Le 20 décembre 1973, l’amiral Luis Carrero Blanco, président du gouvernement espagnol et successeur désigné de Franco, est éliminé dans un attentat à la bombe organisé par l’ETA à Madrid, précipitant la fin du régime franquiste.
Depuis plusieurs années, la dictature fasciste du général Francisco Franco est ébranlée par un mécontentement social croissant, qui trouve à s’exprimer dans les mobilisations ouvrières contre ce qui est désormais le plus ancien État européen dirigé par un exécutif ouvertement réactionnaire et conservateur.
La lecture de ces années, propagée par le régime, évoquait en fait une tolérance croissante envers les conflits sociaux, dans le but de libérer le gouvernement espagnol du souvenir, encore trop vif, des horreurs que les régimes nationaux-socialistes avaient perpétrées pendant la Seconde Guerre mondiale.
Mais bien au contraire, jamais comme dans ces années-là Franco n’a décidé de mettre en œuvre une répression aussi féroce contre tous ses opposants politiques, en se concentrant avec une fureur particulière sur la population basque d’Euskal Herria. De 1961 jusqu’à la mort du Caudillo, en novembre 1975, le Pays Basque a été soumis à l’état d’urgence 9 fois en l’espace de moins de 13 ans, vivant un total de 4 ans et deux mois dans des conditions de suspension complète de tous les droits civils fondamentaux, avec un pouvoir de vie et de mort confié aux Forces de sécurité de l’État.
C’est dans ce climat qu’Euskadi Ta Askatasuna (ETA), tout juste sortie du grand procès de Burgos et des premières grandes victoires obtenues dans le domaine politique et militaire, décide d’exécuter le successeur désigné de Franco, l’amiral Luis Carrero Blanco.L’opération, appelée Ogro (« ogre ») d’après le surnom du nouveau président espagnol, a été préparée durant près de neuf mois et portait la signature du « Commando Txikia » de l’ETA.
Les quatre jeunes Basques à qui l’action est confiée commencent à suivre les déplacements de l’amiral en avril 1973, après avoir loué un sous-sol au 104 de la rue Coello à Madrid, où ils prétendent travailler comme sculpteurs. En réalité, l’idée initiale était de kidnapper Carrero Blanco pour demander en échange la libération de prisonniers politiques, mais lorsqu’en juillet l’amiral est devenu chef du gouvernement, l’escorte a été renforcée et le plan de kidnapping abandonné.
Comme Blanco avait l’habitude de se rendre, depuis son domicile de la rue Hermanos Becquer, à l’église de San Francisco de Borja dans la rue Serrano, en face de l’ambassade américaine, puis de revenir par le même chemin, l’ETA a décidé que la meilleure façon de le tuer était de recourir à un attentat à la bombe.
Le travail s’avère cependant lent et coûteux, car il implique que tous les membres de l’équipe creusent simultanément un tunnel de huit mètres de long, de la maison au centre de la rue, avec une extension en forme de T de trois mètres. Pendant que l’un creuse, l’autre remet la terre au troisième qui remplit les sacs en plastique et le quatrième les empile. Il faut ensuite consolider le tunnel et préparer les charges de dynamite, au nombre de trois, pesant chacune quinze kilos, préparées pour une explosion simultanée avec un fil électrique. Un autre problème est d’éloigner le plus possible l’interrupteur qui contrôle l’explosion elle-même, pour permettre la fuite. Pour cette raison, un câble a été prévu qui, partant de la fenêtre, se poursuivrait à la hauteur du premier étage, jusqu’à l’intersection avec la rue Diego de Leon, à environ 50 mètres.
L’opération, prévue pour le 19 décembre, est reportée au lendemain. Peu avant l’heure prévue, un des « sculpteurs » a garé, en double file au niveau du tunnel, une « Morris » chargée de dynamite, dans le triple but de renforcer l’explosion, de forcer la voiture de Carrero Blanco à passer au milieu de la rue et de fournir un point de référence à un observateur situé à l’angle Coello-Leon (le détonateur, alimenté par trois batteries montées en série, a été placé derrière l’angle et les opérateurs, déguisés en travailleurs de la compagnie d’électricité, ne pouvaient pas voir la rue Coello). Lorsque la voiture de l’amiral atteint la zone « idéale », au signal établi, le contact électrique fait sauter la voiture de l’amiral.
La voiture de Carrero Blanco vole sur six étages, passe le toit d’un immeuble et atterrit sur un balcon intérieur au troisième étage. Les gardes du corps, blessés par l’écrasement de la voiture d’escorte contre un mur, mettent du temps à réaliser ce qu’il s’est passé, tandis que les quatre militants de l’ETA ont tout le temps de fuir la capitale tranquillement.
Dans les jours qui ont suivi, le parti communiste et divers représentants de l’opposition anti-franquiste et démocratique ont parlé de provocation, d’une possible action de fascistes, puis, lorsque l’ETA a revendiqué l’attaque, d’un acte irresponsable qui ferait fait le jeu du régime. La réalité est que tout le peuple espagnol, outre les habitants d’Euskal Herria, s’est réjoui de la mort d’un homme qui s’est révélé être un digne continuateur de la politique du régime franquiste.
Carlos Arias Navarro a pris la tête du gouvernement, renforçant le sentiment qu’un changement de régime était imminent. En réalité, il est apparu clairement que le régime, pour survivre, devait changer de forme, tandis que la gauche patriotique basque a immédiatement senti que l’on prenait le chemin d’une sorte d’auto-réforme vers une démocratie constitutionnelle « limitée », évitant ainsi la possibilité d’une insurrection populaire armée.
Via InfoAut