Récemment, le ministre de l’Intérieur Darmanin a annoncé son intention de procéder à la dissolution de l’organisation d’extrême-droite Génération Identitaire. Cette déclaration a agité l’ensemble du champ politique, de la classe politico-médiatique jusqu’aux milieux antifascistes et antiracistes. Pourtant, la raison de ces déclarations et l’éventuelle efficacité de cette mesure sont rarement questionnées.
D’où vient Génération Identitaire ?
Génération Identitaire est l’organisation la plus visible et la plus médiatisée de la mouvance identitaire française. Elle est née des cendres d’une organisation nationaliste révolutionnaire : Unité Radicale, qui est elle-même le produit de la fusion d’autres groupuscules d’extrême-droite, tels que le GUD. Unité Radicale sera dissoute en août 2002 après qu’un de ses membres ait tenté d’assassiner le Président Jacques Chirac. Cette dissolution provoquera une scission parmi les anciens cadres : une tendance restera fidèle au nationalisme révolutionnaire, tandis que l’autre, celle dont il est ici question, adhèrera aux thèses de Guillaume Faye, considéré comme le père idéologique des identitaires. C’est lui qui impulse chez ces derniers la ligne ethno-différentialiste raciste, anti-islam et appelant à la « reconquista » du peuple blanc sur les envahisseurs « afro-maghrébins ». Son livre Pourquoi nous combattons, manifeste de la résistance européenne, véritable pamphlet islamophobe et ethniciste, deviendra la matrice idéologique des nouveaux militants identitaires. Cette ligne ethno-différentialiste fait de Génération Identitaire le digne héritier du courant suprématiste blanc et néo-nazi.
En 2002, cette seconde tendance, menée notamment par Philippe Vardon (dont le parcours politique est intéressant pour appréhender le processus de légitimation de la mouvance), donnera naissance au Bloc Identitaire et aux Jeunesses Identitaires. Dix ans plus tard, GI sera finalement lancé via une vidéo intitulée « Déclaration de Guerre ». Vardon, skinhead d’extrême droite et membre de différents groupes de Rock néo-nazis dans sa jeunesse, rejoint Unité Radicale avant de fonder BI et les JI qu’il quittera en 2013 pour rejoindre le Rassemblement Bleu Marine, démontrant ainsi, s’il le fallait encore, les liens entre l’extrême-droite la plus radicale et le mouvement de Marine Le Pen. Cherchant d’abord à se présenter comme un parti politique, le Bloc échoue dans cette stratégie et finit par fournir au RN une nouvelle génération de cadres formés sur le plan politique et de communication.
Si GI a été un véritable laboratoire idéologique pour le RN tout au long de son existence, son influence s’exerce dans une partie bien plus large du champ politique français. Une part importante des débats politiques et médiatiques se fait désormais par le prisme idéologique des identitaires. C’est effectivement GI qui a imposé les thématiques d’ « islamisation », de « grand remplacement » et de « racisme anti-blanc » dans les discours actuels.
Dès sa création, et dans la droite ligne d’Unité Radicale, la stratégie de GI vise essentiellement à la conquête de l’hégémonie culturelle, qui précède la conquête du pouvoir politique. En somme, tels des gramscistes de droite, ils considèrent que s’imposer dans le champ des idées aboutit à la victoire politique. De par leur communication et l’abandon du folklore néo-nazi, ils parviennent à moderniser la question du suprémacisme blanc, de l’islamophobie et de l’identité blanche et à imposer leurs thématiques à l’échelle européenne.
Ainsi, c’est cette communication qui a fait la renommée de GI : occupation du chantier d’une mosquée et de fast-food hallal ou, plus récemment, opération anti-migrants dans les Pyrénées. Ces actions sont avant tout des succès symboliques et médiatiques : si elles n’ont pas empêché la construction de la Mosquée à Poitiers ou le passage de migrants, elles acquièrent une visibilité médiatique certaine à l’échelle nationale et internationale. Professionnels de l’agitprop, ils se revendiquent comme le « Greenpeace de l’extrême-droite » (ONG dont est d’ailleurs issu Aurélien Verhassel, chef des identitaires lillois).
Néanmoins, cette façade « non-violente » que cultive GI – mise sur le devant de la scène tout au long des dernières semaines par l’ensemble des médias dominants, qui ont reçu à tour de bras Thaïs d’Escufon, porte-parole identitaire – vole vite en éclats lorsque l’on se penche un peu sur les pratiques locales de GI. En effet, à Paris, les jeunes identitaires qui s’affichent à visage découvert à chacune de leurs mobilisations, n’hésitent pas à remettre la cagoule et à rejoindre les rangs des Zouaves Paris, avec qui ils tentent d’organiser un certain nombre d’actions violentes (cf. les perquisitions d’armes lors des Gilets Jaunes à la Motte-Picquet Grenelle ou l’attaque du bar du Saint Sauveur). À Lille, lorsque ferment les rideaux de leur local, la Citadelle, ils deviennent soudain amateurs de saluts nazis et s’en prennent violemment à des femmes portant le voile en pleine rue (cf. reportage Generation Hate). Enfin à Lyon, où l’extrême-droite s’implante localement depuis plusieurs années, on ne compte plus le nombre de ratonnades et d’attaques en règle à l’encontre de personnes non-blanches et/ou musulmanes ou de genres minorisés (agressions de supporters algériens et de femmes portant le voile pendant la coupe d’Afrique des nations, attaques et dégradations de commerces maghrébins en marge de manifestations identitaires, personnes LGBTI agressées…)
La dissolution : une diversion de Darmanin
Il faut comprendre que la volonté du ministre de l’intérieur de dissoudre GI répond en fait à des objectifs et un calendrier politique. En effet, cette dissolution n’a pas de base idéologique, elle n’a pas pour objectif de résoudre des problématiques antiracistes. Elle ne répond qu’à un opportunisme politique. Le piège serait alors de voir dans la macronie un rempart contre le fascisme alors que les gouvernements de droite et de gauche reprennent depuis des années, ouvertement ou à demi-mots, les analyses portées par l’extrême-droite. Analyses qu’ils prétendent pourtant combattre tout en appliquant un programme autoritaire, violemment anti-migrants et de ciblage des populations musulmanes, en somme, une partie du programme identitaire.
En effet, le gouvernement actuel a repris le flambeau de la politique raciste, qui se transmet de mains en mains depuis des années, de Sarkozy à Hollande, et de Hollande à Macron. Dans la lignée de ses prédécesseurs, l’actuel chef de l’État accentue les offensives racistes et sécuritaires, tant à l’encontre des mouvements sociaux, à travers la répression violente du mouvement des Gilets Jaunes, que des populations migrantes, qui subissent des traques incessantes et vivent dans des situations de plus en plus précaires. La séquence actuelle se caractérise aussi notamment par une institutionnalisation de l’islamophobie, à travers le projet de loi contre les « séparatismes » qui vise à légiférer sur le mode de vie des musulman.e.s vivant en France. Cette dissolution de Génération Identitaire, qui intervient à un point culminant du développement des politiques racistes, a pour but principal de tenter de faire taire les critiques mettant en cause le rôle du gouvernement dans le processus de fascisation en cours.
Que les choses soient claires, Darmanin ne reproche pas à GI son idéologie fasciste, mais de vouloir se substituer à l’État. Pour le ministre de l’Intérieur, l’action de Génération Identitaire dans les Pyrénées n’est pas un problème en soi. À ses yeux, le véritable problème est qu’elle ait été menée en concurrence avec l’appareil d’État et l’institution policière, qui possèdent (et doivent continuer à posséder) le monopole de la violence raciste légitime. Darmanin rappelle ainsi aux fascistes que leur terrain d’intervention privilégié est et doit rester celui de l’appareil d’État. Il les exhorte à se conformer à la tradition et à l’évolution du fascisme français, qui est caractérisé par son développement et sa structuration au cœur même de l’État français, tout au long de la Vème République. L’État vient ainsi réguler cette forme d’ « autonomie relative » (au sens gramscien) spécifique aux organisations fascistes, qui, dans le cas de GI, excède le cadre que les classes dominantes ont fixé pour servir leur stratégie d’instrumentalisation des groupes d’extrême-droite.
C’est d’ailleurs parce que le fascisme grandit au cœur de l’État, que cette idéologie d’extrême-droite est déjà présente dans les institutions européennes et françaises, notamment avec Frontex. Pour Darmanin, c’est aussi une manière de se dédouaner après avoir été accusé d’islamophobie à la suite de la dissolution du CCIF et de Baraka City. Ainsi, en bon républicain, il prétend s’attaquer à tous les extrémismes, quitte à mettre sur le même plan organisation anti-raciste, ONG humanitaire et groupe suprémaciste blanc.
L’antifascisme face à la diversion de l’État
Aussi, il ne faudrait pas perdre de vue que l’histoire de l’extrême-droite en France est une succession de dissolutions, depuis les ligues fascistes jusqu’à nos jours. Cela fait partie intégrante de leur structuration mais aussi de leur force. Ils sont tout à fait capables de se recomposer, de changer de casquettes, d’intégrer le RN, voire même l’État, via sa police et son corps militaire, tout en les excédant. GI est préparé à sa dissolution. Sa fin n’est que le début d’une nouvelle phase, la suite d’un programme. Demain verra peut-être la naissance d’une nouvelle organisation fondée sur les cendres de la première, peut-être plus souterraine ou au contraire plus officielle encore. Même s’il n’est plus à parier que, comme Vardon, les membres de GI vont rejoindre en masse les rangs du Rassemblement National, qui lui, ne sera jamais dissout. Le RN est le vrai faux-ennemi du gouvernement, celui qui, jusqu’ici, a toujours assuré le maintien de l’hégémonie néolibérale à l’issue de chaque présidentielle. La stratégie a toujours été la même : cibler GI pour mieux préserver et restructurer le RN.
Notre antifascisme n’a rien à attendre de la bourgeoisie pour lutter contre l’extrême droite. Cet appel à la dissolution est un piège double. D’un côté, il permet de dédouaner l’État de sa responsabilité raciste et de ses pratiques autoritaires, qu’il s’agisse de la traque des migrants aux frontières et sur l’ensemble du territoire, des projets de lois islamophobes ou de la répression systématique des luttes sociales. De l’autre, il prépare d’ores et déjà le terrain à un deuxième tour des présidentielles cousu de fil blanc, opposant Macron à Le Pen, érigeant le gouvernement actuel comme seul rempart républicain face au Rassemblement National.
C’est pourquoi un antifascisme conséquent analyse les dynamiques nationales et internationales et ne se focalise pas uniquement sur les groupes de rue. À l’heure d’un tournant international violemment autoritaire, raciste et xénophobe, GI n’est qu’un symptôme du néolibéralisme. À certains moments, l’État se sert de l’extrême-droite mais à d’autres, il la réprime en fonction de ses objectifs et de son agenda. La dissolution de GI, bien qu’elle puisse affaiblir leur capacité organisationnelle, ne dissoudra pas leurs idées, qui ont déjà imprégné une large partie du paysage politico-médiatique. Ce n’est que le signe que les classes dominantes cherchent à réactualiser leur « offre de fascisme », à reconfigurer leur boîte à outils à partir du panel des différents groupes et partis d’extrême-droite. Pour toutes ces raisons, il serait déraisonnable et prématuré de se réjouir et de se satisfaire de la dissolution de GI. Bien loin d’être une victoire, cela nous pousse à réaffirmer la nécessité de combattre frontalement et sans compromis le fascisme sous toutes ses formes, qu’il opère au cœur des institutions, à travers une extrême-droite médiatique et légitime ou par le biais de groupuscules fascistes violents.
La seule dissolution pour laquelle nous luttons, c’est celle du capitalisme.
Nous appelons à un rassemblement massif samedi 20 février à 14h, place du 18 Juin 1940, Métro Montparnasse.
FACE AUX IDENTITAIRES : DEFEND PARIS
Action Antifasciste Paris-Banlieue