Élections andines : Cap à droite en Équateur, le Pérou à la croisée des chemins

Dimanche 11 avril, des élections présidentielles se sont tenues en Équateur (deuxième tour) et au Pérou (premier tour), dans le contexte de la pandémie de coronavirus qui touche le monde entier et atteint des records dans ces deux pays. Elles ont été marquées par un fort taux de vote blanc (le vote étant obligatoire) qui reflète la défiance de la population vis-à-vis des manoeuvres politiciennes, de la corruption et du fonctionnement de la démocratie représentative. Malgré cette défiance, l’Équateur opère un cap à droite avec l’élection au deuxième tour du candidat conservateur Lasso, tandis que le Pérou verra s’opposer au deuxième tour une figure de la gauche radicale face à Keiko Fujimori, fille du dictateur Alberto Fujimori, qui brigue le poste présidentiel depuis plusieurs années déjà, symbole du népotisme le plus grossier.

Équateur

En Équateur, c’est finalement Guillermo Lasso, ex-banquier soixantenaire, aligné sur les intérêts de l’oligarchie capitaliste nationale et nord-américaine, qui remporte ce deuxième tour, alors qu’il ne rassemblait qu’environ 20% des voix au premier tour.

Andrés Arauz, qui s’inscrivait dans la lignée de Rafael Correa, n’en est pas sorti vainqueur, malgré son avance au premier tour (environ 33%). Cela s’explique notamment par la contestation d’une partie des couches populaires vis-à-vis de l’héritage de Correa, qui s’est exprimée à travers le vote blanc. De son côté, le candidat de la CONAIE, la Confédération des nations indigènes de l’Équateur, Yaku Pérez, qui n’a pas atteint le second tour, avait largement fait campagne autour d’une opposition à la ligne corréiste en portant une voix qualifiée d’« écosocialiste ». Néanmoins, l’aspect « socialiste » du candidat indigène est aussi considéré par certains – dans des versions plus ou moins sérieuses – comme principalement marketing : ce dernier ayant en effet encouragé les tentatives (ou réussites) de coups d’État de droite soutenus par les États-Unis, en Bolivie, au Brésil, au Nicaragua et au Venezuela, et étant victime soupçonnée (plus ou moins consentante) d’instrumentalisation par le gouvernement américain et les firmes privées nationales et étrangères.

Pour expliquer cette division de la gauche équatorienne, il faut sans doute revenir sur les critiques importantes de l’ancien président socialiste latino-américain (tout comme c’est le cas de Morales en Bolivie) par sa propre base électorale, surtout composée des classes populaires. Cela s’est joué autour de deux axes principaux :

– un éloignement de plus en plus prononcé des considérations écologiques, manifesté notamment par l’accroissement des politiques extractivistes (sur lesquelles se sont largement appuyées les réductions de la pauvreté dans le pays), associé à une indifférence progressive vis-à-vis des revendications indigènes locales.

– des tendances de plus en plus autoritaires, notamment en matière de répression des mouvements sociaux (et notamment des mouvements indigènes), dont le candidat malheureux « écosocialiste » Yaku Pérez a d’ailleurs fait les frais puisqu’il a été incarcéré à quatre reprises.

Suite à cette vague de contestation dont la légitimité doit être reconnue, il faut rappeler que Correa (tout comme Morales) avait été soumis à une interdiction de se représenter, orchestrée par l’opposition, à travers l’instrumentalisation de l’institution judiciaire (via des accusations plus ou moins floues de corruption « passive »), opération qualifiée par certains de coup d’État, dans la lignée de ce qui a pu se passer au Brésil avec Lula.

Néanmoins, malgré toutes ces contradictions, il va de soi que le maintien au pouvoir de figures néolibérales dans la lignée de Lenin Moreno n’augure rien de bon. En plus d’être encore moins soucieux d’écologie, des peuples indigènes ou de la rue, le président équatorien sortant, et Lasso, désormais en place, s’illustrent par leur absence totale de politiques redistributives, de critique de la dette infligée par le FMI et la Banque Mondiale, ainsi que leur compromission avec les États-Unis (comme en témoigne par exemple le traitement de l’affaire Julian Assange par Moreno).

Pérou

Du côté du Pérou, l’élection a été secouée par des vagues calomnieuses contre la candidate « progressiste » Verónika Mendosza accompagnées d’insultes racistes et méprisantes contre le candidat du parti Perú Libre1 Pedro Castillo, de la part de la bourgeoisie liméenne, gauche et droite confondues (les différences territoriales étant très marquées au Pérou, comme plus généralement en Amérique Latine).

Ce dernier, qui a rencontré un soutien à la croissance vertigineuse puisqu’il a commencé cette campagne électorale avec seulement 3% d’intentions de vote, est désormais candidat au deuxième tour. Le programme de Castillo s’appuie sur la défense des couches populaires et notamment paysannes du pays, ainsi que sur la volonté d’ouvrir un processus constituant, tout en préservant parallèlement un ancrage dans une tradition conservatrice, très partagée dans le pays. Le conservatisme à l’égard des droits des genres minorisés (en particulier sur le mariage homosexuel et l’avortement) est en effet une tendance majoritaire au Pérou, notamment du fait de l’importance de la religion catholique (comme dans la plupart des pays sud-américains).

Le deuxième tour aura lieu le 6 juin et verra le candidat socialiste s’opposer à Keiko Fujimori, fille ultra-libérale et conservatrice du dictateur péruvien Alberto Fujimori, malgré les accusations de corruption et blanchiment d’argent (à un niveau qualifié de crime organisé, passible d’une trentaine d’années de prison) qui pèsent lourdement sur elle. Fujimori n’a reçu que 14% des voix.

Comme c’est d’usage, il semble évident que la bourgeoisie urbaine du Pérou, qu’elle se revendique « progressiste » ou non, fera sans doute bloc autour de la candidate Fujimori, autoritaire et corrompue, pour éviter que le candidat socialiste n’arrive au pouvoir.

  1. Parti qui se revendique mariáteguiste, du nom du penseur marxiste et indigène péruvien José Carlos Mariátegui.
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