Depuis le mois de novembre, à Liège en Belgique, plusieurs manifestations nocturnes ont affirmé une volonté de résister aux mesures répressives, présentées par l’État comme des mesures sanitaires. Le couvre-feu était notamment ciblé, comme symbole d’une politique autoritaire empêchant la construction de solidarités autonomes face au virus. Dans la continuité du travail effectué au sein des Brigades de Solidarité Populaire, mais également dans le prolongement des cortèges émeutiers qui ont traversé l’Italie et plus récemment les Pays-Bas, retour sur ces « cortèges de braise » avec celles et ceux qui les ont initiés.
Plusieurs manifestations contre le couvre-feu se sont tenues à Liège. Pouvez-vous nous expliquer comment est apparue l’idée de s’opposer à cette mesure ? Et plus largement, les caractéristiques de la gestion politico-sanitaire en Belgique qui ont justifié cette réponse.
À Liège, il y a eu tout d’abord le premier confinement. Celui-ci, nous l’avons pour la plupart respecté et on trouvait ça logique de faire attention au début à un virus nouveau. Cependant, on a très vite remarqué que la répression se multipliait dans les quartiers populaires et ensuite un peu partout. De plus en plus de personnes ont eu des difficultés financières, des difficultés d’isolement. Malgré la présence de nombreuses structures et associations à Liège, celles-ci étaient débordées. On a même vu la famille royale nous souhaiter bon courage depuis son parc luxueux de Laeken alors que des familles vivent dans des appartements insalubres. On voit clairement le mépris de classe s’exprimer. De notre côté nous sommes réduits à bosser, consommer et c’est à peu près tout. Les structures culturelles sont fermées et les bars et restaurants aussi. Le couvre-feu est de 22h à 6h du matin ici. Il était de 00h à 05h au début.
Lors du second confinement, il y a eu le suicide d’une coiffeuse, Alysson, qui ne s’en sortait plus. Il nous semblait dès lors important de sortir les colères des foyers, de répandre ces revendications dans la rue et que ces revendications puissent vivre à travers ce cortège. Que cela soit dans le milieu culturel, que ce soit les personnes qui ont des difficultés d’isolement, je pense notamment aux personnes âgées et aux personnes à mobilité réduite, mais aussi toutes les personnes qu’on entend rarement dans les manifs. Comme on dit par ici, « C’est todi les ptits qu’on sprotch » !
La fermeture de l’horéca [Hôtels, Restaurants, Café] et des lieux festifs et culturels ont particulièrement mis à mal la ville la nuit. Les interdictions de rassemblements ont ralenti toute protestation sociale. De nouveaux pouvoirs ont été donnés à la répression et à ses patrouilles (par exemple la possibilité de rentrer dans des lieux privés sur base d’un coup de téléphone, de façon arbitraire). Les « amendes Covid » ont commencé à pleuvoir. Le gouvernement n’a pas pour priorité de lutter efficacement contre le virus, il veut seulement maintenir la possibilité de faire tourner l’économie capitaliste le moins mal possible, quitte à mettre toute la responsabilité de l’épidémie sur le dos des individus « qui ne respectent pas les règles ». Suite au premier cortège, la Ministre de l’Intérieur a déclaré au journal télévisé : « La police sera visible dans les rues. On va faire des contrôles sur le port du masque, sur les rassemblements, sur le couvre-feu… et à domicile ».
Toutes ces mesures ignorent un point essentiel : la « vulnérabilité » n’est pas seulement une donnée médicale (état de santé général, âge), elle est aussi sociale (précarité forcée via la perte d’allocations, le refus de titres de séjours, l’expulsion de logements…). La santé n’est pas non plus qu’une question de virus, mais de santé mentale, d’intégrité physique et psychologique, de liens humains. L’hypocrisie est criante quand on voit des centres commerciaux bondés, alors que certains rassemblements extérieurs ou des visites familiales qui respectent pourtant le bon sens sanitaire sont interdits. Ils ont martelé ce terme de « distanciation sociale », épidémiologiquement incorrect, alors que c’est seulement une distance physique et un respect des autres gestes de bons sens qui est nécessaire pour lutter contre les virus. Cela ne doit pas signifier une absence de vie sociale. Mais leurs prophéties se réalisent à merveille : les distances physiques sont inexistantes ou insuffisantes (dans les transports, entreprises, etc.), alors que la distanciation sociale est presque totale.
Le couvre-feu pénalise et ignore les personnes piégées dans des foyers face à des agressions psychologiques, physiques et/ou sexuelles (principalement les femmes, les enfants et les personnes LGBTQIA+), celles pour qui les charges mentales et physiques sont trop grandes, celles isolées ; les personnes sdf, sans abris, mal-logées, et/ou sans-papiers ; les personnes transmigrantes ; les travailleuses et travailleurs du sexe ; les personnes travaillant dans l’horéca, la culture, les milieux festifs et le commerce nocturne ; les personnes qui mêlent certaines de ces réalités à une situation d’addiction, de toxicomanie ; à des oppressions racistes ; à des troubles et maladies mentales ; les personnes œuvrant dans les lieux d’accueil ou dans la rue, rendues incapables d’assurer leurs missions sociales et/ou solidaires ; toutes celles et ceux qui n’arrivent plus à se projeter.
Le couvre-feu, en tant que mesure sécuritaire, est une étape supplémentaire soi-disant « exceptionnelle », vers l’installation et une acceptation généralisée des pouvoirs répressifs. L’individualisation des responsabilités collectives, la multiplication des mesures liberticides et de surveillance, la répression des initiatives de solidarité auto-organisées, le manque de mesures cohérentes pour lutter contre le virus et la mésinformation à outrance constituent un terreau fertile pour les courants réactionnaires, comme l’extrême droite ou le complotisme, qui instrumentalisent un ras-le-bol généralisé – qui lui est légitime et justifié.
Quand le couvre-feu s’est abattu sur « la cité ardente », c’était comme une goutte de trop, nous avons voulu reprendre en mains notre capacité d’organisation et d’opposition. Et reprendre nos rues, joyeusement, ensemble, en mettant en lumière les situations et personnes les plus impactées par ces « mesures » incohérentes. Nous sommes aussi de ces concerné.es. Nous voulons :
- Visibiliser certaines réalités socio-économiques niées par les autorités et l’accroissement des inégalités, de la violence, qui va avec. Nous récoltons et mettons en avant des témoignages depuis plusieurs mois sous diverses formes (podcast, interview, affichage, openmic…). Nous discutons aussi avec des acteur·ices de terrain pour réfléchir ensemble à la situation et aux mesures sanitaires qui auraient du sens pour nous.
- Mettre en lumière des réponses sanitaires solidaires : établies par les concerné·es, qui prennent en compte leurs besoins et visant à affronter collectivement, véritablement et durablement le(s) virus.
- Dénoncer le couvre-feu comme l’une des mesures sécuritaires qui incarne le déni de ces vécus : il restreint les droits fondamentaux, en justifiant une impression de fausse sécurité renforçant un régime coercitif, de surveillance et de criminalisation, notamment envers les personnes les plus marginalisées et invisibilisées. Il ne s’attaque pas aux réelles causes de contamination et de mortalité, et renforce d’autres injustices et vulnérabilités sociales, parfois mortelles. Comme l’a dit une infirmière lors du premier cortège, dénoncer le couvre-feu et les mesures injustes est aussi une démarche de soin.
- Briser l’isolement, se souvenir que nous ne sommes pas seul·e·s, continuer à s’organiser pour mettre en place des dynamiques d’entraide, de soin et d’autodétermination de nos vies (comme les Brigades de Solidarité Populaires l’ont fait dès le mois d’avril).
Comment se sont déroulées les manifestations, dans le contexte sécuritaire actuel ? À quelle forme de répression ont-elles été confrontées ?
Lors de la première manifestation qui n’était pas annoncée sur les réseaux sociaux, nous étions au moins 150, juste avec le bouche-à-oreille (et les chaînes SMS, Signal…). Ça s’est super bien passé, la Police n’était pas au courant et donc pas présente (malgré une présence discrète selon ses dires). Les personnes témoins du cortège étaient en liesse sur leurs balcons (même si des petits bourgeois nous ont craché dessus à un moment). On se hurlait du soutien, on déposait des tracts aux portes pour expliquer pourquoi on brûlait leur couvre-feu. Les prises de paroles devant la maison communale ont été nombreuses, avec aussi bien une infirmière, une personne sans abri, une personne porteuse de handicap, une travailleuse précaire… C’était limpide et beau : ça répondait vivement à un besoin social (vidéo à voir ici).
Il n’y a jamais eu de demande d’autorisation. Au-delà du droit fondamental et constitutionnel à se rassembler, à manifester, que les communes en Belgique n’auraient jamais dû limiter par leurs demandes d’autorisation systématiques, nous n’avons pas besoin de son aval pour exister et nous exprimer dans les espaces publics. Il est contradictoire de demander à un pouvoir l’autorisation de le contester. Liège est une ville soi-disant socialiste, depuis très longtemps. Elle a une gestion policière pacificatrice envers les mouvements sociaux et les militant·es organisé·es (pas envers les « indésirables » bien sûr). Nous savions que la donne allait changer si nous faisions ces cortèges, mais cela reste bien un choix du pouvoir de se crisper et d’aller à la confrontation.
Après cette première manif sauvage, une petite dizaine de personnes, identifiées sur les réseaux sociaux (notamment via un live facebook) ou par les caméras de la ville, ont été convoquées pour ce qu’ils appellent des « troubles à la santé publique » : « non-respect du port du masque », « non-respect de l’interdiction de rassemblement » et « non-respect de l’interdiction des déplacements non essentiels entre 22H et 6H ». Cette même police est allée jusqu’à faire des visites aux domiciles de ces personnes, à une vitesse qu’on avait rarement vue, en essayant de les emmener directement pour interrogatoires (entendez, sans avocat·e).
Un second appel « à rallumer nos feux »a été lancé le 17 novembre et invitait – publiquement cette fois – à un cortège auquel plus de 700 personnes ont répondu. C’était organique de s’enflammer à autant. Pourtant c’était pas évident de rejoindre le lieu à 21h, des gens ont flippé de l’arsenal de robocops sur la place Saint Lambert. Mais fallait entendre la batucada, voir les cracheur·euses de feu, sentir la foule qui traverse la ville morte, ne plus être seul·e et regarder toutes les couleurs qui s’enjaillaient de cette nuit particulière. Il s’est vraiment passé un truc fort et chaud ce soir-là à Liège (voir la vidéo ici).
Et puis à 22h, ça a commencé à ressembler à Bruxelles. Nous avons été nassés à plusieurs centaines sur un pont, par les fédéraux en armes [les CRS belges] et deux autopompes. Dès le début de la manif’, il n’y avait des lumières bleues plein la ville, mais ils n’ont pas réussi à empêcher le départ des centaines de personnes qui n’attendaient que ça. Beaucoup n’étaient pas des habitués des manifs et au début certains criaient « la Police avec nous » avant de se rendre compte que la Police n’était pas là pour sauver la veuve et l’orphelin. Suite à cela, de nombreuses personnes ont été prises en photos et identifiées par la Police (entre 350 et 400 selon leurs dires). Une cinquantaine a été arrêtée car elle refusait de sortir volontairement de la nasse. Il y a eu des tentatives d’humiliation, notamment cette personne qu’ils n’ont pas laissé aller aux toilettes. Elle s’est urinée dessus et un des flics a cru malin de prendre des photos avec son téléphone perso. Ou encore cette personne à vélo – qui n’avait pas participé à la manif – et qui s’est faite tabasser, arrêter et qui aujourd’hui attend son procès.
Le bourgmestre de Liège a annoncé publiquement qu’ils avaient choisi une stratégie « de désescalade » pour justifier leur absence sur le premier cortège. Qu’il avait fallu ne pas intervenir parce que « certain.es d’entre nous n’attendaient que ça pour en découdre ». En outre, il cache ses responsabilités et s’en réfère au fédéral pour tenter de « couvrir » la répression et les moyens totalement disproportionnés mobilisés pour le second cortège.
La troisième manifestation a été fortement réprimée, de manière préventive principalement. La Police était déjà présente en masse sur la Place sur laquelle le rendez-vous avait lieu. Elle contrôlait toutes les entrées (jusqu’à des flics en civil dans le bois le plus proche) et diffusait un message selon lequel cette manifestation était interdite. Elle a harcelé des personnes dans les rues alentour sur base du faciès pour les dissuader d’aller plus loin. Elle en a embarqué préventivement et aussi à la fin du cortège.
Ces interventions – et l’acharnement policier-judiciaire qui va suivre – s’inscrivent dans une récente augmentation de la pression policière sur les mouvements sociaux à Liège. Elles s’inscrivent aussi dans un contexte où le virus est utilisé comme prétexte pour interdire et réprimer tout un tas de mobilisations nécessaires, avec une tolérance particulière envers les actions et rassemblements d’extrême droite (surtout en Flandres et à Bruxelles). Heureusement la solidarité est au rendez-vous et ces réactions pourraient leur faire regretter la répression.
Quels types de groupes et de personnes ont été mobilisés par l’initiative à ses débuts, et ensuite lors des manifestations ? L’annonce d’une opposition à ce qui est présenté comme des « mesures sanitaires » a-t-elle suscité des doutes, fait naître des contradictions ?
Avant tout, le cortège a réuni les personnes qui se confrontent le plus au couvre-feu, n’ayant plus accès à des lieux collectifs. La moyenne d’âge correspondait à cette tranche active la nuit. Beaucoup de personnes de milieux de gauche, réactifs à cette dimension subversive. Des artistes qui l’ont rendu si beau. Des acteur·ices de terrain. Des personnes aux réalités socio-économiques marginalisées, comme des personnes SDF ou sans-papiers. Des personnes devenues incapables d’exercer leurs activités, comme des forains. Le deuxième cortège était encore plus hétéroclite, avec entre autres un échantillon incroyable de professions indépendantes. Beaucoup de personnel horéca était présent, énormément d’étudiant·es. Il y avait des plus jeunes et des plus âgés qu’au premier cortège, et encore plus d’artistes. Le personnel des soins de santé était présent, avec le collectif la Santé en lutte, mais aussi la Brigade de Solidarité Populaire de Liège. C’était assez incroyable de voir que ce monde peut contester ensemble.
Puisque l’appel était public – et malgré les nombreuses clarifications dans le texte d’invitation – il y avait évidemment une présence de personnes touchées par les discours confusionnistes. Mais nous n’avons pas vu de groupe organisé, ni de tentatives de récupération (à part certaines, pitoyables, bien au chaud sur Internet, de personnes qui n’étaient même pas présentes). Sûrement qu’on n’était pas forcément tous·tes d’accord sur les causes et nos perspectives, mais on s’est accordé sur le besoin d’exprimer un refus de la situation actuelle en marchant ensemble. Et certaines ont pu échanger leurs points de vue.
Une partie des médias nous ont diffamé après le premier cortège, en copiant/collant le message qu’ils avaient reçu de la police, laquelle prétendait qu’il s’agissait d’un cortège « contre les mesures prises contre le coronavirus ». Mais la plupart ont corrigé le tir après ce deuxième cortège. Les retours reçus du monde militant et associatif étaient soit des remerciements plus que chaleureux soit un silence gêné. Nous avons ouvert une brèche, pour toutes les personnes qui refusent la fausse opposition santé VS social que l’État tente d’imposer à nos corps, à nos vies et à nos organisations.
Comment s’est joué la réponse à ceux qui ont voulu caricaturer le mouvement et le ranger parmi des formes de complotisme ou de déni ? De votre côté, vous parlez de l’importance de « s’approprier le virus » plutôt que d’accepter l’autoritarisme ?
La réponse à celles et ceux qui ont voulu caricaturer le mouvement en mouvement complotiste était de bien dire que nous n’étions pas contre des mesures sanitaires, mais que celles-ci devaient être solidaires. C’est à dire avec un soutien aux personnes en difficultés. Lors du second cortège, il y a eu une présence de personnes proches de QAnon. Dans notre ville, ce mouvement tente de surfer sur les questionnements légitimes de nombreuses personnes afin d’imposer son discours fascisant. La colère est légitime, les questionnements aussi. C’est dans ces périodes qu’il est très dangereux de laisser, selon nous, ces discours apparaître sans réagir. C’est peut-être notre communication, ce que nous avons décidé de mettre en avant, la nature de nos alliances, et le mot d’ordre – « Contre le couvre-feu, Pour des mesures sanitaires solidaires » – qui ont fait une différence, mais finalement il y a eu peu de tentatives de caricatures.
Bien sûr il y a eu des gens pour dire que ces rassemblements étaient inconsidérés dans le contexte actuel, et même pour souhaiter que nos proches en tombent malades (dont un membre du MR, l’équivalent de LR, auquel nous avons répondu). Pourtant, force est de constater que la majorité des participant.es étaient masqués, des masques étaient distribués, des propositions de mesures sanitaires solidaires discutées et puis tout simplement les rues sont larges et aérées, tant qu’on n’est pas nassé.es par la police. Il y a surtout eu beaucoup de gens pour faire des retours sur l’effet thérapeutique de ces mobilisations. Franchement, ça faisait trop du bien cette puissance organique et collective. On a besoin de ces moments fédérateurs pour continuer à affronter les réalités auxquelles chacun·e fait face. Et on peut le faire en faisant attention les un·es aux autres.
Ce que nous appelons « s’approprier le virus » c’est refuser de tomber dans le piège tendu par le pouvoir : on aurait le choix entre obéir ou ne pas prendre au sérieux le virus. Pour nous, au contraire, prendre au sérieux le virus nous amène forcément à désobéir aux mesures incohérentes et hypocrites de ce gouvernement. Ce que nous appelons « s’approprier le virus » c’est questionner ces mesures étatiques et réfléchir par nous-mêmes à ce qui devrait être mis en place pour lutter véritablement et de manière juste contre le(s) virus. Lors du premier cortège, nous citions ces exemples issus des mouvements sociaux qu’on côtoie : « Presque pas d’embauches, de formations ni d’amélioration des conditions de travail dans les secteurs de la santé et du travail social notamment ; peu de contrôles (et encore moins de sanctions) pour les grandes entreprises qui refusent de protéger leurs travailleuses·eurs ; pas d’implication du terrain dans les décisions ; pas d’investissement massif pour adapter certains foyers de contaminations (écoles, lieux culturels, etc.) ; très peu de réquisitions de logements vides ; trop peu de soutien pour les personnes et petit·es indépendant·es dans la merde (santé mentale, annulations de factures, de dettes, de loyers) ; pas d’augmentation significative de l’offre de transports en commun, de la capacité de tests, du nombre de profs pour réduire la quantité d’élèves par classe, etc… »
En quoi vous semble-t-il possible de donner une suite politique et organisationnelle à ce mouvement ? En quoi cela peut-il ouvrir des perspectives ? Avec quelles limites ?
La suite politique se prépare déjà. L’ouverture de lieux en autogestion est selon nous une réponse nécessaire à la crise qui vient. On en voit déjà les prémices avec la fermeture de bars, restaurants et les grosses difficultés de certains théâtres indépendants ici à Liège. Beaucoup de personnes sont en difficulté et il va falloir travailler à la création de liens entre ces personnes en difficulté mais avec un discours et un projet derrière. Dire qu’il y a des problèmes, c’est bien et je pense que tout le monde en a conscience. Mais si c’est pour avoir des structures qui restent très pyramidales comme beaucoup le sont, ce n’est pas intéressant. L’entraide est une perspective qui nous semble très importante dans ces moments. On le voit avec les infirmières de rue. Elles viennent de créer Smile, pour Service Mobile Infirmier liégeois, une association qui œuvrera à une prise en charge de leur santé globale.
Il y a plus de 3000 logements vides dans le grand Liège et cela fait des années que ces bâtiments sont vides et qu’on en fait rien. Ce sont des choix politiques, à Liège comme ailleurs, qui préfèrent mettre des millions d’euros afin de rénover et gentrifier des quartiers plutôt que de réquisitionner des logements vides, qui sont parfois à l’abandon depuis plus de dix ans afin de reloger les personnes qui sont en grandes difficulté. Mais il n’y a pas que les personnes à la rue. Il y a également toutes ces personnes qui vivent dans des logements insalubres avec un propriétaire qui se fout de savoir si les locataires sont en bonne santé tant qu’il a son argent à la fin du mois.
Le développement des Brigades a déjà bien aidé, à notre échelle, au développement d’un esprit d’entraide chez pas mal de personnes. Le logement et la nourriture sont les premières choses à se réapproprier afin de construire quelque chose d’organisé. Les limites, c’est justement ne pas retomber dans des travers qu’il y a pu avoir ici à Liège. L’entre-soi militant, la peur des personnes qui ne pensent pas comme nous, qui n’ont pas la même situation. C’est un gros travail, mais la création de lieu ouverts à toutes et tous dans une dynamique d’entraide va permettre la rencontre et la création de liens qui se sont perdus avec le confinement.
Quelles sont les perspectives ? Se « confiner » tous les trois mois ? Attendre passivement les annonces de nouvelles « mesures » à la télé et une troisième vague sans broncher ? Regarder prospérer le complotisme sans réagir ? Voir peu à peu les moments et possibilités de relations humaines et sociales se dégrader au profit de relations strictement commerciales ? La question n’est pas de savoir si les mesures sont trop strictes ou pas assez strictes, mais de se demander dans quels objectifs elles sont prises, en épargnant qui et dans l’optique de sauver quoi.
Le vaccin arrive, mais avec beaucoup de retard. Et après ? Est-ce que le couvre-feu va disparaître ? Est-ce que la répression disparaitra ? Pas si sûr… Nous pensons que l’état va en profiter afin de généraliser la surveillance par drones, une pratique qui s’est beaucoup développée durant le confinement. Les entreprises qui développent ce matériel de répression sont en vogue et le business de la répression est de plus en plus présent à Liège, notamment avec l’achat de lanceur de lacrymos. Nous réclamons plus de moyens pour les hôpitaux et moins pour la Police et sa répression raciste.
On n’a pas non plus besoin qu’on nous remette « l’église au milieu du village », comme le disait Beaupère, le chef de la police de Liège. Au milieu du village, ce dont on a besoin c’est de pouvoir nous réunir, dans un espace public, inclusif, aéré, en s’y sentant en sécurité. Ce dont on a besoin, c’est d’y améliorer collectivement nos conditions de vie, de nous rencontrer et de nous organiser. C’est de pouvoir prendre soin les un·es des autres et surtout des personnes aux réalités socio-économiques les plus précaires ou les plus abandonnées voir attaquées par vos mesures. C’est de pouvoir nous opposer aux décisions qui sont prises quand elles sont injustes, inégalitaires et inefficaces. C’est de pouvoir occuper le milieu du village en exprimant notre colère et nos désaccords face à la manière dont ils font régner leur vision de l’ordre social.
Contre la répression, nous revendiquons une amnistie globale pour toutes les personnes poursuivies pour manifestation « illégale ». L’abandon de toutes les poursuites judiciaires, pénales et administratives envers toutes les manifestations et rassemblements de la contestation sociale.
DES BRAISES INVITENT :
- Aux prochains cortèges qui ne manqueront pas de survenir.
- À suivre l’actualité des actions et communications de braises ici : https://mobilizon.fr/@braises.
- À nous envoyer vos témoignages.
- À s’intéresser aux réalités des personnes invisiblisées.
- À lutter pour de réelles mesures sanitaires solidaires.
- À soutenir les revendications et les mobilisations des secteurs du soin et acteur·ices de terrain.
- À s’intéresser aux initiatives de lutte et de solidarité qui existent près de chez soi et à voir comment les soutenir, à sortir sur le pas de sa porte à 22H, à se réunir sur les places et parcs publics de nos quartiers et à partager de la chaleur, à briser l’isolement, à rallumer nos feux.
Des braises de Liège…