Biden, une colombe ?

Le nouveau président Biden fait les yeux doux aux États de l’Union européenne qui avaient d’ailleurs souhaité son élection, et qui l’ont invité à assister à leur dernière réunion du Conseil (on se croirait au temps du plan Marshall !). La presse ouest-européenne est sous le charme, toujours prompte à vouloir être bercée par l’oncle Sam. Une tendre colombe occuperait désormais la Maison Blanche. Mais son ramage se rapporte-t-il à son plumage ?

Le candidat Biden affichait pourtant clairement la nécessité du leadership états-unien sur le monde, avec un nouveau slogan : « l’exemple de la puissance et la puissance de l’exemple ». Le fond est toujours le même : pour échapper au chaos, le monde devrait se soumettre à l’hégémonie d’une superpuissance. Et il est préférable que ce soient les USA qui assument cette généreuse fonction, plutôt qu’un autre pays – entendez : la Chine, le cauchemar de la Maison Blanche.

Biden s’est entouré des pires va-t-en-guerre des équipes précédentes. Il est soutenu par Hillary Clinton et Colin Powell ainsi que par une bonne partie de l’ancien staff de Georges Bush. Et aussi par Madeleine Albright qui reste très active, et dont il a nommé une protégée, Samantha Power, à la tête de l’US Aid (avec un budget dépassant les 20 mds $ de dollars), en référence à ses théories sur l’ingérence humanitaire (le prélude à toute agression).

Le complexe militaro-industriel a ainsi choisi son homme. Les fabricants d’armes ont davantage financé la campagne de Biden que celle de Trump. L’un des principaux donateurs, le fond spéculatif Palmora Partners, est très présent dans le groupe Raytheon (troisième producteur d’armes aux USA, un des principaux fournisseurs de l’Arabie Saoudite). Selon une bonne vieille tradition outre-Atlantique, Biden a nommé comme secrétaire à la Défense un membre du conseil d’administration de ce groupe, Lloyd Austin, qui a fait ses armes en Irak en 2003 puis en Afghanistan.

Le numéro de charme de Biden dissimule mal la volonté d’embrigader l’Union européenne dans la campagne contre la Chine et la Russie, alors que les points de désaccords se multiplient (notamment avec l’Allemagne). Mésentente sur l’Iran par exemple, que Biden veut maintenir sous embargo et sous la menace. Pressions renouvelées pour empêcher l’aboutissement du deuxième gazoduc reliant la Russie à l’Allemagne (Nord Stream2). Poutine traité de « tueur » – ce n’est en soi pas gênant pour Biden, qui s’y connaît et a tant d’amis dans la catégorie, mais le but est d’entraver tout rapprochement entre l’UE, et en particulier, l’Allemagne, et son voisin de l’Est.

Les tensions ne feront que s’exacerber, car les USA ne savent pas faire autrement que de jouer solo. L’exemple afghan est à cet égard emblématique. Le 18 mars, les États-Unis ont organisé à Moscou (donc chez « le tueur ») une conférence pour régler le sort de l’Afghanistan, dans le plus pur style colonial, où la Chine était conviée, mais pas l’Union européenne. Fin de l’eurocentrisme, camarades, il faudra vous y faire !

Des tensions entourent le retrait des troupes US (qui ne représentent qu’un quart des contingents), mais qui mènent la danse au plan logistique. L’Allemagne n’a pas digéré la signature de l’accord de paix exclusif entre les États-Unis et les Talibans, elle qui a 1500 soldats sur le terrain, précisément convoqués pour chasser ces mêmes Talibans…

Trump semblait penser que, de quelque manière qu’on la traite (notamment en lui infligeant des taxes douanières), l’Europe resterait servile dans la confrontation avec la Chine, sans doute parce que, à l’inverse de Biden, il sous-estimait l’influence chinoise sur le continent.

Car la force d’attraction du pays en passe de devenir la première puissance économique du monde ne cesse de croître. Après la crise de l’euro de 2009-2010, les pays du sud de l’Europe furent réduits à vendre leurs ports et leurs infrastructures à la Chine. Puis la Serbie est devenue à son tour « un sas d’entrée vers l’Europe pour Pékin » selon l’expression du Monde (21-22 mars 2021). Un symbole du déclin européen (et on pourrait ajouter de l’Occident tout entier) : la cité industrielle et minière de Bor, fondée au siècle dernier avec les capitaux français de Schneider, est aujourd’hui aux mains du géant chinois minier Zijin.

A front renversé, la Chine veut s’afficher comme la championne du libre-échange, alors que les États-Unis renforcent leur protectionnisme (comme la plupart des pays). En témoigne le pacte de libre-échange que la Chine a signé en novembre 2020 avec quatorze pays du Pacifique (Australie, Japon, Corée du Sud…) sans les USA. Même la politique belliciste de l’embargo est mise à mal, comme le montre l’accord de « partenariat global » (couvrant tous les domaines) que la Chine et l’Iran viennent de contracter.

En témoigne également la signature en décembre 2020 avec l’Union européenne, d’un accord sur les investissements contre l’avis des USA, accord qui offre aux entreprises européennes un accès sans précédent à la Chine et dont l’Allemagne (qui occupe actuellement la présidence de l’UE) avait fait une priorité.

Un premier accord avait été signé en septembre 2020, malgré l’opposition des États-Unis, concernant la reconnaissance des Indicateurs Géographiques (IG), qui protègent les savoir-faire et les territoires dans l’agroalimentaire (la Chine, qui a un important déficit commercial dans les produits agricoles, est le troisième client de l’UE dans ce domaine). Là encore, le protectionnisme et l’unilatéralisme des USA (qui refusent la régulation des IG) ont été mis à mal.

Aux plans économique et commercial, voire diplomatique, les États-Unis sont ainsi progressivement mis sur la touche. Il faut dire que la rhétorique antichinoise sur les droits de l’homme, que Biden veut imposer à ses alliés, constitue un bien pauvre barrage face aux « eaux glacés du calcul égoïste ».

D’où l’effroi du nouveau président devant les sénateurs dès son arrivée à la Maison-Blanche : « Si l’on ne s’active pas, [les Chinois] vont manger notre repas » (le 11 février). Pour illustrer la « puissance de l’exemple », les USA sont contraints d’injecter des milliers de milliards de dollars dans l’économie : 6 000 milliards pour la maintenir à flot lors de la crise sanitaire, et aujourd’hui un plan d’investissement de 2 250 milliards. Chose inouïe, Biden a ouvertement reconnu qu’il s’agissait de faire face à la « concurrence extrême avec la Chine : « [Les Chinois] investissent des milliards de dollars pour s’occuper d’un éventail de questions liées aux transports, à l’environnement et plein d’autres choses. Nous devons nous mettre au niveau ». Or ce plan sur huit ans est loin du niveau !1

Il reste alors « l’exemple de la puissance » pour attacher le char européen aux États-Unis, c’est-à-dire l’alliance militaire. Pour bien mettre les points sur les i, le nouveau secrétaire d’Etat Antony Blinken a rappelé que « l’OTAN est l’ancrage du lien transatlantique qui unit l’Europe et l’Amérique du Nord ». Ainsi, la « réparation » des liens USA-UE passera par la « reconstruction » de l’OTAN.

Le premier acte du projet « Global Britain » de Boris Johnson indique quel chemin elle suivra. En adoptant une rallonge de 16 milliards de dollars avec la modernisation de l’arme nucléaire et le développement de la marine (qui deviendra « la première d’Europe »), ce projet obéit aux consignes des USA : renforcer les forces de projections pour préparer la guerre, comme en témoigne le nouveau slogan, « plus de soldats, plus souvent et plus longtemps à l’étranger ».

Le soir des élections à la Maison Blanche, ce ne sont pas des blanches colombes qui se sont élevées dans le ciel de Wilmington (Delaware) au-dessus de la tête du nouveau Président, mais des drones qui y ont inscrit son nom en lettres de feu : un hommage à celui qui a tant promu les drones tueurs Predator qui ont assassiné des milliers de personnes.

Des va-t-en-guerre plus dangereux que jamais sont donc au pouvoir à Washington. Les peuples d’Europe ne doivent pas se laisser entraîner dans leur aventurisme militaire qui peut très mal finir. À cet égard, deux des axes du Collectif NGNEG sont des plus importants : participer à la campagne pour quitter l’OTAN et à celle pour supprimer le Service national universel qui veut enrôler et préparer la jeunesse pour de prochains conflits.

8 avril 2021

Collectif Ni guerres ni état de guerre

  1. La presse (y compris de gauche) s’est empressée de saluer un nouveau Roosevelt ! Mais ce plan sur huit ans est assez minable : 77 mds par an pour réparer les routes et les conduites d’eau, 86 mds pour le BTP et les services publics, 72 mds pour l’emploi et l’innovation (rappelons que le PIB états-unien est de 20 000 mds de dollars). Les investissements sur l’éducation et la santé sont pour l’instant … à l’état de promesse. Le taux d’imposition des entreprises remonte certes de 21 à 28%, mais il était de 90% lors du New Deal.
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