28 juin 1914 : Gavrilo Princip, l'homme qui changea le siècle

Le 28 juin 1914 à Sarajevo, un étudiant serbe de 19 ans, Gavrilo Princip, tuait l’archiduc François-Ferdinand, héritier du trône d’Autriche-Hongrie. S’il est d’usage de considérer que le XXème siècle commence en 1914, l’étincelle qui précipita l’engrenage de la première guerre mondiale demeure largement méconnue, de même que les motivations politiques de celui qui, ce jour-là, tira deux coups de pistolet en direction de la limousine impériale.

À la fin des années 1870, l’Empire Ottoman déclinant fait face à une série de révoltes d’ampleur dans ses provinces balkaniques, portées notamment par les masses paysannes chrétiennes qui subissent depuis plusieurs siècles la domination turque1. En 1875 une insurrection éclate, d’abord en Herzégovine2, puis en Bosnie. La Bulgarie se soulève l’année suivante. Dans ce contexte, les principautés de Serbie et du Monténégro, qui soutiennent les rebelles de Bosnie-Herzégovine, déclarent la guerre à l’Empire Ottoman en juin 1876, avant que la Russie ne fasse de même en avril 1877. À la suite du Congrès de Berlin (été 1978), la Serbie et le Monténégro obtiennent leur indépendance tandis que la Bosnie est placée sous administration austro-hongroise. Elle est ensuite purement et simplement annexée en 1908. L’idée d’une union des peuples slaves du sud (yougo-slaves) passe alors nécessairement par la chute de la domination autrichienne.

« On entend souvent dire que la domination austro-hongroise aurait modernisé la Bosnie : ce n’est pas faux, mais les infrastructures qui ont été construites, comme le chemin de fer, avaient pour but de faciliter l’exploitation des ressources du pays, dans une logique coloniale tout à fait classique. C’est contre tout cela que Gavrilo Princip a fait feu, sans se douter des conséquences qu’aurait son acte », rappelle Vuk Bačanović, journaliste à l’hebdomadaire Danas.

En effet c’est cette idée d’unification des peuples yougoslaves qui détermine la constitution du groupe révolutionnaire multinational Jeune Bosnie (Mlada Bosna), dont fait entre autres partie l’écrivain Ivo Andrić, futur Prix Nobel de littérature en 1961.

28 juin 1914 : Gavrilo Princip, l'homme qui changea le siècle
Gavrilo Princip dans sa cellule de la prison de Theresienstadt

Gavrilo Princip, né en 1894 dans le hameau de Obljaj (actuelle Bosnie-Herzégovine, alors sous administration autrichienne) adhère en 1911 au groupe Jeune Bosnie. Alors que la date hautement symbolique du 28 juin (jour commémorant la bataille du Kosovo en 1389, qui signe la défaite de l’armée serbe face aux Ottomans, et le début de 500 ans d’occupation turque) est choisie pour la visite du couple impérial à Sarajevo, il fait partie des sept militants dont la tâche est d’exécuter l’archiduc François-Ferdinand. La question des appuis dont a bénéficié le groupe Jeune Bosnie reste un objet de débat, mais il est aujourd’hui relativement admis que les conspirateurs ont été armés par La Main noire, une organisation secrète ayant des ramifications au sein de l’armée serbe, dirigée par le colonel Dragutin Dimitrijević, surnommé « Apis ».

Aucun plan précis n’a été défini, chacun des militants ayant la consigne de passer à l’acte dès qu’il en a l’occasion. Placés le long du quai, les deux premiers membres, Muhamed Mehmedbašić et Vaso Čubrilović, ne trouvent pas de position de tir favorable. Nedeljko Čabrinović, quant à lui, tente sa chance et lance une bombe en direction de la voiture de François-Ferdinand, mais celle-ci rebondit et détruit la voiture suivante, causant plusieurs blessés. Čabrinović est immédiatement arrêté, tandis que ses camarades renoncent à agir : la tentative d’assassinat semble avortée.

28 juin 1914 : Gavrilo Princip, l'homme qui changea le siècle

Mais après avoir visité l’hôtel de ville, François-Ferdinand souhaite se rendre à l’hôpital, au chevet des victimes de l’attentat qui vient de se produire. En raison d’une erreur d’itinéraire, la limousine se trouve contrainte de faire demi-tour au milieu de la foule : c’est à ce moment que Princip, pistolet Browning à la main, se dirige vers le couple impérial. Il tire deux fois : la première balle traverse le bord de la voiture et atteint la duchesse de Hohenberg à l’abdomen. La seconde balle atteint l’archiduc dans le cou. Tous deux sont conduits à la résidence du gouverneur, où ils meurent de leurs blessures quinze minutes plus tard.

28 juin 1914 : Gavrilo Princip, l'homme qui changea le siècle
Arrestation de Gavrilo Princip le 28 juin 1914 après son attentat

Princip tente de se suicider immédiatement après son acte, mais sa pilule de cyanure se révèle défectueuse. Ayant échappé à la peine de mort en raison de son jeune âge, il est envoyé dans la prison de Theresienstadt (actuelle République tchèque). C’est là qu’il meurt le 28 avril 1918, affaibli par une tuberculose. Lors de son procès, il déclare :

« Je suis un nationaliste yougoslave, aspirant à l’unification de tous les Slaves du Sud, et je ne me soucie pas de ce que sera la forme de notre État, je sais seulement qu’il devra être libéré de l’Autriche. »

28 juin 1914 : Gavrilo Princip, l'homme qui changea le siècle
Procès des membres de Jeune Bosnie en décembre 1914 : on y reconnaît Nedeljko Čabrinović, Gavrilo Princip, et Danilo Ilić

Comme le résume l’historien et essayiste bosniaque Muharem Bazdulj, « Gavrilo Princip visait à permettre aux peuples yougoslaves de reprendre le contrôle de leur destin par la création d’un État qui ne serait pas une marionnette des grandes puissances, ni une colonie, mais qui serait libre et mènerait sa propre politique ».

Considéré comme un héros de la Yougoslavie royale d’Alexandre Ier, il est célébré par une plaque commémorative de son acte à Sarajevo, sur les lieux de l’attentat, qui le décrit comme « un combattant de la liberté ». Lorsque les nazis entrent dans Sarajevo en 1941, ils détruisent cette plaque et l’offrent pour son anniversaire à Adolf Hitler, ancien caporal de l’armée austro-hongroise. Princip est ensuite de nouveau glorifié par la Yougoslavie communiste de Tito, née de la Résistance victorieuse au nazisme, qui l’érige en symbole de « la fraternité et de l’unité » (bratstvo i jedinstvo), selon la devise visant à rassembler la mosaïque des peuples qui composaient la fédération yougoslave.

Aujourd’hui, alors que les peuples yougoslaves se trouvent de nouveau morcelés et soumis aux intérêts des grandes puissances impérialistes, le geste libérateur de Princip et son rêve d’unification anti-coloniale continuent d’inspirer la conscience populaire.

28 juin 1914 : Gavrilo Princip, l'homme qui changea le siècle
« Nos ombres marcheront sur Vienne, erreront à travers les palais et terrifieront les seigneurs. »
  1. Comme l’explique l’historien François Georgeon, spécialiste de l’Empire Ottoman : « À l’époque il existe un mécontentement latent dans cette extrémité nord-ouest de l’Empire qu’est la Bosnie-Herzégovine. Les grands propriétaires musulmans – des Slaves convertis à l’Islam – exercent, dans des conditions souvent très dures, leur autorité sur des villageois presque réduits à l’état de serfs. Les distinctions sociales et religieuses coïncident, divisant une société unifiée sur le plan linguistique et ethnique, une situation qui n’est pas sans évoquer celle de l’Irlande, avec ses propriétaires protestants et ses fermiers catholiques. » Voir Abdülhamid II, le sultan calife (1876-1909), Paris, Fayard, 2003.
  2. Le père de Gavrilo Princip, Petar Princip, paysan pauvre, a participé à l’insurrection d’Herzégovine contre l’Empire Ottoman.
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