Haïti se soulève : entretien avec Jean-Laurent Lhérisson

Depuis plusieurs semaines, le régime du président Jonevel Moïse est fortement ébranlé par un mouvement de révolte qui traverse l’ensemble de la société haïtienne dont les premières contestations remontent à plusieurs années. Dans le cadre d’un cycle consacrée aux luttes haïtiennes, nous avons mené un premier entretien avec Jean-Laurent Lhérisson, activiste.

ACTA : Lundi 22 février, le président Moïse a déclaré que « la démocratie se portait bien en Haïti » lors d’une audition à l’ONU… Pourtant, depuis près de trois ans, l’île est régulièrement en proie à d’intenses mobilisations sociales contre la politique gouvernementale, alors que, depuis plus d’un an, le pays fonctionne sans parlement. Peux-tu revenir sur cette politique, qu’on dit de plus en plus autoritaire, et sur le contexte sanitaire et social en général en Haïti ?

Jean-Laurent Lhérisson : Les prémices de la crise politique actuelle remontent aux élections générales de 2010-2011, celles qui vont consacrer la victoire de Michel Joseph Martelly à la présidence. Michel Martelly, un musicien dont c’était les débuts dans l’arène politique, va gagner des élections contestées à la suite de l’éviction du candidat arrivé en tête du premier tour de l’élection. L’éviction de ce candidat qui était le représentant du pouvoir sortant a été obtenu sous la pression de l’Organisation des États Américains.

Michel Martelly arrivé au pouvoir va créer un parti politique appelé « Parti Haïtien Tèt Kale » dont l’idéologie est teintée de libéralisme, de populisme, de favoritisme, et de non-respect des lois. Le mot phare dont ce régime se réclame est d’ailleurs celui de « bandit légal », ce qui permet d’avoir une large compréhension en peu de mots de leur idéologie.

La présidence de Martelly s’est caractérisée par une crise politique sous-jacente, qui se traduisait par des moments de troubles qui ont forcé des changements de gouvernements mais qui n’a pas amené de révoltes populaires de très grande ampleur du fait que le pouvoir jouissait d’une manne financière qui lui permettait de faire illusion à travers de nombreux projets d’infrastructures.

Cette crise de l’ère Martelly va connaitre son climax avec l’échec du processus électoral de 2015 dont les résultats annonçant la victoire du poulain du régime seront contestés. Malgré les pressions toujours de l’Organisation des États Américains pour que ces résultats soient déclarés définitifs, un pouvoir transitoire dirigé par le président du Sénat d’alors va quand même forcer la reprise du scrutin qui donneront malgré tout la victoire à Jovenel Moïse.

C’est un long rappel historique mais c’est pour bien montrer que le régime PHTK et Jovenel Moïse n’ont jamais joui d’aucune popularité ni grande légitimité, et qu’ils sont assis sur une cocotte-minute entrée en ébullition bien avant leur avènement par ailleurs.

Jovenel Moïse arrivé au pouvoir va très vite se faire rattraper par les casseroles des gouvernements de Martelly. La manne dont profitaient ces gouvernements passés venait essentiellement d’un fond d’entraide sud-sud accordé par le Venezuela. Ce fond appelé Petro-Caribe fonctionnait comme un crédit laissé sur les commandes de pétrole passées auprès de l’État venezuelien. Dans la logique de cet accord, cet argent devait servir à soutenir des programmes sociaux ou des projets de développement. Sauf que les résultats de ces programmes en Haïti sont peu tangibles, et qu’il y a une grosse opacité sur la façon dont les fonds ont été dépensés. Les questions autour de la gestion de ces fonds ont d’abord été portées par des politiques et ont fini par faire écho dans l’opinion publique à travers une phrase qui a fait le tour des réseaux sociaux : Kot Kob Petrocaribe a ? (Où est passé l’argent de PetroCaribe)

Des manifestations et de nombreuses autres initiatives citoyennes ont accompagné ce slogan à partir de 2018 forçant les institutions publiques à faire leur travail et retracer le chemin pris par cet argent selon ce qu’exige la loi.

Sauf que face à ça, sous la pression du gouvernement peu de résultats ont été obtenus et malgré plus de deux ans de pression en tout genre aucune personnalité indexée, dont le président Moïse lui-même, entrepreneur avant son entrée en politique, n’a été inquiétée par la justice.

Profitant de cette situation de trouble généralisé, le président Moïse va déclarer en janvier 2020 la caducité du pouvoir législatif. Malgré la contestation de certains élus expliquant qu’il leur restait encore des années à siéger au parlement, l’exécutif a ordonné à la police d’empêcher ces parlementaires en fonction d’accéder aux locaux de l’assemblée nationale. Ayant, depuis lors, les coudées franches pour diriger sans rendre compte à quiconque, l’exécutif va en profiter pour prendre toute une série de décrets dont certains graves de conséquences comme par exemple un nouveau code pénal, et de lois carrément liberticides. Il crée ainsi une agence de renseignement répondant exclusivement aux ordres du président, et déclare que tout acte de résistance dans l’espace public qui prend la forme d’érection de barricades est assimilable à un acte de terrorisme et devra être sanctionné en ce sens.

Depuis le 7 février 2020, les forces contestataires (de la société civile et des partis politiques) ont constaté officiellement la fin du mandat constitutionnel de l’exécutif au regard de l’article de la constitution qui fixe les termes du mandat présidentiel. Sauf que l’exécutif et ses alliés internationaux, particulièrement ceux du département d’État américain, de l’OEA et du Bureau Intégré des Nations Unis en Haïti (le BINUH) ont un discours contraire qui prétend que Jovenel Moïse doit rester au pouvoir jusqu’en 2022, sans se référer aux prescrits de la constitution en la matière. Face à cette situation de remise en question, le gouvernement, fort de son soutien international a décidé de répondre par des arrestations arbitraires et la répression violente des mouvements de protestation en recourant aux pratiques propres au régime autocratique pour garder le pouvoir de facto.

Comment s’organise la résistance populaire en face ?

Le premier gros événement de résistance populaire a été le « Peyi lock » du 6 et 7 juillet 2018. Alors qu’il y avait un débat sous-jacent sur l’opportunité de supprimer ou pas la subvention des produits pétroliers et les conséquences de cette mesure sur le pouvoir d’achat des ménages les plus défavorisés, le gouvernement de l’époque a pris un communiqué annonçant l’arrêt de cette subvention. Pour revenir sur le contexte du jour de la prise de cette mesure, nous étions en pleine coupe du monde de football, et beaucoup de gens étaient devant le match Belgique Brésil. L’équipe de foot du Brésil déchaine les passions en Haïti. Ce jour-là, le Brésil a été sorti de la compétition par la Belgique, et à la fin du match la nouvelle de l’arrêt de la subvention a fait le tour des réseaux sociaux et des médias comme une trainée de poudre.

Tout de suite des barricades ont été dressées à travers tout le pays bloquant toute circulation automobile. Ce jour-là même dans les quartiers résidentiels, les impasses, les entrées de lotissement, des barricades étaient dressées et des brigades de vigilance ont veillé à ce qu’elles tiennent pendant deux jours. Face à cette pression le gouvernement a dû revenir sur sa décision.

Le succès de cette opération a fait que pendant le reste de l’année 2018 et au cours de l’année 2019, d’autres actions de ce type ont été lancées bloquant toutes les activités économiques pendant une période de deux mois pour celle qui a duré le plus longtemps entre septembre et novembre 2019.

En parallèle de ces blocages s’organisaient aussi des manifs, des sit-in rassemblant des centaines de milliers de personnes à travers tout le pays, ce qui est exceptionnel et dénote le caractère national de ces actions de résistance au cours des années 2018-2019 partout dans le pays.

La crise du coronavirus, et l’échec relatif de ces mouvements de blocage, ont eu pour effet le ralentissement de la mobilisation au cours de l’année 2020. Depuis le début de l’année 2021, cette dernière a repris et il y a eu une grève des transports de deux jours qui a été un succès sans usage de barricades et des marches pacifiques dont une récente le 28 février qui a été lancée par des leaders des secteurs religieux et de la société civile. Cette dernière était lancée comme un défi aux instances des Nation Unies en Haïti qui avaient mis dans un rapport envoyé à New York qu’il n’y avait que 3000 personnes à manifester dans les rues contre le pouvoir de facto, ce qui était un mensonge éhonté et indigne des fonctionnaires onusiens. 

Peux-tu nous détailler les différents secteurs et groupes en lutte et sur quoi portent les revendications ?

Face au régime PHTK, il y a une résistance menée par des politiciens et leurs bases, mais aussi par de nombreux groupes organisés non affiliés à des partis.

Pour ce qui est des politiciens, le régime PHTK s’étant fermé à toute forme de cohabitation, il y a dans ce groupe des figures de tous les courants idéologiques, dont des anciens soutiens du régime. L’ancien sénateur Youri Latortue, un leader qui est souvent invité dans les médias occidentaux, a été conseiller de Michel Martelly par exemple. Il y a aussi des leaders politiques au discours plus à gauche, dont un autre ancien sénateur Moïse Jean-Charles, qui lui cependant s’est toujours opposé au régime PHTK. L’ensemble de la classe politique est dans l’opposition. Malgré leurs divergences idéologiques et leurs intérêts politiciens respectifs, ils se sont réunis autour d’un accord signé entre eux s’entendant pour la mise en place d’un pouvoir de transition chargé d’organiser une conférence nationale pour définir les politiques à mener à court et moyen terme, l’organisation des procès des massacres perpétrés dans les quartiers populaires en 2018-2019, et l’organisation du procès des fonds PetroCaribe dilapidés par les différents gouvernements depuis 2008.    

En plus des politiciens, il y a des nouvelles figures issues de la société civile qui se sont organisées à la faveur du mouvement de dénonciation du gaspillage des fonds Petrocaribe. Ils sont généralement désignés comme des Petrochallengeurs. Il y a aussi les syndicats ouvriers, des syndicats d’enseignants, syndicats des transports, les organisations populaires de base issues des quartiers populaires, les organisations étudiantes, et d’autres organisations de droits humains. Pour la plupart ces groupes portent un discours pour la reddition des comptes publics et l’établissement d’un pouvoir pour la mise en œuvre d’une politique publique sérieuse de justice sociale.

Il faudrait rajouter que dans les manifestations qui ont eu cours à partir de 2018, les slogans changement de système et tabula rasa étaient aussi scandés. Ils sont révélateurs d’un nécessité pour les classes opprimées de vraiment passer à d’autres formes de gouvernances et d’organisations de la distribution des richesses collectives.

Quels sont les principaux enjeux et formes répressives auxquelles cette résistance est confrontée ?

La forme de répression la plus grave à laquelle font face les groupes qui résistent ce sont les assassinats. Comme je le mentionnais, en novembre 2018, un massacre à été commandité dans un quartier populaire appelé Lassaline faisant plus d’une cinquantaine de morts. Celui-ci a été orchestré par des proches du pouvoir selon les conclusions de plusieurs rapports d’enquêtes dont une réalisée par les Nations Unies. Ce quartier était connu pour être un bastion de résistance qui se mobilisait pour les manifestations antigouvernementales. Malgré les conclusions accablantes, aucune des personnes citées dans ce rapport n’a été arrêtée.

Il y a eu l’assassinat en octobre 2020 d’un étudiant qui se trouvait dans l’enceinte même de son école alors que lui et d’autres camarades menaient un mouvement de protestation pour réclamer des stages et leur intégration comme professeur des écoles publiques. Cet assassinat a été le fait de la garde armée du palais présidentiel. Depuis 4 mois que cet étudiant, Grégory Saint-Hilaire, a été assassiné, aucune sanction même disciplinaire n’a été prise contre les policiers qui ont orchestré cette attaque.

Il y a eu aussi l’assassinat du bâtonnier de l’ordre des avocats de Port-au-Prince Monferrier Dorval en août 2020, qui n’était pas une figure contestataire de premier plan, mais qui dans la semaine de son assassinat avait pris la parole pour contester les méthodes que voulait suivre le gouvernement pour réformer la constitution.

Là, je ne cite que des figures connues dont la mort a ému des secteurs entiers de la population, mais à côté de ça, il y a des assassinats systématiques sur d’autres petites mains de la résistance moins connues qui sont plus vulnérables parce qu’elles trainent dans les rues.

Outre les assassinats ciblés de personnalités publiques et d’opposants politiques, il y a également la répression toute aussi sanglante et incendiaire orchestrée à partir des gangs et autres sbires du pouvoir fédérés au niveau des quartiers défavorisés de certaines villes du pays. Des bandes armées ont instauré un contrôle par la violence sur les populations de ces quartiers, limitant de fait toute liberté de révolte. Cette forme violente de répression exercée au niveau des quartiers pauvres est souvent minimisée dans l’espace public comme étant des traditionnels affrontements entre bandes armées pour le contrôle d’enjeux territoriaux. La plupart du temps, il n’y a que les organisations des droits humains qui se soucient de documenter ces situations graves ou les droits à la vie et au respect de la personne humaine sont souvent foulés par ceux qui mettent en œuvre cette forme de répression instaurée par le pouvoir.

Depuis un an, il y a aussi des enlèvements contre rançons qui se produisent quotidiennement, et qui touchent les classes laborieuses prétendant à un pouvoir d’achat supérieur à la moyenne (classe moyenne). Plus de 150 cas par mois recensés par les chiffres officiels. Ils sont attribués à des groupes armés proches du gouvernement. Cette semaine une ancienne directrice d’une institution publique, figure de proue du régime a participé directement à la prise de contact avec les ravisseurs de deux ressortissants dominicains et d’un compatriote haïtien selon ses propres déclarations. Ceci confirme donc que ces activités criminelles sont orchestrées ou a minima tolérées par le régime et qu’elles peuvent aussi servir à intimider ceux qui résistent.

Et puis bon à côté de ça, il y a les arrestations arbitraires, et toutes les autres formes d’abus que peut utiliser le gouvernement et qui peuvent être teintées de légalisme, comme ce groupe d’une vingtaine de personnes accusées de fomenter un coup d’État arrêtées chez elles en pleine nuit alors qu’elles dormaient.

Dans la presse internationale, la situation politique est attribuée presque totalement à Moïse. Qu’en penses-tu ? Quels autres problèmes plus généraux ont permis cette situation ?

Jovenel Moïse et le régime dont il fait partie sont les premiers responsables de la situation délétère dans laquelle se retrouve aujourd’hui le pays. Depuis l’avènement du régime PHTK, il n’y a eu aucune avancée significative sur le plan social, économique et de consolidation de l’État de droit dans le pays. Bien au contraire. Les dirigeants du parti sont des nostalgiques de la période duvaliériste où le pouvoir n’avait de compte à rendre à personne, s’assurait de l’enrichissement de ses serviteurs tout en n’ayant aucun respect des droits humains.

Après bien sûr il y a les problèmes structurels de l’organisation du corps social lui-même qui perdurent depuis deux siècles. Inégalité, exclusion etc. et qui sont maintenus par les élites politiques et économiques notamment de la société. D’ailleurs l’avènement de l’ère PHTK est significatif des velléités de ce groupe social de maintenir le pays dans cet état.

À côté de ça, il y a aussi les instances internationales, l’ONU et le gouvernement américain dont l’agenda a aussi mené au pourrissement de la situation à travers leur soutien indéfectible au régime décrié dont ils avaient orchestré même l’arrivée au pouvoir dans le pays. Sans oublier les prédateurs des institutions de Breton Woods qui sont là derrière pour dicter aux responsables locaux les mesures économiques néolibérales à prendre pour protéger et faire fructifier le capital transnational au détriment des aspirations, du bien-être et de l’autodétermination des peuples.   

Sur quels domaines se jouent les intérêts impérialistes en Haïti ?

En Haïti l’impérialisme est avant tout américain. Un pays pauvre est un terrain idéal pour l’exploitation de main d’œuvre à bon marché à travers notamment la destruction de l’agriculture locale de subsistance, l’installation de zones franches de tout type, l’écoulement de biens de consommation de masse par la réduction de barrières douanières et où peuvent s’organiser toutes sortes de magouilles liées à la grande criminalité. Haïti avec une population de moins de 15 millions d’habitants est le 3ème plus gros importateur mondial de riz américain. C’est un non-sens économique absolu dans un pays qui possède d’importantes potentialités dans la production des céréales. L’impérialisme américain se manifeste également dans les jeux de pouvoir en vue des éventuelles explorations des potentialité minières du territoire, en gisement pétrolier etc.    

Comment interpréter le soutien indéfectible des administrations Trump et Biden au gouvernement de Moïse ? Pourquoi s’inscrivent-elles dans la continuité des prédations étatsuniennes qui se donnent à voir depuis la crise humanitaire de 2010 ?

Le prétexte pris par les pouvoirs impérialistes est que nous sommes un État ou les règles démocratiques n’auraient pas cours. Il faut comprendre règles démocratiques comme espace apaisé politiquement, avec une alternance politique connue d’avance, et une stabilité qui permette aux puissants de faire tranquillement leur business. Du coup la position du département d’État et de l’OEA son joujou régional c’est de fermer les yeux sur toutes les dérives et les abus des pouvoirs en place, faire croire qu’il y a des élections crédibles et justes sur des bases régulières et obtenir des bouts du territoire pour faire leurs affaires.

Il faut aussi rappeler que les administrations PHTK ont été un allié diplomatique inconditionnel de toutes les mesures de politique étrangère menées par les américains. Haïti, malgré le passé récent de coopération avec le Venezuela a voté contre le régime Maduro à l’Organisation des États Américains, et a ouvert une mission diplomatique à Dakhla à la suite d’une décision américaine du même ordre alors que les intérêts immédiats de l’État Haïti dans le Sahara occidental restent à prouver.

Peux-tu nous parler des déportations massives d’Haïtiens du territoire américain vers Haïti orchestrées par l’administration Biden ? Que disent-elles des rapports entre les États-Unis et Haïti ? En quoi Haïti apparaît comme un enjeu des stratégies impérialistes US en Amérique Centrale et en Amérique Latine ?

Les déportations d’Haïtiens sont une vielle pratique des gouvernements américains. Elles ont été massives sous l’administration Obama contrairement à ce que beaucoup auraient voulu croire. Elles sont d’abord pensées pour satisfaire l’électorat américain mais peuvent servir de moyen de pression sur les États dont ces immigrants sont des ressortissants.

Peux-tu nous parler du rôle des associations et organisations humanitaires étrangères, notamment françaises, se trouvant dans le pays, dans le maintien de l’ingérence politique à Haïti ? 

Les organisations humanitaires profitent en Haïti du vide laissé par les pouvoirs publics dans la gestion des problèmes sociaux. Elles en profitent puisqu’elles récupèrent les fonds dédiés au développement alloués par les grandes instances internationales et les États des pays riches. De par leur position de principe « apolitiques » et parce que leur agenda est de faire aboutir leurs projets en toute circonstance afin de rendre des comptes aux bailleurs internationaux, elles contribuent à casser les formes d’organisation sociale d’entraide qui leur préexistaient, voire même certaines politiques publiques. Elles contribuent à maintenir cet état de dépendance des populations vulnérables vis-à-vis d’elles, profitant du business de la charité.

Le gouvernement français continue d’apporter un soutien infaillible au président haïtien, quelle est la responsabilité de la France dans le maintien sous domination du peuple Haïtien ? La France porte une lourde histoire esclavagiste et coloniale avec Haïti, comment retrouve-t-on encore cet héritage dans le rapport politique entre Haïti et la France ? 

La France dans le monde n’a pas vraiment le pouvoir de faire flancher les États-Unis sur leurs politiques étrangères. Dans les Caraïbes, l’arrière-cour des US est encore plus faible. Elle s’aligne sur les positions américaines, comme d’ailleurs la plupart des États ayant une présence diplomatique sur le territoire.

Les liens entre la France et Haïti sont ténus. Il y a le passé colonial des 17e et 18e siècles mais depuis ce sont deux États partageant une langue commune et qui se nourrissent de la culture l’une de l’autre, mais dont les rapports politiques sont faibles. La France en Haïti c’est surtout la vente d’une culture à travers ses Instituts implantés dans les grandes villes du pays. Le dernier événement diplomatique marquant des rapports entre ces deux pays a été la demande du remboursement de la dette de l’indépendance par la France à Haïti par le président Jean-Bertrand Aristide. Le président Aristide ne jouissant pas à l’époque d’un soutien politique national fort, cette demande est passée comme une lubie du pouvoir contesté à l’époque et elle n’a abouti à rien sinon que de vagues promesses de François Hollande second président français à avoir entrepris une visite officielle en Haïti.  

La captation économique et l’implantation de multinationales françaises telles que Air France, Total, ou la Compagnie générale maritime (CGM) et la Compagnie maritime d’affrètement (CMA) permettent de stabiliser les intérêts français dans la région. En quoi réactualisent-elles la mise en dépendance économique du pays, et en particulier la dette coloniale d’Haïti envers la France ? Penses-tu que les derniers soulèvements haïtiens mettent en péril cette domination ?

Les investissements français en Haïti ne sont pas les plus visibles. Certes il y a quelques multinationales françaises mais toutes mises ensemble il ne me semble pas qu’elles pèsent pour beaucoup dans l’économie.

Pour ce qui est des autres investissements étrangers ils ne sont pas non plus menacés. Il y a certes un discours contre le néolibéralisme porté par les groupes organisés idéologiquement à gauche mais ça ne se traduit pas par une prise de conscience collective de cette domination, ni de par des actions concrètes des pouvoirs publics pour les empêcher de nuire, bien au contraire.

Le mouvement de soulèvement haïtien bénéfice-t-il de soutien politique, matériel ou autren de groupes émanant de pays d’Amérique du sud, d’Amérique Latine ou de pays des Caraïbes ?

Face au durcissement des pratiques du régime, les groupes les plus à gauche et qui font partie de réseaux de lutte dans l’Amérique du sud et les Caraïbes ont essayé d’intensifier les appels à la solidarité vis-à-vis des partis et groupes amis de la région. Il y a certes quelques réponses qui sont parvenues des partis socialistes ou révolutionnaires de la région mais pas encore d’appui très net des sociétés civiles de ces pays.

Je pense que les groupes de gauche avaient trop tendance à garder le débat en Haïti ce qui fait que le gouvernement a su construire son propre réseau de communication et prendre une avance sur la lecture à apporter à la crise. Avec un peu plus d’appels à solidarité peut être que la tendance finira par changer.  

L’embrasement politique d’Haïti, qui connait une longue histoire de révolutions victorieuses, peut-il changer le rapport politique de l’ensemble des Caraïbes ?

La lutte pour l’indépendance en passant par l’ensemble des autres batailles de résistance qui ont émaillé l’histoire du pays nous ont construit une réputation de rebelles. Malheureusement de toutes ces luttes aucun projet pour l’émancipation réel des opprimés n’a jamais pu aboutir. Les esclaves ont gagné leur liberté et nous avons su nous constituer comme nation indépendante, mais les élites qui se sont constituées à la suite de l’indépendance maintiennent les plus pauvres dans un système d’exclusion qui leur permet de bâtir leurs richesses. La bourgeoisie locale a réussi en 200 ans à toujours avoir le dernier mot et empêcher à Haïti de devenir le modèle qu’il aurait pu être pour les autres nations de la Caraïbe. Cet échec est d’ailleurs vendu par les puissances impérialistes comme une mise en garde à tous ceux qui souhaiteraient se libérer du néo-colonialisme. Soulevez-vous et vous connaitrez le même sort qu’Haïti. 

Quels soutiens peut-on vous apporter depuis la France ?

Depuis la France un mouvement de solidarité pour appeler à une autodétermination du peuple haïtien à décider de son projet politique serait déjà un gros soutien. Le chantage des instances politiques internationales qui veulent imposer une forme de gouvernance qui répond uniquement à leurs intérêts nous empêche d’obtenir les victoires qui permettraient d’avoir espoir en un monde plus juste pour les opprimés.

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