Pandémie et condition carcérale

Dans le cadre du confinement, des militants de l’Action Antifasciste Nantes, investis au sein des Brigades de Solidarité Populaire, se sont déplacés à plusieurs reprises devant trois lieux d’enfermement nantais (la Maison d’arrêt, l’Établissement Pénitentiaire pour Mineurs et le Centre de Détention) ; l’objectif étant d’aller à la rencontre de proches de personnes détenu.es afin de leur apporter un éventuel soutien et de recueillir des témoignages au sujet de la situation sanitaire en prison du point de vue des détenu.es et des familles.

Ce travail d’enquête militante leur a permis de réaliser trois entretiens que nous publions aujourd’hui. Deux avec un détenu du Centre de Détention qui détaillent la situation sanitaire à l’intérieur de la prison pendant et après le confinement. Le troisième témoignage est celui d’un proche d’un détenu incarcéré au même endroit qui raconte, de son point de vue de visiteur, la situation des parloirs.

Au fil du confinement, Nicole Belloubet, garde des Sceaux a pris des mesures pour lutter contre la propagation du virus en prison. Qu’il s’agisse de supprimer les parloirs, de favoriser les processus de libération anticipée ou encore de mettre en place des règles sanitaires dans ces lieux d’enfermement, ces mesures ont largement favorisé la précarisation des conditions d’existence des détenu.es. La fermeture subite des parloirs a renforcé leur isolement social. L’injonction à la « bonne conduite » pour obtenir une libération anticipée a cherché à faire taire les résistances. Enfin, les mesures sanitaires nécessaires à la protection des détenu.es n’ont pas été respectées par l’administration pénitentiaire.

Les trois témoignages que nous publions ici détaillent une réalité sanitaire quotidienne bien loin des consignes de sécurité nécessaires en matière d’hygiène face au virus, qu’il s’agisse de la période du confinement où de celle post-confinement.

Ainsi, au Centre de Détention, pendant le confinement, à peine un quart du personnel portait un masque et les personnes chargées de la distribution des repas n’en portaient pas. Les détenus qui présentaient les symptômes du Covid n’étaient pas isolés dans un quartier spécifique, de même que les personnes ayant été en contact avec eux n’étaient pas mis en quatorzaine. Aucun groupe spécifique n’était d’ailleurs constitué pour les déplacements où pour l’accès aux douches. Du reste, pas de nettoyage renforcé des espaces collectifs ni de vigilance accrue n’était accordés aux personnes vulnérables. Bref, alors que les conditions de détention elles-mêmes fragilisent la santé des détenus, ces derniers étaient sciemment exposés au risque de contagion.

Dans cette période de reconfinement, l’administration pénitentiaire continue d’appliquer des mesures contradictoires au mépris des personnes détenues et de leurs proches. Ainsi, les parloirs sont réduits à un par semaine et les visites des enfants limitées à un enfant par famille. Lors des parloirs, les contacts sont interdits, le port du masque est obligatoire tout comme le respect des distances sociales. Le non-respect de ces règles expose les proches des détenu.es à un risque de suspension du permis de visite. Pourtant, les surveillants qui portent des masques à l’entrée et dans la salle de parloirs n’en portent plus à l’intérieur de la prison. De plus, les détenus qui arrivent de l’extérieur sont rarement mis en quatorzaine et si certains le sont arbitrairement, les restrictions de liberté que suppose la quatorzaine sont parfois prolongées à la fin de celle-ci et ce même si les détenus présentent un résultat négatif au test Covid. Face à l’absurdité et la violence de ces mesures, l’Administration Pénitentiaire et l’Agence Régionale de Santé se renvoient la balle. En plus de silencier leurs voix et d’exacerber leur isolement, elles méprisent sciemment la santé des détenu.es.

Quand bien même les mesures sanitaires annoncées seraient respectées, comment empêcher la propagation d’un virus quand certain.e.s détenu.es sont enfermé.es à 3 dans 9 mètres carré ? À ce sujet, la communication du ministère de la justice au sujet d’une réduction significative de la surpopulation carcérale depuis le confinement est à relativiser. D’une part, puisqu’elle est tout à fait inégale d’une prison à l’autre et d’autre part, puisque le calcul officiel du taux d’occupation des prisons ne tient pas compte du principe de l’encellulement individuel. Bien que la garde des Sceaux considère que cet « objectif doit être tempéré », il s’agit pourtant d’une obligation légale à laquelle le gouvernement se soustrait. Ainsi, seule la présence de matelas au sol dans une cellule est considérée comme relevant d’une surpopulation carcérale. Le fait d’être enfermé à 3 dans une cellule de 9 mètres carré est donc acceptable et digne selon le gouvernement dès lors que les détenu.es disposent en fait d’un sommier. Rappelons qu’avant le confinement, seuls 40% des détenu.es étaient enfermé.es dans une cellule individuelle. Plus de 40 000 d’entre eux ne bénéficiaient donc pas de ce droit fondamental à la dignité.

En dehors du confinement, la surpopulation carcérale reste donc une réalité à considérer pour évaluer les conditions de détention en France. La réduction du nombre de personnes détenues sur le territoire pourrait d’ailleurs être tout à fait temporaire puisque les processus de répression judiciaire sont loin d’être remis en cause par le gouvernement dont la production législative criminalise toujours plus les comportements populaires.

Entretien réalisé pendant le confinement avec un détenu du Centre de Détention de Nantes

Peux-tu nous décrire la situation au Centre de Détention de Nantes au regard des mesures sanitaires censées être prises par l’administration pénitentiaire ?

Je vais reprendre point par point les mesures obligatoires et décrire la réalité de leur application.

– Sur les mesures d’hygiène au sein des établissements : effectuer un nettoyage renforcé et une aération régulière des locaux, fournir gratuitement à toutes les personnes détenues une quantité suffisante de savon et de produits d’entretien, assurer aussi régulièrement que possible le lavage des draps et le nettoyage du linge.

Le linge est lavé une fois toutes les deux semaines gratuitement. On a un kit de nettoyage une fois par mois qui contient de l’eau de javel (2 flacons de 120 ml), un flacon liquide vaisselle, 2 éponges, un flacon de détergent multi-usage. Mais on avait déjà ce kit avant le confinement, rien n’a changé. C’est l’auxi qui nettoie mais les surveillants ne vérifient pas, du coup si c’est pas fait, c’est pas fait.

– Sur l’accès aux douches : constitution de groupes identiques pour l’accès aux douches collectives, nettoyage renforcé après le passage de chaque groupe, pas de diminution du nombre de douches (au minimum 3 comme le prévoit le CPP).

Pour les douches n’importe qui y va, n’importe comment. Normalement les gars suspectés d’avoir le Corona devaient aller aux douches à midi quand nous, on est enfermés, mais ça servait à rien puisque de toutes façons personne ne nettoie les douches. Une fois je me retrouve aux douches avec ce gars confiné pour suspicion de coronavirus, alors qu’il était 17h30 (on rentre en cellule, portes fermées à 18h) et c’est les surveillants qui l’ont envoyé, sans vérifier s’il y avait quelqu’un. Du coup quand je vais à la douche je prends mon flacon de javel et je nettoie moi-même. Le nettoyage est fait une fois par jour, au passage de l’auxi (si l’auxi passe, parce que de toutes façons personne ne vérifie), c’est le même mode de nettoyage qu’avant le confinement.

– Sur les mesures d’hygiène dans les cuisines et lors de la distribution des repas : port des équipements individuels et lavage des mains.

Pareil qu’avant le confinement, le gars (auxi) a des gants, une charlotte et un tablier jetable mais pas de masque. Sur les 10 surveillants qui suivent l’auxi pendant la distribution des repas, 3 mettent un masque, 7 autres n’en mettent pas.

– Sur les déplacements au sein des établissements : limitation des déplacements (les seuls qui doivent être maintenus : parloirs avocats, promenades, activités de sport en plein air, douches collectives, unités sanitaires), groupes identiques d’un jour à l’autre.

On ne descend pas en groupes identiques d’un jour à l’autre, les promenades c’est bâtiment par bâtiment, mais ça n’a rien à voir avec le confinement. Au début, les promenades c’était comme avant, puis ils ont fait ça par rapport aux parachutes, comme les surveillants récupéraient les paras, un mouvement de foule s’est créé autour des surveillants, ils ont pris peur, et depuis c’est promenade bâtiment par bâtiment. C’est 1h de promenade le matin, 1h l’après-midi.

– Sur les entrées en détention : les personnes écrouées sont placées en quatorzaine.

– Sur le port des masques : port de masque obligatoire à compter du 31 mars pour les personnels en contact direct et prolongé avec les personnes détenues.

Je vais être gentil, un quart du personnel porte un masque, c’est au bon vouloir des surveillants, ceux qui portent un masque le font plus pour se protéger eux que pour nous protéger nous d’une possible contagion.

– Sur la conduite à tenir en cas de suspicion : définition d’un protocole de partage de responsabilité entre personnels de surveillance et personnel de santé (note du 06 avril 2020), isolement des personnes présentant des symptômes (cellule individuelle dans un quartier spécifique de l’établissement, port d’un masque pour ses déplacements) et mise en quatorzaine de toutes celles ayant été à son contact, vigilance renforcée pour les personnes présentant des vulnérabilités.

La personne suspectée est isolée mais pas dans un bâtiment spécifique, elle est isolée dans sa cellule, du coup elle se retrouve à prendre la douche avec nous. Pas de mise en quatorzaine des personnes qui ont été en contact. Pas de vigilance renforcée, des gars aux mêmes étages sont âgés, d’autres ont du diabète, ils n’ont rien fait de particulier pour eux.

– Sur les fouilles : privilégier les mesures alternatives (détection par portique), fouilles que de manière exceptionnelle, effectuées par des personnels dotés de masque de protection et de gants à usage unique. 

Y a eu quelques fouilles. C’est le même régime qu’avant le confinement, ils enferment tout le monde dans leur cellule à une heure dans la matinée ou dans l’après-midi et ils en profitent pour fouiller la cellule d’un gars. Pour les masques, je ne sais pas. Mais l’autre jour un collègue a eu une fouille et il a retrouvé les gants du surveillant dans la poubelle de sa cellule. Les premières semaines, il y avait peut-être moins de fouilles mais maintenant c’est reparti comme avant le confinement.

Au 6 mai 2020, c’est la même situation, ils nous ont juste distribué un savon de Marseille en plus. Ouhhhhh.

Entretien réalisé post-confinement au cours de l’été avec un détenu du Centre de Détention de Nantes

Peux-tu nous décrire la situation post-confinement au Centre de Détention de Nantes ?

Les parloirs sont réduits à un par semaine au lieu de 2 habituellement (samedi et dimanche). Un seul enfant est accepté donc les parents sont obligés de choisir. Les matons qui « accueillent » les familles à l’entrée de la taule sont masqués jusque dans les parloirs, mais ceux côté détenus ne portent pas tous de masque et à l’intérieur de la prison, ils n’en portent plus. Par contre les prisonniers et leurs proches sont toujours obligés de porter un masque et les contacts sont encore interdits. Pour la « distanciation sociale » deux tables sont mises en travers de la cabine de parloir.

Ça fait trois semaines que les intervenants extérieurs reviennent mais quand les prisonniers rentrent de permission ils se retrouvent en quatorzaine dans un quartier spécialement « prévu » pour ça. C’est juste un étage qu’ils ont vidé et les gars en quatorzaine se retrouvent en régime isolement (sans que ce soit dit comme ça) : porte fermée, une heure de promenade le matin, une heure de promenade l’après-midi, pas d’affaire perso. Le pote a dû gueuler pour qu’on lui donne au moins une couverture et des couverts. Malgré les tests négatifs au Covid, ils restent en quatorzaine. Si on suivait leur raisonnement, les gars en quatorzaine devraient y rester tout le temps puisque qu’ils sortent en promenade avec des gars qui viennent juste de rentrer de perm et d’autres qui sont là depuis plusieurs jours. Comme l’étage s’est rapidement retrouvé plein, l’AP a un peu changé les règles : les gars qui sortaient pour raison médicale ou pour aller au tribunal pouvaient réintégrer directement leur cellule puisqu’ils sont encadrés par des matons tout au long de leur sortie, par contre les gars en perm on sait pas ce qu’ils font alors c’est confinement. Malgré ça l’étage était encore plein donc ils ont décidé, arbitrairement, que certains prisonniers pouvaient regagner leur cellule et que d’autres feraient la totalité du temps de la période d’incubation (malgré les tests négatifs).

Jusqu’au 26 juin, laver le linge c’était gratos mais comme ils ont fini par accepter que les familles ramènent les sacs linge au parloir, faire des machines est redevenu payant. Comme ils ont prévenu les gars la veille pour le lendemain et qu’il faut compter une semaine pour recevoir le jeton pour le linge, tous ceux en quatorzaine (qui n’avaient plus de parloir) se sont retrouvés avec leur linge sale, et très peu de linge puisqu’ils n’avaient pas accès à leurs affaires. Quand des prisonniers demandaient les raisons de ces décisions absurdes, l’Administration Pénitentiaire disait qu’il fallait voir avec l’ARS (médecin, infirmiers) et l’ARS disait qu’il fallait voir ça avec l’AP. Bien pratique pour ne pas avoir de compte à rendre.

S’ils ne sont pas capables de respecter nos droit élémentaires, ils doivent nous accorder des suspensions de peine, Balkany il sort, nous on reste ?! 

Au 12 août, on crève de chaud dans nos cellules, il n’y a pas d’eau en promenade.

Entretien avec un proche d’un détenu du Centre de Détention de Nantes

Peux-tu nous décrire, de ton point de vue de proche d’un détenu, la situation dans le cadre des parloirs au Centre de Détention de Nantes ?

C’est la fin du confinement. C’est la reprise des soi-disant parloirs.

Interdiction de se toucher, port du masque obligatoire, des tables au milieu de la minuscule cabine d’1 mètre de largeur sur 2 mètres de longueur et des matons qui passent sans arrêt devant les portes vitrées, beaucoup plus que d’habitude, en s’arrêtant et en regardant bien si on ne se touche pas.

Si on ne respecte pas une de ces règles, notre permis de visite est suspendu et notre proche incarcéré part en quatorzaine.

Malgré ces conditions merdiques, je me réjouissais à l’idée de revoir mon pote. C’était dur de ne pas pouvoir se toucher, de ne pas pouvoir se prendre dans les bras, mais c’était bon de se voir après 3 mois, de se marrer malgré le masque, on en finissait presque par oublier les allées et venues des matons et leurs sales regards insistants.

Les parloirs me foutent les nerfs et me mettent la boule au ventre en « temps normal », en cette période post-confinement c’est bien pire. C’est quoi le but de se retrouver pendant une heure, sans pouvoir se toucher, s’embrasser, se prendre dans les bras, de devoir répéter 10 fois les mêmes trucs pour se faire comprendre à cause du brouhaha et du masque mais en faisant quand même attention à ne pas parler trop fort pour ne pas que les matons nous entendent, c’est quoi le but ? À part faire péter un câble aux gars et aux meufs à l’intérieur et à nous les familles, à l’extérieur ? C’est pour bien nous faire comprendre qu’on ne maîtrise rien et qu’ils ne nous respectent pas.

J’enrage de fermer ma gueule, j’enrage de ne pas trouver la force de plus causer aux autres personnes qui viennent voir leurs proches.

Quand je vais au parloir je me concentre juste sur l’heure avec mon pote.

Filer la carte d’identité en donnant nom, numéro d’écrou, laisser ses affaires dans un casier, passer le portique, franchir toutes ces portes, on finit part faire ça de manière automatique.

Et puis vite, vite, vite voir notre proche et quand c’est fini, vite, vite, vite sortir de là.

Les parloirs pourris post-confinement ont au moins permis qu’on se cause un peu plus avant et après, à raconter à quel point c’est dur, à quel point c’est ridicule.

Malgré tout ça, j’ai quand même décidé de continuer à aller aux parloirs. Donc, deuxième parloir depuis le déconfinement, le pote a eu une perm quelques jours avant, il l’a passé avec sa compagne qui habite loin et qui peut difficilement venir le voir. Mais il m’avait dit « t’inquiète, ils m’ont dit à la prison que je ne serai pas mis en quatorzaine, on se voit au parlu ». Je me pointe à l’accueil famille et là les matons me disent que je n’ai pas de parloir et que de toute façon, il n’est pas là. Comment ça il n’est pas là ?! Il a encore 2 ans à tirer !

Il se concertent entre eux, reviennent vers moi et me disent qu’effectivement, il est bien là mais que comme il est en quatorzaine, je ne peux pas aller le voir. Ce qui est complètement stupide parce qu’on s’est vu quelques minutes pendant sa perm, qu’on s’est pris dans les bras, qu’on s’est parlé sans masque.

Il est en quatorzaine, donc on a aucune nouvelle de lui. Ce que je sais c’est que pendant la quatorzaine les gars ne sont pas dans leur cellule, donc n’ont pas leurs affaires avec eux. On peut penser que les matons ont donc tout le temps qu’ils souhaitent pour fouiller leur cellule…

Là, c’est la fin de la quatorzaine donc j’appelle le service parloir pour réserver, et ils me disent que mon parloir est suspendu. Suspendu ?! Alors que je n’ai même pas pu aller le voir la dernière fois ?!

Ce qu’il faut savoir c’est que le service parloir est indépendant de la prison, donc les personnes qui y travaillent n’ont pas d’infos et te sortent des trucs violents comme « votre parloir est suspendu » juste parce qu’ils ont vu une putain de note sur leur ordi, et bien sûr, ils ne peuvent pas en dire plus. Je lui ai parlé de la quatorzaine, elle m’a dit que ça pouvait être lié mais qu’il fallait que je rappelle à la fin pour en savoir plus.

J’en suis là, inquiète et sans possibilité d’avoir plus d’informations.

Dehors, les écoles ré-ouvrent, les terrasses de bars sont bondés, dedans ils et elles galèrent encore plus que d’habitude et les quelques moments où on peut se voir deviennent insupportables ou impossibles.

Crève la taule.

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