Porte parole du Comité Adama, ancien membre du MIB (Mouvement de l’immigration et des banlieues), Samir Elyes fait l’objet d’une enquête préliminaire pour « injure publique envers une administration publique ». Lors d’une prise de parole durant la manifestation contre les violences policières de ce samedi 20 mars, il y dénonçait notamment le racisme de la justice, le traitement que subissent les personnes noires et arabes et le permis de tuer dont bénéficient les forces de l’ordre françaises.
Le constat d’une police dont le nombre de crimes et de violences ne décroît pas au fil des ans, qui bénéficie d’un armement et de moyens de surveillance et de contrôle de plus en plus perfectionnés. Le simple constat amer d’années de luttes pour la reconnaissance de crimes dont ont été victimes principalement des hommes noirs ou arabes de quartiers populaires (Lamine Dieng, Amine Bentounsi, Amadou Koumé, Adama Traoré…). Le constat d’une justice à deux vitesses, qui répond bien trop souvent à des enjeux politiques. En prononçant acquittement sur acquittement, ou des peines qui ne sont ni à la hauteur du crime, ni à celle de la douleur et la perte des familles, elle s’illustre comme défenseuse d’une idéologie sécuritaire et raciste.
Les propos tenus par Samir Elyes ont été suivis d’une vague de critiques, de harcèlements et d’insultes. Sur les réseaux sociaux, les syndicats de police, les sphères de droite et d’extrême droite ainsi qu’un certain nombre de médias ont été en première ligne pour dénoncer un discours qui « inciterait à la haine et la violence ». Ce tapage a abouti à une enquête du parquet de Paris, venant confirmer le constat d’une institution judiciaire au service d’une politique de plus en plus autoritaire et raciste. Ce sont pourtant les mêmes qui participent et nourrissent un discours islamophobe et raciste, qui justifient et incitent à la violence et à la discrimination. Les mêmes qui relaient et approuvent les mesures sécuritaires et libérales mais qui refusent toute critique et réactions de défense.
Pour rappel, Samir Elyes occupe une place centrale dans le combat contre les violences policières et le racisme d’État. Il rejoint le MIB en décembre 1997 suite à la mort d’Abdelkader Bouziane, 16 ans, tué d’une balle derrière la tête par la BAC de Dammarie-lès-Lys. Aux côtés de Tarik Kawtari, Nordine Iznasni, Fatiha Damiche, Mogniss H. Abdallah, Farid Taalba, Pierre-Didier Tchétché-Apea, qui créent le mouvement en 1995 dans le prolongement du Comité national contre la double peine, il a contribué à porter une parole autonome issue des quartiers populaires et à mettre en pratique diverses formes d’entraide, de résistance, d’auto-organisation et de formation politique qui s’ancrent dans une réalité de terrain. Une pratique de lutte qui s’inscrit dans le prolongement de Rock Against Police et qui revendique l’héritage du Mouvement des Travailleurs Arabes, ayant posé les jalons d’une expression politique autonome pour les personnes issues de l’immigration, faisant le lien entre condition coloniale et condition immigrée, entre damnés de la terre, damnés à l’intérieur et damnés de l’intérieur. Des luttes qui n’ont cessé d’être ciblées et criminalisées par le pouvoir d’État, du fait de leur potentiel révolutionnaire.
Les attaques d’aujourd’hui n’ont ainsi rien d’étonnant. En ciblant Samir Elyes, c’est le Comité Adama (qui occupe une place importante dans la séquence de lutte contre les violences policières et le racisme d’État) et l’ensemble du mouvement des quartiers populaires et de l’immigration qui est visé. C’est bien parce que Samir Elyes fait preuve d’offensivité à l’attention des institutions policières et judiciaires, en les dépeignant dans leur nudité la plus élémentaire (en tant qu’institutions négrophobes et racistes qui distribuent des permis de tuer) qu’il fait l’objet d’un ciblage tout particulier. Sa phrase « on ne veut plus que les policiers rentrent dans nos quartiers » résonne ainsi comme une forme d’autodéfense populaire nécessaire face à l’arbitraire de l’appareil d’État, qu’il s’agit pour nous de reprendre et de clamer à nouveau haut et fort.
Contre la férocité de l’ensemble des rouages du camp réactionnaire et ses tentatives de silenciation, nous nous tenons donc aux côtés de cette voix autonome issue des quartiers populaires et de l’immigration.