Confiné.e.s dans la métropole : guide de lecture

Pour nombre d’entre nous, le confinement est un moment opportun pour retrouver le plaisir du temps long. Ce temps que nous avons l’habitude de nous faire voler par le rythme effréné de l’organisation sociale de la vie métropolitaine. Ce temps précieux que le capital nous dérobe.

« Restez chez vous. […] Lisez. » s’exclame Macron. Eh bien oui, nous allons lire. Non par oisiveté ou par légèreté, mais pour s’armer, préparer le temps d’après, celui de l’action, et pour développer notre pensée critique à l’égard de son gouvernement et des suivants.

Nous vous proposons une sélection de livres, de registres divers, que nous avons aimés, et disponibles gratuitement en ligne.

Silvia Federici, Caliban et la sorcière, éditions Entremonde, 2017.

Dans ce livre rapidement devenu classique, Silvia Federici nous livre un récit historique de la mise en place du capitalisme patriarcal. Elle montre comment les processus d’accumulation primitive et de privatisation des communs se sont appuyés sur une répression spécifique, d’une part des femmes (donnant lieu aux larges campagnes de « chasse aux sorcières » qui firent des centaines de milliers de victimes), d’autre part des habitant·e·s des territoires colonisés. La constitution de la figure de la « ménagère » (en opposition à celle de la sorcière), pivot de la reproduction de la force de travail sous forme de travail domestique gratuit, prend ainsi tout son sens comme outil de discipline de la classe ouvrière.

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Françoise Vergès, Un Féminisme décolonial, éditions La Fabrique, 2019.

Face au « féminisme civilisationnel » qui défend principalement les intérêts des femmes occidentales et de classe moyenne, Françoise Vergès oppose un « féminisme décolonial », anti-impérialiste et anti-capitaliste, un féminisme qui part des luttes et des priorités des femmes sans qui le capitalisme ne saurait pourtant se maintenir : celles issues des peuples opprimés par le colonialisme, celles qui nettoient jour après jour nos intérieurs, gares et bureaux, ou encore celles qui s’occupent de nos aîné·e·s. Ce faisant, c’est aussi une autre histoire du féminisme français hégémonique qu’elle nous livre, une histoire critique, qui n’oublie pas les complicités de ce féminisme avec les politiques coloniales occidentales.

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Mathieu Rigouste, Le Théorème de la hoggra. Histoires et légendes de la guerre sociale, éditions BboyKonsian, 2011.

Un livre explosif dans lequel Mathieu Rigouste s’attache à introduire des savoirs d’autodéfense provenant de ses recherches sur la contre-insurrection, la domination policière et les résistances. Dans une histoire à la fois contemporaine et éternelle de lutte contre l’oppression coloniale qui n’a jamais cessé dans sa forme de guerre sociale.

Un roman comme une poudrière mystique qui raconte l’autodéfense populaire dans les quartiers du ghetto français, qui raconte la lutte et les résistances qui ne meurent jamais. Avec le souffle, l’énergie, la fierté de V., personnage central et prophétique, qui diffuse dans tout le livre et qui cimente toutes les cavités des corps dignes : « V. raconte le retour des lynx, l’enragement des meutes, les prémices de la constitution des révoltés en révolutionnaires. Elle est vengeance et volonté, vie et vecteur de vérité. […] V. est ce qui laisse malencontreusement les portes ouvertes au bon moment. V. n’a pas de corps, mais elle est bien réelle et ne cesse jamais d’exister. V. récolte et échange les rêves de revanche des partisans torturés. Elle sème la pulsion de mort qui suinte des chairs châtiées. »

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Mark Ficher, Le Réalisme capitaliste, éditions Entremonde, 2018.

Peu de livres marxistes font une place aussi importante à l’imagination en politique que Le Réalisme capitaliste de Mark Fisher. Ce livre est un réel plaidoyer contre le cynisme et la défaite qui trop souvent traversent nos réflexions, y compris parfois celles qui fondent nos politiques révolutionnaires. Le pari de ce petit livre de Fisher est de nous convaincre que c’est le néolibéralisme qui a fini par nous plonger corps et esprit dans ces idées et attitudes cyniques et déprimantes – ce qu’il appelle justement le « réalisme capitaliste », ce There Is No Alternative. Cette idée qu’il est désormais plus facile d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme. Il s’agit ici d’un parcours critique qui nous mène des analyses de la science-fiction, de l’art, de l’école, de la bureaucratie à la santé mentale. Mais il s’agit surtout d’une proposition positive pour construire une nouvelle conscience de classe qui se fonde autant sur la critique de l’existant que sur l’imagination de ce qui pourra être, pour faire advenir un monde non capitaliste, celui-ci étant largement toxique pour nos vies.

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Michael Cetewayo Tabor, Capitalisme + Came = Génocide (Brochure). Publié et traduit pour la deuxième édition par Premiers Matins de Novembre et le collectif Angles Morts en 2016.

En 1969, l’ex-toxicomane et membre du Black Panther Party, Michael Cetewayo Tabor écrivait « Capitalisme + Came = Génocide », un texte devenu depuis lors incontournable sur les ravages de la drogue, en particulier de l’héroïne, dans les ghettos noirs de New York.  En 2015, nous avions publié une première édition de ce texte, inédit en France et relativement oublié même outre-Atlantique, accompagné d’une préface de Mathieu Rigouste. L’intérêt provoqué par la redécouverte de ce texte a conduit des compas mexicains à le rééditer, en y ajoutant quelques nouveaux éléments sur la lutte menée durant ces années-là à New-York contre le fléau de l’héroïne, notamment au sein de la communauté portoricaine. Au vu de la déferlante des drogues industrielles un peu partout dans le monde, et à l’heure où l’argent qu’elles génèrent graisse l’ensemble des rouages sociaux et économiques, les réflexions qui ont traversé les mouvements révolutionnaires portoricains et afro-américains dans les années soixante et soixante-dix restent plus que jamais d’actualité. 

C’est la raison de cette deuxième édition : réfléchir de nouveau sur cette contre-insurrection cachée, et pouvoir tirer du passé quelques outils pour comprendre et affronter la situation actuelle, en se réappropriant notamment les savoir-faire et les usages nécessaires à l’émancipation de nos corps et de nos esprits. Que ces textes, réunis au gré des amitiés et des solidarités internationales, puissent susciter de nouvelles idées et s’enrichir de nouveaux partages.

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Renato Curcio, Alberto Franceschini, Gouttes de soleil dans la cité des spectres. Publié en 1982 et traduit par le site lesmaterialistes.com.

Document publié en 1983 et écrit en prison par Renato Curcio et Alberto Franceschini, deux des fondateurs des Brigades Rouges. Ce texte reflète les positions du Parti-Guérilla qui, au moment de l’éclatement des BR, en a représenté la scission « mouvementiste », issue de la colonne napolitaine et du Front des Prisons. On y trouve des thèmes faisant écho au mouvement de 1977, tels que « la métropole comme usine totale », qui désigne le passage de la domination formelle à la domination absolue du capital sur tous les aspects de la vie sociale, au-delà de la seule sphère productive. « Dans la domination réelle totale, il n’y a plus aucun endroit où l’ouvrier puisse entamer sa propre vie, parce que ce qu’il y a partout, c’est la vie du capital. L’antagonisme prolétariat-bourgeoisie est à ce moment, objectivement, antagonisme social total : non plus contre un aspect ou quelques aspects, mais contre la totalité de la formation sociale capitaliste ». L’intérêt du texte réside justement pour nous dans une tentative de théorisation de la métropole comme espace central de l’antagonisme de classe à l’époque contemporaine. La métropole est le lieu de l’indistinction entre valorisation productive de la force de travail et planification des consciences, des subjectivités, « usine idéologique », soutenue par des flux sémiotiques permanents. Elle est ce « désert peuplé de spectres, lieu de l’aliénation totale et de la révolte radicale ».

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