8 février 1962 : Charonne, un meurtre d'État

Le 8 février 1962, une manifestation est appelée à Paris par l’ensemble des syndicats et des partis progressistes pour protester contre la campagne d’attentats sanglants menée par l’OAS (organisation terroriste clandestine défendant l’Algérie française). L’État d’urgence est instauré depuis près d’un an, tandis qu’on trouve à la tête de la préfecture de police de Paris Maurice Papon, ancien vichyste et collaborateur notoire. Il s’illustre par la persécution systématique des Algériens et la répression meurtrière des manifestations de soutien au FLN (comme en octobre 1961, où des dizaines de personnes sont assassinées par les forces de l’ordre).

Les initiatives en faveur de la paix sont également réprimées par une police qui s’avère beaucoup plus complaisante avec les partisans de l’Algérie française. Et pour cause : l’imbrication entre l’extrême-droite et l’appareil d’État est, déjà, une réalité structurante. Papon, en accord avec De Gaulle, choisit d’interdire la manifestation du 8 février et donne l’ordre de disperser violemment tout rassemblement. Les cortèges ont à peine le temps de se former qu’ils se font charger. S’en suit un déchaînement de brutalités policières qui conduit à la mort de 8 personnes (une neuvième décédera à l’hôpital le 20 avril des suites de ses blessures), poursuivies jusqu’à l’intérieur du métro Charonne. Certaines sont étouffées, d’autres ont le crâne fracturé par les coups de matraques. Toutes les victimes étaient syndiquées à la CGT et, à une exception près, membres du Parti Communiste Français.

Cet événement, loin de correspondre à une époque lointaine ou révolue, cristallise et anticipe au contraire un certain nombre des éléments de notre situation présente. Aujourd’hui l’état d’urgence est passé dans le droit commun. La police assassine chaque année des dizaines de jeunes, noirs et arabes dans leur écrasante majorité, perpétuant une gestion coloniale des quartiers populaires. Les méthodes de répression autrefois réservées aux populations non-blanches tendent à se généraliser au mouvement social dans son ensemble et à toute expression politique contestataire. Le préfet de police de Paris, Didier Lallement, digne héritier de Papon, envisage le maintien de l’ordre comme un affrontement entre deux « camps », tandis que l’influence de l’extrême-droite au sein de l’appareil policier ne cesse d’augmenter.

Rendre hommage aux victimes de Charonne, c’est rendre hommage aux victimes du fascisme, ancien et nouveau, c’est surtout ne pas cesser de lutter, aujourd’hui et ici même, contre le racisme d’État et contre un régime autoritaire qui n’a plus de « démocratique » que le nom. C’est poursuivre le combat pour l’émancipation sociale de celles et ceux qui sont morts sous les coups de la police il y a 59 ans.

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