Excited delirium

La norme policière du « comportement suspect » comme arme de destruction des corps

À partir de quels critères un policier est-il en mesure de définir qu’un comportement est « suspect » ? Qui a le droit de posséder ce fameux « bon sens » qui permet, selon le ministère de l’intérieur de repérer « intuitivement » les comportements suspects ? En remontant la source du concept de comportement suspect, on découvre une théorie socio-psychologique très controversée et pourtant employée dans des domaines aussi variés que la formation des forces de polices, le management d’entreprise et l’animation d’images 3D. Les théories synergologiques (l’analyse de la communication non verbale) du docteur Paul Ekman, figure notoire des centres de formation dans le domaine de la sécurité homologués par l’État français, ne cessent pourtant d’attiser la colère de la communauté scientifique par leur méconnaissance des différences culturelles entre humains (leur ethnocentrisme autour du corps blanc) et par leur approximation méthodologique. Autour de nous, des visages humains et non humains dressés à la théorie des micro-expressions défigurent symboliquement les corps différents afin d’en justifier le massacre réel. La rhétorique des « comportements suspects » se présente ainsi en un double projet dont nous allons découvrir ici quelques éléments : d’une part, rendre illisibles les visages et les corps culturellement, physiquement et neurologiquement différents, d’autre part en justifier le massacre par leur manque de conformité à ce « bon sens » dont ils sont politiquement et scientifiquement exclus.

Le secrétariat du bon sens

Les corps qui se déplacent différemment et/ou qui réfléchissent la lumière différemment des corps politiquement et culturellement dominants relèvent aujourd’hui, dans les pays dits démocratiques, d’une juridiction très spéciale, mélange de droit commun, de théories psychiatriques et de philosophie rationaliste. Cette juridiction destinée aux corps différents s’établit autour du concept et de la rhétorique du « comportement suspect » ; un outil policier, juridique, et idéologique dont la définition, laissée volontairement flou par le Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité Nationale1, sert tour à tour d’instrument de mise à mort, de machine à blanchiment de meurtriers, et de manette de contrôle de l’opinion publique.

Sur une plaquette d’information à destination du public, intitulée « signalement des situations suspectes », le SGDSN emploie la tournure rhétorique de l’évidence pour nous faire comprendre que la prévention des comportements suspects est à la portée du moindre humain. Il nous conseille ainsi de faire preuve « d’intuition » et de « bon sens » dans la reconnaissance des comportements suspects, sous-entendu de façon tautologique : Toutes celles et ceux qui sont identifiés comme étant dans le bon sens sont capables de reconnaître le bon sens. L’entre-soi est préservé entre les « jamais suspects ».

Le concept de comportement normal, s’il est noyé derrière une philosophie de « l’intuition » et du « bon sens » dans la plaquette du SGDSN, masque cependant deux choses importantes : la première est que l’idée de normalité n’est pas un concept « intuitif » mais une construction socio-culturelle et psychiatrique qui a une histoire précise. Celle-ci se traduit aujourd’hui par l’utilisation, lors des formations gouvernementales en termes de sécurité, de théories comportementalistes largement controversées auprès de la communauté scientifique, voire de pseudo sciences liées au profiling telles que la synergologie. Ces outils de formation systématisent l’exemple du corps homme blanc valide comme grille de lecture du comportement humain en général, comme en témoigne les plaquettes de formation sur les comportements suspects à destination des agents de sécurité du ministère de la Culture et datées de 2019.

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Second point important : la dimension idéologique du concept de « comportement suspect » vise à réformer les citoyens, en leur faisant adopter les bons gestes et en taxant d’insensé.e.s (hors du bon sens) celles et ceux qui ne sauraient pas les reconnaître « intuitivement ». Cette rhétorique permet de criminaliser a priori toute contestation provenant d’un corps culturellement et physiquement différent, en la rendant contraire à une Raison qui serait universelle. C’est seulement de cette façon que l’on peut saisir le lien entre la durée de placage de Georges Floyd (8 min 40 secondes) et le calme imperturbable du policier qui le maintient au sol : ce n’est pas la cruauté d’un raciste convaincu qui apparaît lors de la vidéo, mais bien le calme impassible de celui qui est dans son bon droit, le calme de celui qui sait avoir raison.  Il ne croit pas une seule seconde qu’un corps différent du sien puisse souffrir, ni dire la vérité sur sa souffrance. Il ne croit pas une seule seconde qu’il est en train de tuer un homme, pour lui Georges Floyd n’a pas de vie à ôter. La violence extrême de cette vidéo réside dans le fait que la mise à mort est dépassionnée, automatique, tranquille. Après tout « il ne fait que son métier ». Le policier blanc et le drone se rejoignent dans l’idéal technologique d’une efficacité de contrôle maximale : détruire un corps sans aucun dommage collatéral, détruire un corps sans ôter la vie. Policiers et drones, tous deux dressés à la loi du comportement suspect, sont peu ou prou faits du même bois.

La littérature pseudo-scientifique des comportements suspects

Pour comprendre comment est fabriquée la norme comportementale des « comportements suspects » il suffit de consulter certains documents en libre accès sur internet, dont l’un s’intitule « Étude et accueil du public : La détection des comportements suspects ». Ce document se présente en une page de présentation du programme de formation ministérielle tenu sur 2 jours lors de l’année 2019, et visant à former les agents de sécurité du ministère de la Culture à la détection des comportements suspects.

Une simple analyse des termes employés dans ce document permet de remonter aux controverses scientifiques autour des modèles plébiscitées dans le repérage des comportements suspects. Des titres d’enseignement tels que « 4. Les expressions et les micro-expressions comme indicateurs émotionnels d’agressivité » ou « 5. Les démangeaisons et les micro-démangeaisons comme indicateurs d’agressivité » renvoient directement aux théories du pionnier de l’analyse cognitvo-comportementale, le docteur Ekman. La théorie des micro-expressions vise à donner une grille d’interprétation systématique du langage non verbal et notamment des mouvements involontaires des individus, et ce en vue de détecter une émotion cachée (l’agressivité surtout). Paul  Ekman est un anthropologue très controversé au sein de la communauté scientifique américaine, et ce depuis les années 70 et ses virulents débats avec l’anthropologue Margaret Mead comme auprès du grand public : il a été en effet accusé de racisme pendant cette même période pour avoir refusé de reconnaître les différences de langages non verbaux entre américains caucasiens et afro-américains. Le programme de détection d’émotions que Paul Eckman a développé aux Etats-Unis pour la sûreté des aéroports en 2007 s’est en outre montré inefficace, ce qui accrédite les critiques adressées depuis Margaret Mead à l’inefficacité de sa méthode d’analyse des micro-comportements.

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Paul Ekman continue en 2020 a approuver les formations en analyse des émotions dispensées au sein du groupe de formation EIA Group en France et il continue à former d’autres enseignants dans la même discipline. Ce groupe a de surcroît reçu le décret qualité Datadoké en 2016 pour la « Qualification et formation des collaborateurs en charge de former les publics ». Ce groupe propose en outre des formations de type « l’analyse comportementale au service de la sécurité » destinée à des agents de sécurité. Le problème ici est autant dans la prétention de la méthode à décrire l’universalité du comportement humain que dans l’effort de développer un outil de détection systématique des comportements à partir d’elle. Le « lapsus gestuel » par exemple est à l’origine une hypothèse de travail en anthropologie permettant d’explorer la diversité des codes non verbaux entre les cultures : le signe V avec les mains signifie par exemple autre chose dans la culture napolitaine que dans la culture italienne. Mais rien ne peut permettre de définir a priori ce qu’il signifie si un individu l’emploie. De la même façon, une expression faciale inconnue signifie que le système de traductions d’émotions est incomplet eut égard à la diversité culturelle des émotions et non que l’individu est en train de mentir, ou de dissimuler une agressivité.

Mais ce n’est pas tout. L’analyse des micro-comportements, en plus d’être destinée aux particuliers et aux employeurs, est aussi employée dans les studios d’animation afin d’animer correctement des personnages virtuels pour les faire correspondre à des gestuelles et des émotions humaines. Sur le site du docteur Ekman nous pouvons voir que sa méthode de codage des visages humains (Facial Action Coding System) attribuant des formes de visage à des émotions a été employée par les studios Disney et Pixar pour la création des corps et visages en images de synthèse, ainsi que par Apple pour la création de logiciels de reconnaissance faciale. Ainsi, le contrôle des apparences humaines par les théories cognitives et comportementales ne se contentent pas d’offrir des formations s’adressant à tous les corps de métiers et à tous les corps physiques susceptibles et désireux de maîtriser les corps différents. Elles génèrent aussi un visage-type et un comportement-type qui se diffusent des dessins animés aux contrôle de police, à partir de 43 muscles du visage occidental et des 7 émotions analysées par docteur Ekram, afin de donner aux spectateurs et aux interpellés l’exemple d’un corps et d’un visage réalistes. Des visages et des corps identiques, dénués de micro-mouvements, capables de reconnaître des visages et des corps identiques. Le problème est alors moins de savoir si ce modèle FACS correspond à un corps humain réel que de savoir : quelle peau, quel corps et quel visage doit-on avoir pour avoir l’air humain? quels efforts certains corps humains doivent et devront continuer à faire pour avoir l’air humain aux yeux de celles et ceux qui ont été formés par les théories de l’analyse comportementale ? à quel point devons-nous effacer nos couleurs, masquer nos différences corporelles et neurologiques pour correspondre au code policier universel du visage et du corps humain ?

Du contrôle à l’auto-contrôle : rhétorique du bon sens

Cette idée du « bon sens » est violente, arbitraire, mais efficiente : non seulement le modèle du comportement suspect est ethnocentré et participe, dans son application, à la mise à mort des corps non-blancs, non-hommes, non-valides, mais le système de production d’images produit lui-même des visages de forme masculine, blanche et valide. Nous sommes entourés d’images, de visages et de corps humains qui nous rappellent que le corps biologiquement et culturellement différent est une erreur, une aberration, une folie. Cela a moins à voir avec la couleur du corps en image qu’avec le mouvement qui est attendu de lui – ce n’est plus la couleur visible qu’il faut atténuer, il faut blanchir les corps différents de l’intérieur. Si possible en leur faisant avaler de l’eau de javel – comme c’est le cas pour les partisans d’une guérison de l’autisme par ingestion de dioxyde de chlore (bleach therapy2)- sinon en les soumettant à une énigme rhétorique dont ils ne peuvent sortir indemnes.

Cette énigme c’est celle du « bon sens ».

Si un individu questionne le bon sens, alors il ne le possède pas. Il est donc suspect. S’il veut pouvoir être blanchi de tout soupçon, il faut qu’il souscrive au bon sens, et pour ce faire, il lui faut vérifier ses gestes, son apparence, sa démarche. L’individu se contrôle avant même que la police ne le fasse. Pratique. Si l’individu ne peut contrôler son corps, s’il ne peut arrêter d’être noir et d’être terrifié à l’idée d’être contrôlé, d’être handicapé, d’être féminin, d’être queer, de faire une crise d’épilepsie, de faire un meltdown sous l’effet de l’anxiété ou s’il ne peut pas changer de couleur – s’il ne peut même s’empêcher de se demander si son sens est bien conforme au bon sens, alors il devra s’expliquer. Mais son explication est déjà en dehors du bon sens, aux yeux des policiers, il ou elle nage déjà en plein délire. Le bon sens voudrait que les insensé.e.s soient enfermé.e.s, alors le fait même d’avoir un corps à l’air libre les expose à tous les risques. D’ailleurs c’est ce que la police répète aux femmes en cas de viol et aux manifestants en cas d’usage de LBD par la police : vous n’auriez pas dû.e.s être dehors, vous n’auriez pas dû.e.s être là, d’ailleurs nous ne devrions même pas discuter avec vous, car vous devriez être chez vous, enfermé.es. Regardez la condition de votre corps, votre féminité, votre précarité, votre couleur, votre handicap, tout ça n’a rien à faire là. Question de bon sens.

Or le bon sens n’a rien d’une immédiate conformité à une évidence universelle qui dépasserait tout jugement. S’il y a quelque chose de suspect dans cette affaire de « bon sens » c’est bien que ce terme ne soit jamais défini et que l’on ne questionne jamais l’intuition de celles et ceux qui croient le posséder. Pourtant on devine ce qui se passe grâce aux théories de Paul Ekman : le bon sens c’est le calme de celui ou celle qui n’est jamais inquiété.e. C’est l’attestation de traductibilité du comportement humain qui vient, comme un passeport, avec la couleur de la peau, la forme du corps, le timbre de la voix.

L’identification de la raison au calme du corps, à un corps que l’on contrôle, que l’on soigne, que l’on blanchit en toute circonstance, respire un relent d’une métaphysique de la Raison qui disqualifie le discours sur la base du corps qui le prononce. Cette métaphysique du corps abstrait de toute couleur, de toute culture, de toute différence est le ciment de l’argument universaliste employée par les détracteurs des mouvements antiracistes, et il ne dit qu’une chose : nous pouvons tous et toutes appartenir à cette même humanité si vous faites l’effort d’avoir l’air comme nous et de parler comme nous. Or la possibilité d’être disposé au débat public n’est pas le fruit d’un effort personnel. Il y a des critères socio-culturels, de genre, d’ethnie et de neurologie qui permettent non seulement d’accéder au débat public, mais aussi d’y être entendu lors d’un débat contradictoire (et non lors d’une mise à mort médiatique arrangée par des jeux d’interruptions verbales ou de coupures caméras). Et ces critères ne relèvent pas plus de la raison universelle que de la volonté individuelle.

Autrement dit, ce n’est pas parce qu’Assa Traoré a tort qu’elle est peu invitée sur les plateaux TV pas mais l’inverse : c’est parce qu’on ne l’invite pas dans la communauté médiatique du bon sens, dans ce « nous » universaliste, qu’elle a fatalement tort. Une folle, une insensée, tout juste bonne à être contrôlée. La disqualification des corps différents est déjà dans la rhétorique de la raison et du bon sens.

Du contrôle de police individuel à la publicité médiatique en passant par les tribunaux, il existe une sociologie de la raison, et cette sociologie de la raison joue en défaveur des corps précaires, noirs, fous, pauvres, femmes, de tous ces corps qui ne peuvent cacher leur différence – « avoir raison », « être dans le bon sens » n’a rien à voir avec le fait de dire quelque chose de vrai ou de juste. La justice donne systématiquement raison à des meurtriers parce qu’ils sont situés à un endroit de la hiérarchie civile où les textes de lois, les interprétants de la loi et l’esthétique politique du corps idéal (sans couleur, sans pathologie et sans dette) sont de leur côté. Avoir raison relève de la loi. Cette loi prévoit que certains corps appartiennent, de facto, avec leur 7 émotions et leur 43 muscles faciaux, au modèle des pseudo-sciences comportementalistes garantes du bon sens, et naissent dès lors au beau milieu de la raison. Tandis que d’autres naissent au beau milieu de la déraison, dans l’excited delirium de la diversité humaine.

Excited delirium

Excited delirium

Autour du corps idéalement dessiné par les théories comportementalistes et enseigné aux agents de police comme des mesures objectives du comportement humain – autour de ce cercle, il y a les égarés, les errants. On y flippe à cause de la police, on y flippe à cause de ce bon sens impossible. On n’y flippe pas à cause des logiciels bidons d’IBM mais parce qu’avant toute reconnaissance technologique les humains se comportent d’ores et déjà comme des drones. Un premier cercle concentrique dessine les corps mâles blancs aux yeux clairs mais un peu étrange : il est malvoyant donc il marche bizarrement, il est sourd donc il ne s’arrête pas lorsque la police le somme de s’arrêter, il est autiste et il est pris de panique lorsqu’on l’encercle. Il peut s’en sortir, mais déjà il est suspect. Et encore ce n’est pas sûr. En 2011, un homme autiste de 48 ans est assassiné par la police lors d’une interpellation à Marseille – même scénario, comportement suspect, son corps ne veut rien dire, museler le corps, « I can’t breath », pression au sol pendant 10 minutes, asphyxie.

A l’autre extrémité, le dernier cercle concentrique, le plus étouffant, le plus délirant. Il y a ce corps noir arrêté par la police d’Alameda le 9 Juin 2020, pour avoir commis le crime de la danse. Il y a le corps noir avec un handicap non visible. Il ne peut pas marcher dans la rue sans qu’on lui demande ses papiers, il ne peut pas les sortir. Il n’a pas le luxe d’être agoraphobe ou sévèrement anxieux – il n’a pas le luxe d’être reconnu handicapé, et de défendre son handicap, et pourtant la nature en a décidé autrement : face à la police, il est foutu.

Ce corps c’est celui de Natasha McKena.

Le 3 Février 2015, Natasha Mckena une femme noire américaine de 37 ans diagnostiquée schizophrène et bipolaire est assassinée par une équipe de 6 officiers de police du comté de Fairfax alors qu’ils tentaient de l’extraire de sa cellule lors d’un transfert entre deux maisons de détention. 2 officiers de police ouvrent la porte, 4 officiers en combinaison intégrale étanche tentent de maîtriser son corps nu en menottant ses poignets et en ligotant ses jambes. Natasha supplie qu’on ne la tue pas. Elle sait qu’on est venu pour ça. Elle a toute sa tête. Le quatrième coup de taser aura raison de son système cardio-vasculaire.

Raison du décès sur le rapport de police : excited delirium.

La notion d’excited delirium (délire aigu) est un élément de langage tiré du vocabulaire psychiatrique et désignant une bouffée délirante caractérisée par des symptômes physiologiques sévères (tremblements, confusion, hyperthermie, hyperventilation) pouvant entraîner la mort. L’excited delirium n’est ni reconnu par l’American Medical Association (Association médicale américaine) ni reconnu par le système de classification internationale des maladies (ICD). Natasha est morte d’avoir un corps insensé et impensé

Excited delirium aux Etats-Unis, comportement suspect en France, les noirs assassinés d’une maladie imaginaire. La contre-expertise de juillet 2017 après la mort d’Adama Traoré laissait planer le mystère, selon les mots du procureur de la République de Pontoise, Yves Jarnier, d’une « maladie très très grave » qui hantait le corps d’Adama. Derrière la panoplie de réouvertures de dossiers et de contre-expertises persiste une suspicion malsaine pour le corps différent entérinée par l’idée, tirée des théories comportementales, que le corps différent est nécessairement menteur.   

Plus l’on s’éloigne du corps idéal dessiné par ces théories, plus nous nous rapprochons des corps délirants. Et nous sommes en cercle concentrique autour d’elles, d’eux. Nous les protégeons physiquement car notre exposition à l’injustice du comportement suspect est plus faible, et que nous pouvons faire barrage, mais nous nous en rapprochons aussi, nous l’embrassons de plus en plus. La liberté d’interprétation des comportements suspects réserve à une élite de plus en plus restreinte le droit de circuler sans devoir supporter l’épée de Damoclès de la folie, de l’auto-contrôle et de la peur. Le flicage idéologique et administrativement réglé de la différence physique et comportementale agit au niveau de situations interpersonnelles flagrantes (le contrôle de police, la décision de justice etc.) mais aussi au niveau personnel et intime dans le rapport de soi à soi par le vecteur du « bon sens ». Être antiraciste c’est d’ores et déjà s’insurger contre l’appel de la raison et de ce « bon sens » et comprendre la structure et les outils socio-politiques garants de l’idéologie du bon sens. C’est s’insurger contre la prolifération des méthodes d’analyse comportementale à l’ensemble de la vie publique et privée, savante et profane, du contrôle de police à la méthode d’animation de nos images. C’est s’insurger contre la norme meurtrière qui monte des mots comme de ces drones au visage humain. L’antiracisme, c’est aussi percevoir, derrière des formulations pleines de bon sens, derrière l’idée même du « bon sens » et de sa norme, les processus scientifiques et policiers de contrôle, de classification et de mise à mort des corps différents.


Lucas Aloyse Fritz est chercheur en théorie de l’information et en anthropologie. Rédacteur pour le blog Médiapart Aloyse.

Excited delirium
  1. Le Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité Nationale coordonne d’un côté les politiques interministérielles liées aux questions de sécurité nationale, et de l’autre il transmet les décisions en matière de sécurité à la population à travers divers organismes.
  2. La bleach therapy, thérapie par l’eau de javel, a une longue histoire au sein des pseudos-médecines et pseudo-sciences. Celle-ci permettrait de guérir tour à tour de l’alcoolisme, de l’autisme, de l’eczéma et même du coronavirus par administration ou onction d’eau de javel. Un médicament à base de javel a même été commercialisé aux Etats-Unis sous le nom de Miracle Mineral Supplement (supplément minéral miracle), avant que la recette ne soit reprise sur divers blogs et forum.
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