne consiste pas seulement à être derrière les barreaux mais à comprendre qu’il porte en lui la direction d’un mouvement et d’une lutte en cours dans un nouvel endroit qui a sans cesse des répercutions internationales. Georges Ibrahim Abdallah lutte aujourd’hui à la prison de Lannemezan tout comme Mumia Abu-Jamal le fait à Mahanoy. L’héroïsme n’est pas non plus le simple fait d’avoir passé des années en prison avant d’être finalement relâché mais plutôt de devenir vétéran d’une lutte qui continue de porter la voix de la libération pour ceux qui restent enchaînés.

En dépit de tous ses efforts, le prisonnier politique n’est pas faible et n’est pas brisé. La responsabilité d’un prisonnier politique est de maintenir la flamme. Ce n’est pas un rôle que nous avons recherché ou pour lequel nous avons travaillé. Mais maintenant que nous sommes dans cette position nous devons la tenir pour être un exemple ; être un exemple non pas pour notre peuple qui est enraciné et résolu, mais pour notre ennemi, pour lui montrer que l’incarcération n’arrivera pas à nous vaincre, nous et notre peuple. Nous portons une cause et non pas une simple quête individuelle de liberté. Israël, la France ou les USA libéreraient Georges Abdallah, Mumia Abu-Jamal ou nous-mêmes si nous étions prêts à devenir des pions du système ou à trahir notre peuple. Mais la prison a généré au contraire des exemples poignants d’une culture de résistance dans l’art, la littérature et les idées politiques.

Aujourd’hui nos mouvements et les mouvements révolutionnaires partout dans le monde font face à des temps difficiles. Pourtant, à y regarder de plus près, cette période difficile peut aussi avoir une valeur positive. Nous sommes en train de préparer la voie pour de nouvelles générations de révolutionnaires du monde entier qui pourront toujours porter la revendication pour le socialisme et la démocratie du peuple, pour un autre monde. À l’époque où Newton écrivit, les mouvements et les prisonniers partageaient leurs expériences et communiquaient grâce aux lettres, aux livres et à l’art qui étaient souvent sortis illégalement des prisons, contournant les murs et la censure. Aujourd’hui, avec toutes les grandes révolutions technologiques, les prisonniers politiques se battent pour que leurs voix soient juste entendues, se voyant même refuser l’accès au téléphone pour communiquer avec leurs familles ou les êtres qui leurs sont chers.

Pourquoi faut-il encore s’intéresser, lire et rééditer les écrits de Huey Newton aujourd’hui ? Fondamentalement parce que ses analyses ainsi que celles du BPP étaient justes et continuent d’être justes, valides et essentielles. Lorsque nous voyons aujourd’hui les ravages de l’impérialisme américain, les menaces de Trump sur le monde entier et les meurtres des Noirs dans les rues américaines sous les balles des policiers, c’est toute la véracité et la nécessité essentielle du travail des Black Panthers qui sont mises en lumière. Aujourd’hui lorsque des mouvements populaires sont menacés et que les luttes de libération sont criminalisées et étiquetées de « terrorisme », nous assistons à des attaques violentes et massives contre nos peuples. La prison n’est qu’une expression de la violence des occupants, des colons, des capitalistes et des impérialistes.

Dénigrer le savoir du peuple et imposer de nouvelles formes d’isolement sont maintenant de nouvelles formes de cette violence.

Le chantage à la consommation, le déni d’humanité infligé à des personnes, et l’isolement sont autant de formes de violence qui vont de pair avec la prison afin de saper nos mouvements, nos soutiens et nos espoirs de libération. Ils veulent voir nos mouvements s’isoler les uns des autres à travers leurs « listes de terroristes » et le silence des cellules d’isolement. Les médias capitalistes et impérialistes recouvrent le monde entier avec pour conséquence que même ici à l’intérieur des geôles israéliennes, nous entendons parler des dernières technologies américaines alors que la répression qui frappe les Noirs est rendue invisible. Mais la réalité aujourd’hui est que chaque jour, un petit Hugh, ou une petite Assata ou Khalida ou Ishaq vient au monde en portant l’espoir des leurs.

Depuis les rues d’Oakland jusqu’aux camps de réfugiés du Liban, Huey Newton et les Black Panthers se battaient pour le socialisme, la justice sociale, contre le racisme, l’impérialisme et la guerre. Huey Newton disait :

« Nous soutenons à cent pour cent la juste lutte de libération palestinienne. Nous allons continuer dans cette voie, et nous voudrions que tous les progressistes du monde rejoignent nos rangs dans le but de bâtir un monde où chaque peuple puisse exister. »

Je ne peux bien sûr pas parler en tant qu’expert des conditions actuelles d’incarcération aux États-Unis. Mais il suffit de regarder les chiffres pour avoir une illustration stupéfiante de ce qui ne tourne pas rond dans ce système. En tant que Palestiniens nous sommes nous aussi confrontés à la négation de notre existence et à sa mise en danger lorsque nous sommes traités comme moins que rien ou comme non-humains, à travers une identité raciale qui nous est assignée. Nous comprenons de par nos propres expériences à quel point l’occupation et le capitalisme n’existent que pour le profit. Le fait que les prisons américaines sont créées pour le monde entier, le fait que celles-ci sont vues comme une source de travail forcé à bas coût et comme du profit pour le capitalisme, en sont un bon exemple. Nous comprenons comment l’emprisonnement est utilisé pour contrôler, diviser et menacer des communautés et des peuples opprimés. L’incarcération est synonyme de profits élevés pour des sociétés alors qu’elle représente une menace directe pour les jeunes Noirs et leur futur. Voilà la « solution sécuritaire » que Trump et l’impérialisme américain sont en train de vendre au monter entier comme solution aux crises du capitalisme : une solution qui repose sur une exploitation brutale et sanglante.

Ici, dans nos cellules, nous pouvons sentir les répercussions de ces attaques et l’impact physique qu’elles produisent à travers les descentes et les fouilles des unités anti-répressions de l’occupant. Nous voyons aussi le potentiel mais surtout la nécessité que des mouvements naissent à l’intérieur des prisons en même temps que ceux de l’autre côté des murs. Nous voyons des milliers de personnes condamnées à de lourdes peines de 20, 30, 40 années de prison et même plus, supprimant toute liberté et emportant leur vie. Notre sacrifice en prison prend un sens s’il porte ses fruits pour les pauvres et pour la libération des nôtres. Notre lutte doit avoir des conséquences matérielles sur la vie des gens.

De l’Irlande aux États-Unis en passant par la France et la Palestine, les prisonniers politiques continuent d’être les leaders des mouvements combattant le racisme, l’impérialisme et le colonialisme. Nous voyons aussi des prisonniers du mouvement Palestinien condamnés à des peines politiques dans les geôles de l’ennemi partout dans le monde : du héroïque Rasmea Odeh emprisonné par les USA aux Cinq prisonniers pour la Palestine, appelés les « Holy Land Fice » emprisonnés en isolement total, aux côtés de combattants Noirs engagés dans des projets de bénévolat pour aider notre peuple, jusqu’à notre cher camarade Georges Abdallah qui souffre depuis 34 ans dans les prisons françaises.

Les prisons et les prisonniers politiques sont aussi un exemple de la nécessité « d’enfreindre la loi » et du pouvoir que cela représente. La loi, celle de l’impérialiste et du colon, est utilisée pour voler les droits et les ressources de notre peuple et pour justifier notre emprisonnement ainsi que la répression et la criminalisation qui nous frappent. En enfreignant la loi de manière collective, et grâce au pouvoir de redéfinir ce qui est juste et injuste – lorsque les gens affrontent et enfreignent ensemble la loi, en tant que force collective et non plus seulement en tant qu’individus – alors cette loi perd sa prétention à être légitime. Enfreindre la loi du capitalisme, de l’impérialisme et de ceux qui exploitent doit devenir la norme et non plus l’exception.

Nous, prisonniers politiques, sommes en prison parce qu’Ils ont peur de nos actions, parce qu’Ils ont peur de nos idées, de notre capacité à mobiliser les gens dans une guerre révolutionnaire contre leur exploitation et leur colonisation. Ils ont peur de notre communication et ils ont peur du pouvoir de notre peuple. Ils ont peur qu’on construise un front international pour la libération des opprimés si nous réussissons à nous unir. Ils savent que nous pouvons réellement construire un autre monde et  c’est cela qu’ils redoutent plus que tout. Pour eux, c’est la terreur ou la défaite mais pour nous et les nôtres, c’est l’espoir de la liberté et la promesse de la victoire.

Ahmad Sa’adat
Novembre 2017, depuis la prison de Ramon, Israël

  1. Ghassan Kanafani était le porte-parole du FPLP, assassiné par le Mossad en 1972.
  2. Khaled Nazzal était secrétaire du comité central du FPLP, assassiné par le Mossad en 1986.
  3. Mahmoud Hamshari était le représentant de l’OLP en France, assassiné par le Mossad en 1972.
  4. G4S est une multinationale de sécurité participant directement à l’appareil répressif en Palestine, aux USA et partout dans le monde. Symbole du complexe « industrialo-carcéral » capitaliste et impérialiste, elle est la troisième plus grande société privée au monde en étant impliquée internationalement dans la gestion des prisons de la Cisjordanie à l’Afrique du Sud en passant par les expulsions de migrants à la frontière mexicaine.
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